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Le nouveau Gouvernement du monde. Idéologies. Structures. Contre-pouvoirs

Cet article, rédigé par Anne-Sophie Novel, est un extrait de Politique étrangère volume 76, n°3, paru à l’automne 2011, portant sur l’ouvrage de Georges Corm « Le nouveau Gouvernement du monde. Idéologies. Structures. Contre-pouvoirs » (La Découverte, 2010).

Georges Corm signe ici un ouvrage pédagogique limpide sur l’état actuel du monde. Cet économiste de profession, spécialiste du Moyen-Orient et de la Méditerranée, a forgé son expertise au cours de nombreuses années de conseil auprès d’organismes internationaux et d’institutions financières. Il livre une analyse critique de la mondialisation et se lance dans un plaidoyer contre les « absurdités sociales auxquelles le monde globalisé nous a menés, et continue de le faire tous les jours ».

Reprenant tour à tour les facteurs culturels, sociologiques, politiques et économiques qui ont donné sa force au mouvement de globalisation, l’auteur entend aller contre les idées reçues et identifier les causes premières des dérèglements dont nous sommes victimes.

Sa démonstration se déroule alors de manière méthodique. Reprenant les fondements du néolibéralisme, G. Corm explique à quel point il est nécessaire d’en démystifier la doctrine économique et de sortir des éternels (faux) débats. Il faudrait par exemple cesser de vouloir sans cesse réduire la place de l’État dans l’économie, de prôner la sacro-sainte flexibilité des salaires, d’idéaliser les systèmes de retraites par capitalisation ou de croire en l’existence de bonnes pratiques pour les investisseurs.

Pire, d’après l’auteur : la grille de lecture du néolibéralisme, non contente de rétrécir le champ des débats économiques, nous empêche de faire face convenablement aux grands enjeux de notre temps. La lutte contre le réchauffement climatique, par exemple, est faussée « par tous ces a priori de la doctrine néolibérale en vertu de laquelle il faut refuser tout contrôle direct des États sur les questions du réchauffement climatique ». Ne devrait-on pas plutôt s’attaquer à la société de consommation et aux gaspillages économiques massifs qu’elle entraîne ? La lutte contre la faim dans le monde et la pauvreté subissent la même logique : sous couvert d’un développement à visage humain, nous oublions d’interroger les causes des inégalités sociales et matérielles, de l’exclusion et de la pauvreté.

Comment, dans ces conditions, aborder les problèmes cruciaux qui demeurent dans le monde ? Comment remettre en cause les dérèglements des systèmes de production des grands pays industrialisés ? Comment sortir des réflexes pavloviens du consumérisme, qui aujourd’hui se retrouvent même dans les logiques politiques ? Autant de questions posées par l’auteur, qui n’hésite pas à étayer ses propos de théories élaborées par les grands penseurs de l’altermondialisme.

Ces remises en cause viennent alors interroger l’évolution de l’enseignement de l’économie. Pour G. Corm, « l’enseignement académique de l’économie prétend désormais avoir accédé au statut de “science dure”. L’absence de discussions approfondies sur cette question permet à ce pouvoir de continuer à fonctionner avec la légitimité que lui attribue l’enseignement de l’économie, stéréotypé et homogénéisé à l’échelle mondiale. » En ligne de mire notamment : la mathématisation de l’approche économique et la tentation de faire de l’économie une science capable de prédire l’avenir avec certitude. Sans parler de la financiarisation de l’économie et de l’utilisation à outrance des modèles économétriques.

G. Corm scrute le pouvoir mondialisé et l’uniformisation du monde pour s’essayer à un – fort utile – exercice prospectif de dé-mondialisation.

Le Système monétaire européen après cinq ans, par Raymond Barre (1984)

Alors que la crise de l’euro continue d’agiter le débat public, on pourra relire avec intérêt ce premier bilan du Système monétaire européen, dressé cinq ans après sa création, publié dans Politique étrangère no 1/1984. Raymond Barre, Premier ministre lors de la mise en place du SME et partisan de la rigueur monétaire, en souligne les trois apports principaux : une plus grande stabilité des monnaies, la convergence des politiques économiques (on pense ici au tournant de la rigueur pris par la France au printemps 1983) et l’absence du recours au protectionnisme. S’il convient que le SME doit s’améliorer – et notamment se doter d’une politique commune vis-à-vis du dollar –, Raymond Barre appelle à un usage plus large de l’ECU, notamment dans les opérations commerciales, à sa reconnaissance en tant que monnaie, et conclut à son rôle politique comme accélérateur de la construction européenne.

