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[Edito] Guerre contre le terrorisme et avenir de la PAC au menu du dernier Politique étrangère

Le n°2/2011 de Politique étrangère est disponible. Les deux thématiques à l’honneur pour ce numéro sont « Al-Qaida et la guerre contre le terrorisme » et « L’Avenir de la PAC« .

(pour consulter le sommaire, cliquer sur l’image)

EDITO
Ces derniers mois ont déclaré Oussama Ben Laden mort deux fois : noyé dans les aspirations démocratiques arabes, puis abattu au Pakistan. Sa gloire aurait-elle duré dix ans seulement qu’elle laisserait pourtant le monde différent. Certes, le 11 septembre 2001, qui impose l’image d’un « hyperterrorisme » et celle d’une « islamisation » de la violence, n’est pas l’événement singulièrement fondateur que d’aucuns décrivirent alors : l’ascension des économies émergentes ou la crise économique marquent déjà le siècle de tendances longues autrement plus déterminantes. D’une certaine manière, le 11 septembre accouche pourtant d’un monde nouveau, en ce qu’il ouvre une vision neuve des rapports de force dans le monde, des rapports entre unités politiques contemporaines.

 

Dans les années qui suivent le coup de tonnerre de septembre 2001, certains commentateurs installent le phénomène terroriste au cœur des scénarios de violence du siècle qui s’ouvre : l’asymétrie terroriste, appuyée sur le développement et la diffusion des technologies, sera la référence des conflits du siècle, y occupera une place centrale, de plus en plus large. Dix ans plus tard, la prédiction ne s’est pas réalisée. Et les mesures mises en œuvre par les États – dont le 11 septembre signe d’une certaine manière le « retour » – s’avèrent plutôt efficaces pour maintenir les actions terroristes dans une relative marge, aussi sanglante soit-elle.

Il reste que cette période a profondément modifié notre vision du monde. Du côté des puissances, les succès de la lutte antiterroriste, mais aussi les terribles errances de la puissance américaine dessinent une scène internationale différente. Les États-Unis sont toujours là, dominants, centraux, mais changés. Ailleurs, l’idée même d’asymétrie et l’échec américain en Irak – avant même qu’on ne puisse tirer un bilan de la guerre afghane – dessinent aussi un monde plus divers. Un monde où les hypothèses de conflits et les formes d’usage de la force sont beaucoup plus nombreuses, déclinées, que ce que nous imaginions dans la dernière décennie du XXe siècle.

Le dossier que publie ici Politique étrangère témoigne de cette diversité du monde conflictuel, sans doute plus visible depuis dix ans, et de la difficulté qu’ont les puissances classiques à s’y orienter. Le terrorisme apocalyptique ne s’est pas concrétisé. Al-Qaida survit, mais sous des formes localement plus que globalement dangereuses, et des formes d’organisation que nous n’avions guère imaginées. Les engagements en Irak puis en Afghanistan renvoient à des formes de guerre où les rapports asymétriques prédominent, contraignant les armées occidentales à revenir à des formes de raisonnement oubliées – contre-insurrection, pacification, etc. Le tout sous cette interrogation plus globale : nos esprits, nos modes de raisonnement doivent certes évoluer, mais aussi nos structures de forces ; dans quel sens, et avec quels moyens ?

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Cette dernière question – l’adéquation des instruments politiques et militaires aux décisions d’engagement, d’intervention dans un conflit – est clairement posée par l’aventure libyenne. À l’heure où ces lignes sont écrites, son issue n’est pas connue ; elle a pourtant déjà, très près de nous, fait plusieurs blessés.

