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La révolte en réseau : le « printemps arabe » et les médias sociaux

Article paru dans Politique étrangère n° 1/2012 et rédigé par David M. Faris, professeur adjoint de science politique à la Roosevelt University. Son ouvrage Dissent and Revolution in a Digital Age: Social Media, Blogging and Activism in Egypt (Londres, I.B.Tauris) paraîtra en septembre 2012.

La question du rôle des médias sociaux dans le « printemps arabe » est bien souvent traitée de manière caricaturale. Certains n’ont pas hésité à parler de « révolution Facebook », « révolution Twitter » ou « révolution WikiLeaks », présentant l’avènement du Web social comme la cause principale du déclenchement des révoltes. D’autres, au contraire, ont expliqué qu’Internet n’avait joué aucun rôle. La question des rapports entre médias sociaux et changement politique requiert une approche plus nuancée, se fondant plus spécifiquement sur les cas de l’Égypte et de la Tunisie. Avant de se focaliser sur le « printemps arabe », un détour par le mouvement de contestation en Iran en 2009 s’impose.

L’expérience iranienne de 2009 et ses premières leçons

L’expression « révolution Twitter » a émergé en 2009, au moment de la vague de protestation consécutive à la réélection du président Mahmoud Ahmadinejad. Au cours des premiers jours de la révolte, Twitter est devenu le moyen essentiel, pour les observateurs internationaux, d’obtenir des informations concernant les événements en Iran. L’activisme numérique d’un petit groupe de militants iraniens « tweetant » en anglais a poussé certains analystes à mettre sur le compte de Twitter l’organisation de la révolte elle-même et à présenter le site de microblogging comme l’unique moyen pour les Iraniens de se tenir au courant ce qui se passait. Or, les spécialistes de l’Iran se sont presque immédiatement opposés à l’idée de considérer le « mouvement vert» comme une « révolution Twitter ». Ils ont soutenu que la mobilisation autour de Mir Hossein Moussavi, candidat opposé au président sortant, était à mettre sur le compte d’une coalition antérieure, unissant organismes de la société civile et militants de l’opposition, dans le but de « chasser Ahmadinejad du pouvoir[1] ». D’autres ont souligné que l’étude des statistiques d’utilisation de Twitter en Iran ne permettait pas d’accréditer la thèse selon laquelle ce site serait à l’origine du soulèvement[2]. Enfin, la répression implacable du « mouvement vert » a conduit nombre d’observateurs à récuser non seulement le rôle de Twitter dans le pays, mais plus généralement sa capacité à être vecteur de changement politique dans des États autoritaires. Les événements d’Iran auraient ainsi « démontré à la fois le potentiel et les limites de la technologie libératrice[3] ». Certaines oraisons funèbres du « mouvement vert » laissaient transparaître une certaine satisfaction de la part de ceux qui avaient manifesté dès le début leur scepticisme quant à la capacité des médias sociaux à produire des changements politiques fondamentaux.
En 2010, dans la foulée de la répression en Iran, les thèses des sceptiques ont tenu le haut du pavé. Parmi les défenseurs de ces thèses, Evgeny Morozov[4] a acquis une visibilité particulière. Il n’a eu de cesse d’expliquer que les efforts de promotion des médias sociaux comme réponse aux frustrations démocratiques dans les pays autoritaires resteraient vains. Dans son ouvrage The Net Delusion[5], il écrit : « Espérer qu’il suffise d’ouvrir tous les réseaux […] pour rendre une transition vers la démocratie plus facile ou plus probable est illusoire[6]. » Dans la même veine, Malcolm Gladwell a expliqué, dans un article du New Yorker, que les médias sociaux ne pouvaient pas mener à des mobilisations de masse en raison de la faiblesse et de la volatilité des liens créés sur le Web[7]. Selon lui, les individus sont susceptibles de prendre des risques en voyant leurs proches faire de même, mais ils ne sauraient mettre leur vie en danger en suivant le seul exemple d’une lointaine connaissance rencontrée sur Internet. Les sceptiques expliquent également – et c’est une évidence – que d’un point de vue historique, l’absence de médias sociaux n’a pas empêché le déroulement de nombreuses révolutions. En 1979, des millions de personnes se sont mobilisées en Iran alors que Twitter n’existait pas. Deux ans plus tôt, les Égyptiens n’avaient pas eu besoin de pages Facebook pour descendre dans la rue et protester massivement contre l’augmentation du prix des denrées alimentaires. En d’autres termes, l’existence des médias sociaux n’est ni nécessaire, ni suffisante pour inciter à l’action collective dans les sociétés non démocratiques.
À la fin de l’année 2010, après le musellement du« mouvement vert » en Iran et alors que la situation des Droits de l’homme ne semblait guère s’améliorer en Égypte et en Chine, il était difficile de trouver le moindre exemple susceptible d’étayer la théorie du potentiel libérateur des médias sociaux. De fait, après quasiment une décennie d’activisme numérique, les blogueurs égyptiens n’avaient pas réussi à faire évoluer le régime. La contestation était bel et bien présente : de 2004 à 2010, les militants du groupe d’opposition Kefaya et leurs alliés dans la blogosphère égyptienne ont été à l’origine de centaines de manifestations dans les rues du Caire et d’autres villes d’Égypte[8]. On peut même dire qu’ils ont banalisé la pratique des manifestations pendant cette période, même si, à l’époque, la plupart des Égyptiens se contentaient d’observer prudemment et de loin. Ces militants-blogueurs ont également permis de faire éclater les plus importants scandales de la dernière décennie, dont des affaires d’agressions sexuelles au Caire en 2006 et de pratiques de torture dans les prisons. Toutefois, en dépit de l’existence de solides communautés d’activistes numériques qui utilisaient tous les moyens – de Flickr à Facebook en passant par Twitter – pour partager, témoigner et mobiliser, l’avenir de la démocratie égyptienne paraissait sombre. Et la succession d’Hosni Moubarak promise à son fils Gamal…