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Le Système monétaire européen fonctionne maintenant depuis cinq ans. C’est un beau succès pour une réalisation communautaire qui suscita au départ beaucoup de scepticisme, sinon d’hostilité. Le SME marquait l’aboutissement d’un long effort pour doter la Communauté d’une organisation monétaire qui lui permette d’affirmer son originalité et de rechercher la stabilité. C’est en février 1969, alors que l’on pouvait déjà pressentir ce que l’on devait appeler plus tard la « crise monétaire internationale », que j’avais présenté au nom de la Commission des Communautés européennes, des propositions en vue d’organiser une coopération économique et monétaire plus étroite entre les Six. Ce fut à l’époque une proposition tenue pour insolite. La réponse fut donnée en termes de surenchère : pourquoi faire preuve de tant de timidité et de prudence alors que la Communauté devrait devenir à terme une Union économique et monétaire ! De sommets en conseils, on discuta avec une imagination plus inhibitrice que créatrice les conditions et les étapes d’une telle Union. Alors naquit le « Serpent dans le tunnel », puis le « Serpent sans tunnel » ; puis le « Serpent » perdit quelques-uns de ses anneaux au beau milieu des vicissitudes monétaires internationales, liées aux difficultés du dollar et au premier choc pétrolier. Un mouvement récurrent de va-et-vient saisit notamment le franc français entre 1974 et 1976. Au lendemain des élections législatives françaises de mars 1978, l’équilibre extérieur français ayant été rétabli, le franc français ayant été stabilisé, les perspectives économiques et politiques françaises paraissant mieux assurées, le président Giscard d’Estaing et le chancelier Schmidt décidèrent de relancer le projet d’organisation monétaire de la Communauté.

Grâce à la volonté et à la force de persuasion du chancelier de la République fédérale, les réticences allemandes, à de nombreux niveaux, furent surmontées. Le Système monétaire européen fut mis en place, seule la Grande-Bretagne décidant de rester à l’écart du régime de changes stables, mais ajustables, qui est l’un des éléments constituants de ce système. La Grande-Bretagne acceptait cependant le principe du SME et la livre sterling était prise en compte dans la définition de l’unité de compte du système, l’ECU. Ce qui avait été cependant décisif, c’était la volonté commune franco-allemande, reposant sur une plus grande convergence des conceptions économiques et des politiques économiques. Entre mars 1979 et mai 1981, la stabilité du deutschmark et du franc français allaient permettre une évolution ordonnée et satisfaisante du SME. A partir de mai 1981, les fortunes du franc français furent plus changeantes. Le SME fit alors preuve d’une grande souplesse d’adaptation, tandis qu’il apparaissait de plus en plus comme un butoir aux excès de certaines politiques économiques incompatibles avec la logique interne et les disciplines de la Communauté. Mais le SME est devenu en même temps un instrument efficace au service de l’Union des pays de la Communauté : aussi bien par la stabilité économique et monétaire qu’il tend à promouvoir au sein de la Communauté et au sein des relations monétaires internationales, que par le rôle que commence à jouer et que semble devoir de plus en plus jouer l’ECU.

Depuis sa création, le Système monétaire européen a eu trois consé quences importantes pour les pays de la Communauté.

Il a tout d’abord permis une stabilité des taux de change plus grande entre les monnaies des pays-membres qu’entre ces monnaies et le dollar, le yen ou la livre sterling. La variation mensuelle moyenne du taux de change effectif des monnaies au sein du SME a été de 1,2 % à 1,5 % dans la période 1979-1983 alors qu’elle a été de 2,3 à 2,8 % pour le dollar, le yen et la livre.

Entre 1979 et 1983, si l’on prend le deutschmark pour référence, les fluctuations des taux de change des sept autres monnaies du SME ont été de 0,5 à 0,8 %, alors que les fluctuations du dollar, du yen et de la livre étaient de 2,4 à 2,7 %.

Certes, des réalignements monétaires ont eu lieu assez fréquemment au sein de la Communauté : sept en cinq ans. Le système admet des dévaluations ou des réévaluations des taux de change ; mais il a été à l’origine conçu pour éviter des ajustements de change trop fréquents grâce à une meilleure convergence des politiques économiques. De ce point de vue, son succès n’est pas encore satisfaisant, bien que certains progrès aient été enregistrés au cours des deux dernières années.

En particulier, l’évolution des taux de change au sein de la Communauté depuis 1979 n’a plus sur-compensé les différentiels d’inflation. Il n’y a eu dans les relations de change entre les monnaies de la Communauté ni surappréciation, ni surdépréciation, analogues à celles que l’on a pu observer pour d’autres monnaies qui flottent isolément, et notamment pour le dollar. Le fonctionnement du SME a ainsi permis, à l’occasion des ajustements de change, d’exercer une pression constante en faveur d’une plus grande stabilité des prix.