Au premier chef, c’est la notion même d’intervention humanitaire qui est sans doute touchée. Décidée selon d’honorables critères de protection des populations, l’intervention aérienne contre le régime Kadhafi paraît vite quelque peu brouillonne (sans objectif militaire ni politique clairement identifié), voire assez arbitraire : les populations libyennes ont droit à la protection internationale, mais pas les syriennes. On comprend bien pourquoi ; il reste que c’est la légitimité même de l’intervention internationale dans ces opérations humanitaires qui s’en trouve questionnée – sans parler des divergences d’interprétation des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies entre ceux-là mêmes qui les votent. Autre victime : l’Union européenne (UE), aux abonnés absents de la diplomatie, et qui se divise sur Schengen, l’un de ses acquis les plus symboliques aux yeux du monde extérieur. Aucune puissance européenne n’a apparemment songé à inscrire ses débats et décisions dans le cadre de la fameuse Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) que le traité de Lisbonne devait réorganiser.

Victime collatérale peut être encore plus significative pour le court terme : l’entente franco-allemande. L’abstention de la République fédérale d’Allemagne (RFA) dans l’affaire libyenne est étonnante pour un pays qui aspire à un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Mais elle est plus préoccupante par ce qu’elle suggère, à terme, de désir de désengagement de la part d’une puissance européenne dominante : Berlin en est-il vraiment à se vouloir une puissance exclusivement commerciale, économique, civile ? Dernière victime – en perspective –, enfin : l’Alliance atlantique. La division des alliés, la valse-hésitation des principaux d’entre eux autour de son rôle dans la manœuvre militaire viennent s’ajouter à la confusion qui se profile face à l’enlisement des opérations afghanes… Décidément, 2011 risque, bien au-delà de la Méditerranée, de marquer la décennie.

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Ce numéro de Politique étrangère interroge encore l’avenir de l’UE autour d’une de ses politiques les plus emblématiques : la Politique agricole commune (PAC). Succès incontestable pour l’agriculture européenne dans son ensemble depuis plusieurs décennies, instrument décisif d’intégration, en particulier pour les derniers élargissements en Europe centrale, la PAC se retrouve au centre des discussions sur les budgets futurs, c’est-à-dire la politique à venir de l’UE, en un temps de doute général sur les voies et les finalités mêmes de la construction européenne. Le paradoxe étant que l’évolution internationale rend cette politique commune sans doute plus nécessaire que jamais. Certes, la PAC doit évoluer, s’adapter à des temps nouveaux, mais seule une politique européenne intégrée peut contribuer à répondre aux gigantesques défis qui s’annoncent : sécurité alimentaire de la planète, nécessité d’amortir l’effet des fluctuations des prix des matières premières, danger environnemental, etc.

Interventions internationales – Afghanistan, Liban, Côte d’Ivoire, Libye – ; institutions internationales – Organisation des Nations unies (ONU), UE – ; évolutions et dynamiques des conflits dix ans après le 11 septembre : avec ce numéro, Politique étrangère choisit de camper au cœur de débats qui ont toutes chances d’organiser la décennie qui s’ouvre.

 

[Revue des livres] Il n’y aura pas d’Etat palestinien (Z. Clot, 2010)

Article issu de Politique etrangère, volume 76, n° 1, paru le 21 mars 2011, portant sur l’ouvrage Il n’y aura pas d’État palestinien. Journal d’un négociateur en Palestine, de Ziyad Clot (Paris, Max Milo, 2010, 288 pages). L’article qui suit a été rédigé par Denis Bauchard, conseiller pour le Moyen-Orient à l’Ifri.

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Au-delà d’un titre en apparence provocateur, cet ouvrage a un double mérite : celui d’être un témoignage et aussi une réflexion originale sur les perspectives de paix entre Israël et les Palestiniens. Français d’ascendance palestinienne par sa mère, Ziyad Clot vient pour la première fois, à l’âge de 30 ans, à la recherche de ses racines en Israël et dans les territoires palestiniens. À Ramallah, il devient, à sa demande, conseiller juridique chargé du dossier des réfugiés, dans l’équipe de négociation – la Negociations Support Unit (NSU) – placée auprès de Saeb Erekat, négociateur en chef de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).