1. A. Afshari et G. H. Underwood, « The Green Wave », Journal of Democracy, vol. 20, n° 4, octobre 2009, p. 6-10.
2. E. Morozov, The Net Delusion: The Dark Side of Internet Freedom, New York, PublicAffairs, 2011.
3. L. Diamond, « Liberation Technology », Journal of Democracy, vol. 21, n° 3, juillet 2010, p. 69-83.
4. Evgeny Morozov est un jeune chercheur originaire du Belarus qui a notamment été « Yahoo! Fellow » à l’université de Georgetown (ndlr).
5. Cet ouvrage a fait l’objet d’une recension dans Politique étrangère, vol. 76, n° 4, hiver 2011 (ndlr).
6. E. Morozov, op. cit.
7. M. Gladwell, « Small Change: Why the Revolution Will Not Be Tweeted », The New Yorker, 4 octobre 2010.
8. R. El-Mahdi, « Enough! Egypt’s Quest for Democracy », Comparative Political Studies, vol. 42, n° 8, 2009, p. 1011-1039.

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Crise de la dette et printemps arabe au sommaire du nouveau PE (1/2012)

La crise, certes, mais quelle crise ? Ce numéro de Politique étrangère tente de la cerner, au moins sur un champ de bataille emblématique : l’Europe. Crise monétaire, financière, économique et sans doute systémique pour les économies du vieux continent. On s’efforce ici d’en décrire les divers niveaux, les enchaînements, ainsi que d’analyser les dysfonctionnements d’une décision politique qui semble toujours « en réponse », en arrière ou sur les bas-côtés de l’événement. Comment, depuis 2010, ont pu s’enchaîner les difficultés, les mises en garde, les catastrophes, les parades plus ou moins provisoires, et à quel terme est-il possible d’organiser les réponses : bref, pour combien de temps sommes-nous condamnés aux bihebdomadaires sommets de la dernière chance ?
On suivra donc ici le développement des crises européennes, des crises dans les crises, des crises surdéterminant la crise la plus visible, celle de l’euro. Et on s’interrogera aussi sur cette dette qui campe désormais au cœur du débat sur les politiques publiques. Qu’est-ce qu’une dette d’État ? Comment advient-elle ? Un État peut-il vivre et se développer sans dette ? Et pourquoi les États d’Europe, les plus riches de la planète, affichent-ils une dette qui, sans doute pour la première fois de leur histoire, n’a pas de relation avec le fait guerrier ? Interrogation fondamentale, car si la dette publique est aujourd’hui produite simplement par notre mode de vie, il faut alors mettre en cause sa viabilité, en un temps où les rapports de force économiques sont définis par la mondialisation et non plus par les échanges inégaux nés de centaines d’années de domination politique et économique de l’Occident.
On s’interroge ici aussi sur les grands acteurs de ces crises. Les États, les gouvernements, les classiques puissances économiques et financières, sans oublier la désormais fameuse entité des « marchés financiers » qui semble, dans le débat public, s’être substituée aux opinions ; ni, symbole de ces marchés, de leur cynisme ou de leur simple capacité à prévoir les chaos économiques, les agences de notation – thermomètres simples ou facteurs accélérateurs du mal ? Approfondir l’action de ces dernières, c’est passer au crible un système qui a besoin d’elles, éclairer la nature des logiques d’investissement transnationales qui ont elles-mêmes défini leur place et leur crédibilité.