Ceci tient pour une large part à ce que les décisions relatives aux cours-pivots tendent à devenir des décisions collectives. Alors qu’auparavant les institutions communautaires se bornaient à ratifier des décisions unilatérales, des négociations serrées se déroulent maintenant au sein du Comité monétaire et du Conseil des ministres et évitent des modifications excessives, notamment des « dévaluations de combat ».

Enfin les réalignements tendent à être multilatéraux : pays à monnaie faible et pays à monnaie forte y apportent leur contribution, même si, pour ces derniers, la réévaluation de leur monnaie est parfois un « geste politique » plus qu’une mesure totalement justifiée par des raisons économiques.

Si le Système monétaire européen n’a pas contribué davantage à une plus grande stabilité monétaire, c’est, semble-t-il, pour deux raisons. D’une part, les changements des cours-pivots ont été parfois retardés par des considérations politiques : certains ajustements ont donc dû être effectués « à chaud ». D’autre part, comme l’a souligné la Commission des Communautés européennes, certains pays-membres ont recouru à de larges emprunts sur le marché international des capitaux ; ils ont ainsi évité de recourir aux facilités conditionnelles prévues par le Système. Les arrangements prévus pour le soutien monétaire à court terme et pour le concours financier à moyen terme — qui imposent des engagements de politique économique — n’ont pas été utilisés alors que les crédits inconditionnels à très court terme que se font les banques centrales ont fait l’objet d’importants tirages. Le recours aux « facilités communautaires » pour des raisons de balance des paiements n’a été effectué que par la France en mai 1983 (emprunt de 4 milliards d’ECU).

La seconde conséquence de la mise en place du Système monétaire européen a été de favoriser une plus grande convergence des politiques économiques entre les Etats-membres. Certes la coordination « institutionnalisée » de ces politiques est loin d’être réalisée et ne paraît pas devoir l’être de sitôt. Mais on voit s’établir ce que l’on pourrait appeler une « surveillance » des politiques, au sens où le Fonds monétaire international emploie ce concept pour les taux de change.

Depuis deux ans, par la force des choses souvent plus efficace que la volonté des hommes, les pays membres du SME mettent en oeuvre des politiques tendant à réduire leurs déficits budgétaires, à redresser leurs balances de paiement, à obtenir une évolution plus modérée des revenus et à améliorer la situation financière des entreprises. L’objectif de lutte contre l’inflation et de retour à la stabilité est devenu un objectif accepté par tous. L’avertissement que constitue pour un gouvernement l’affaiblissement de sa monnaie dans un régime de changes stables l’oblige à ne pas éluder les réalités ou à ne pas différer indéfiniment les choix indispensables.

En troisième lieu, la coopération économique et monétaire qui s’est intensifiée par l’intermédiaire du SME a écarté de certains pays la tentation protectionniste que les difficultés internes auraient pu susciter. Certes, droits de douane et contingents n’existent plus au sein de la Communauté, mais on ne peut pas dire que les obstacles non tarifaires aux échanges, comme les normes, l’impossibilité ou la grande difficulté d’obtenir des marchés publics au sein de chaque Etat-membre, aient disparu : il n’y a pas encore de vrai grand marché intérieur au sein de la Communauté. Il aurait été grave que l’augmentation du chômage ou certaines difficultés régionales ou sectorielles ou que de trop graves déséquilibres de balance des paiements eussent conduit à des mesures de sauvegarde intracommunautaires. En même temps que celles-ci étaient écartées, la Communauté pouvait, sur le plan international, éviter de donner un exemple de retour au protectionnisme, qui n’aurait pas manqué de susciter une fâcheuse contagion.

Aujourd’hui en tout cas, les pays membres du SME peuvent effectuer de 40 à 50 % de leur commerce extérieur dans des conditions très favorables de liberté des échanges et de relative stabilité des changes.

Je ne m’étendrai pas sur les déficiences du SME que certains critiques ont mises en relief. Les interventions des banques centrales à l’intérieur des marges ont été pratiquées en dollar, ce qui ne favorise pas la cohésion du système ; mais l’avantage considérable du dollar est qu’il est la monnaie d’intervention par excellence pour une banque centrale et on ne voit pas quelle monnaie communautaire, y compris le deutschmark, pourrait jouer un rôle similaire. On observera cependant que les interventions en monnaies du Système effectuées à l’intérieur des marges ont représenté, sur les cinq années passées, plus de la moitié des interventions.