C’est là le témoignage de quelqu’un qui découvre une réalité qu’il ne connaissait que de l’extérieur : Haïfa et les traces de son passé familial, les contrôles renforcés à l’aéroport lorsqu’on a un prénom à consonance arabe, les check points qui quadrillent la Cisjordanie, mais aussi la chaleur des contacts humains, y compris entre Arabes et juifs. C’est aussi un témoignage de l’intérieur sur le fonctionnement de l’équipe de négociation, avec parfois des jugements sévères sur le manque de préparation des positions avant les rencontres avec la délégation israélienne, le complexe d’infériorité des négociateurs palestiniens, leur désarroi, le manque de coordination entre responsables, leur tropisme américain, accentué depuis la disparition de Yasser Arafat. À cet égard, quelques pages révélatrices méritent d’être lues sur la façon dont S. Erekat, de peur de déplaire à ses interlocuteurs américains, évite de s’engager dans la tentative de l’Union européenne (UE), sous présidence française, de relance du processus de paix. Z. Clot porte un jugement désabusé sur la façon dont les négociations sont menées, notamment sur la question des réfugiés qu’il suit plus spécialement. Plus généralement, il est très critique à l’égard d’un processus de paix qualifié de « spectacle », de « farce » ou d’« écran de fumée ». Il est vrai que le constat sur le suivi de la conférence d’Annapolis est accablant : sur aucun sujet – réfugiés, Jérusalem, colonies, tracé des frontières – n’apparaît le moindre rapprochement. L’arrivée de l’Administration Obama ne modifie pas la donne, même si le nouveau président, dans son discours du Caire de juin 2009, exprime une empathie réelle à l’égard de la situation des Palestiniens. Pour l’auteur, « l’approche de l’Administration Obama n’est pas fondamentalement différente de celle de George W. Bush. Ses limites sont strictement identiques : incapacité à stopper la colonisation israélienne et refus de considérer le Hamas comme un partenaire de négociation. »

Devant cette situation de blocage et la diminution progressive du territoire d’un éventuel État palestinien, l’auteur estime que la solution des deux États n’est plus possible, constat de plus en plus partagé – même si la communauté internationale, y compris officiellement Israël et l’Autorité palestinienne, estime qu’il s’agit de la seule solution possible. On peut craindre que Z. Clot n’ait raison. Dans ces conditions, quels sont les scénarios possibles ? L’auteur en voit trois : le prolongement de la situation actuelle, celle de la « gestion d’un conflit de basse intensité » accompagnée de la poursuite de la colonisation ; la perspective de l‘expulsion des Arabes, israéliens comme palestiniens, des Territoires, demandée ouvertement par certains partis ; la création d’un État binational avec reconnaissance de droits égaux entre juifs et musulmans. L’auteur estime que « la solution de l’État unique s’impose en raison, et en fait ». Il est clair qu’une telle option ne peut être que récusée par Israël qui entend s’affirmer comme État juif ; la deuxième solution est naturellement inacceptable par la communauté internationale ; quant à la première, celle du fait accompli, apparemment favorable à l’extension du contrôle israélien sur la Cisjordanie, ne risque-t-elle pas à terme de conduire Israël dans le mur ? L’État hébreu peut-il assurer sa pérennité sans résoudre la question palestinienne ? Ehoud Olmert en était conscient lorsqu’en 2007, il déclarait, en ayant à l’esprit l’évolution démographique respective des Arabes et des juifs sur l’ensemble de ce que Z. Clot nomme « Israeltine » : « Si un jour la solution des deux États doit s’effondrer, et que nous devons faire face à une lutte pour l’égalité des droits de vote comme en Afrique du Sud, alors dès que cela se produira l’État d’Israël sera terminé ». L’avenir reste incertain et tout peut arriver. L’expérience prouve, comme conclut l’auteur, que « l’Histoire […] est souvent l’objet de coups d’accélérateur renversants. Les murs tombent parfois sans prévenir. Autant s’y préparer. »

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