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[Les grands textes] De l’assistance au commerce international

Article publié dans Politique étrangère volume 25, n°4, paru en 1960 – Alors que prennent fin les empires coloniaux, le diplomate René Servoise trace les perspectives des rapports entre les nouveaux Etats décolonisés et les pays industrialisés pour la décennie 1960. Il appelle à une meilleure concertation entre les bailleurs d’aide internationale et à la consolidation d’instances réunissant donateurs et bénéficiaires. Sur le long terme, l’auteur souligne le risque que le développement des pays du Sud, et leur concurrence avec le Nord, ne les conduise à rejoindre le bloc communiste ou à adopter des régimes totalitaires, à l’instar du Japon trente ans plus tôt. Enfin, il enjoint aux élites occidentales de se saisir de cet enjeu majeur des rivalités Est/Ouest. Si le contexte est aujourd’hui radicalement différent, les relations économiques entre l’Occident et le reste du monde continuent bien d’osciller entre concertation et concurrence.

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La période d’après guerre prend fin aux environs de 1960. Le monde a pansé ses blessures ; avec le temps, les animosités s’estompent entre anciens adversaires, les économies repartent, prospères.

Comment aborder la décennie 1960-1970 ? Les problèmes qui furent à l’origine du précédent conflit sont oubliés, d’autres surgissent. C’est la rencontre de deux moments : la fin des empires coloniaux et la fin de la prépondérance américaine.

Le phénomène colonial a-t-il été une exploitation des peuples ou, plus simplement, une phase de la mise en valeur de la planète, les pays occidentaux ne trouvant pas en face d’eux des partenaires avec lesquels ils eussent pu commercer ? Le fait colonial se transformant, permet aux colonisés d’hier de déboucher sur des niveaux de vie supérieurs grâce à la maîtrise des techniques occidentales : c’est vraisemblablement ce que l’histoire retiendra.

Cependant, le thème de la lutte des classes à l’intérieur d’une nation a été habilement transposé sur le plan mondial et les cadres de l’analyse marxiste sont offerts aux peuples souhaitant s’affranchir de leur situation coloniale. Ces thèses permettent aujourd’hui à M. Khrouchtchev, au cours de voyages éclairs, d’évoquer la « dette » contractée par les nations occidentales vis-à-vis des peuples sous-développés, l’enrichissement des premiers étant la cause du sous-développement des seconds.

Quel que soit le jugement de valeur porté sur l’ère coloniale, son déclin est un fait, et avec la naissance de nouveaux Etats, apparaissent des problèmes nombreux et complexes. Comment organiser l’économie de ce nouveau monde ? Sur quelles bases établir les relations entre les pays industrialisés et ceux qui (bien qu’indépendants) demeurent sous-développés ? La disparition d’un cadre et de circuits économiques n’a pas pour autant créé un nouvel ordre ; et, tandis que ces dernières années ont vu s’effectuer la décolonisation — tâche négative —, un problème positif, l’édification d’un monde neuf se pose aux générations actuelles. En outre, l’époque coloniale se termine au moment où prend fin le leadership des Etats-Unis. La disparition du monopole de fait exercé par les Etats-Unis dans le monde occidental depuis 1945 et la réapparition des nations européennes changent les données du problème.

L’année 1960 voit en effet se clore la période où les Etats-Unis, nouvel Atlas, supportaient à eux seuls l’économie du monde libre. Un nouveau pôle de développement, l’Europe, réaffirme sa puissance au moment même où les Etats-Unis découvrent que le « dollar gap » peut désigner le déficit de leur propre balance des comptes. De 1951 à 1957, le solde positif américain en marchandises et en services a été compensé par des dons et prêts du gouvernement. Mais, dès 1958 la situation est inversée et les années 1958-1959 voient un déficit global de sept milliards de dollars et des sorties d’or correspondant à la moitié de cette somme.

La réapparition de l’Europe occidentale et du Japon comme partenaires et concurrents économiques est due en grande partie à la hardiesse de vues et à la générosité des Etats-Unis. Si la période 1918-1933 a été radicalement différente dé celle que nous avons vécue au lendemain de la 2e guerre mondiale, nous le devons au Plan Marshall. Ce plan a permis à l’Europe de se rééquiper et les niveaux de vie dont jouissent aujourd’hui les Européens ont pour origine le discours du général à Harvard en 1947.

Dès lors, devant une telle réussite, au moment où le fardeau de l’aide au tiers monde devient pesant aux Etats-Unis, pourquoi ne pas tenir ce raisonnement : ce que les Etats-Unis ont accompli pour l’Europe et le Japon, l’Occident (et le Japon) doivent aujourd’hui le faire pour le monde durant les années 1960-1970. L’optimisme aidant, l’on espère ainsi résoudre le problème du sous-développement et d’une pierre faire deux coups : trouver également une parade au défi soviétique inscrit dans le cadre de la « coexistence compétitive ».

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[L’actualité revisitée] Vers un nouvel ordre économique international (1977)

Dans le sillage du premier choc pétrolier, Pierre Mayer et Jean-Jacques Subrenat analysent dans cet article publié dans Politique étrangère en 1977 les conséquences du bouleversement des rapports économiques entre pays industrialisés et tiers-monde: le nouvel ordre économique international est avant tout porteur d’instabilité et d’incertitudes. Il révèle de fortes divergences d’intérêts, tant entre Nord et Sud qu’au sein des pays en voie de développement. Les auteurs prédisent aux pays industrialisés chômage structurel, inflation et une difficile adaptation à la concurrence brutale de certains pays du tiers-monde. Un texte à relire avec profit, quelques semaines après le sommet de Hainan qui a vu le groupe des BRICS s’élargir à l’Afrique du Sud.

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Si la formule d’un « nouvel ordre économique international » est devenue banale, son contenu n’est ni évident, ni perçu de pareille façon par les pays en développement et les pays industriels. Certains experts le définissent ainsi : apporter aux mécanismes économiques des modifications techniques telles que la réforme du système monétaire international ; ou remettre enfin à jour les règles qui régissent le commerce international ; ou encore, trouver un meilleur équilibre entre la production d’énergie et sa consommation. D’autres, parmi les représentants des pays en développement, pensent au contraire qu’un nouvel ordre ne peut se mettre en place qu’à la condition de prendre appui sur des bouleversements politiques, en même temps que sur de nécessaires améliorations économiques ou techniques. Il est rare qu’une amélioration technique se suffise à soi-même : il lui faut aussi une volonté politique et un projet social. Or, précisément, la période actuelle se distingue par une difficulté accrue de mettre en rapport les moyens et la nécessité. Dans un monde où la trame des interdépendances se trouve resserrée par la vitesse, la multiplication des incertitudes apparaît comme une contradiction lourde de conséquences. La question est souvent posée de savoir si l’ordre économique actuel pousse les différents acteurs à coopérer ou à s’affronter : il s’agit plutôt de savoir si X absence de cohésion et d’organisation, la disparité des situations, la multiplication des aléas en tous genres, ne se traduira pas par une période d’inévitable transit ion,d ont il faudra limiter les inconvénients majeurs.

A – PERSPECTIVES ET RISQUES D’UN NOUVEL ORDRE

Toute explication optimiste tient pour acquise la résorption de la crise sans l’intervention de changements fondamentaux ; c’est croire qu’il suffit de négocier une nouvelle péréquation entre les besoins énergétiques du monde industriel et la nouvelle puissance de marchandage des exportateurs de pétrole. Les pessimistes sont persuadés, au contraire, que les conséquences de la crise pétrolière d’octobre 1973 ne sont pas encore clairement perçues, qu’elles ont été camouflées par l’inflation, par une certaine mise en scène, et par des progrès techniques qui réduisent le sentiment de dépendance vis-à-vis du pétrole. A-t-on sous-estimé la crise pétrolière et, à travers elle, le danger latent d’une expansion économique nourrie de carburants bon marché ? Au cours de l’année 1974, on s’en souviendra, deux explications contradictoires étaient élaborées à l’envi : les économies industrielles tenaient le quadruplement du prix du pétrole pour responsable de la crise économique ; les producteurs de pétrole rétorquaient que leur action ne faisait que mettre en relief, avec une douloureuse acuité, la crise d’un système monétaire inadapté, donc moribond. En toute logique, les effets de la crise pétrolière auraient dû être répercutés immédiatement sur la plupart des pays et à tous les niveaux d’activité : un transfert massif de ressources aurait dû se faire pour transformer le surplus payé par les consommateurs en excédents équivalents pour les pays producteurs et exportateurs de pétrole. Or, si cela a bien été le cas, ni l’ampleur ni la rapidité du phénomène n’ont été suffisantes pour faire éclater un système que les épreuves successives depuis 1945 ont endurci. La différence aurait dû se traduire par une symétrie entre le pouvoir d’achat accru des producteurs et une déperdition concomitante chez les pays importateurs. Or, les transferts ont eu un effet limité sur la capacité d’investissement productif des « nouveaux riches », qui se sont réfugiés dans des dépenses de prestige, de souveraineté ou de spéculation. Quelles ont été les formes de ce camouflage involontaire ?

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