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Les révolutions arabes, mais quelles révolutions ? Hors la tentation, concrétisée ou non, du soulèvement – ce dernier revêtant des formes spécifiques à chaque pays –, quel point commun entre la Tunisie, l’Égypte, la Libye, le Yémen, les pays où les régimes autoritaires verrouillent encore le destin de leur peuple, ceux où des réformes progressives tentent d’assurer une transition plus ou moins douce ? La difficulté que nous avons, Européens, Occidentaux en général, à penser ces révoltes, au-delà d’une peur rampante ou d’un discret soutien, témoigne d’une incapacité plus large à penser l’espace sudméditerranéen, en dépit de sa proximité, en raison peut-être de sa proximité et de son poids dans notre histoire. Notre surprise devant l’élection régulière de partis islamiques renvoie à notre incompréhension de sociétés toutes – même si à des degrés divers – structurées par le fait religieux, culturellement et socialement. Notre difficulté à nous faire entendre des États en révolution est l’héritage des contradictions de nos stratégies de ces dernières décennies, de ces dernières années, voire de ces derniers mois – y compris après les révolutions : de quelle explication unique couvrir l’intervention libyenne et l’abstention syrienne ? Et notre distance vis-à-vis des développements arabes – voir le silence gêné qui règne en Europe – s’explique aussi par le fait que ces révolutions ne nous voient pas : elles se regardent, elles ne nous considèrent nullement comme des modèles politiques, institutionnels ou moraux, nous qui pensions notre soft power comme une dernière carte au service de notre puissance.
Le dossier que nous consacrons au premier anniversaire des soulèvements arabes est riche de la diversité de leurs expériences : il ne décrit nul modèle… Les révolutions sont en elles-mêmes imprévisibles et ne sont porteuses d’aucun régime. À terme, c’est la nature même – certes évolutive – de la sociologie, de la culture des divers pays qui prévaut. Les dictatures savent parfois se défendre. Des acteurs neufs – ici la « génération Internet » et ses réseaux sociaux – peuvent s’affirmer, mais leur poids réel ne sera clarifié que par le temps, avec leur intégration dans le mouvement général des sociétés. Quant à la leçon la plus immédiate – mais est-elle étonnante ? –, elle est bien que les changements de régime internes entraînent d’abord de profonds bouleversements des rapports de forces internationaux.

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Le nouveau numéro de PE est en librairie !

Le numéro 1/2012 de Politique étrangère vient de sortir. Il comporte deux dossiers intitulés « Comprendre la crise de la dette » et « Les soulèvements arabes : premier bilan », avec deux articles gratuits ici et .

Vous pouvez télécharger le dossier de presse en cliquant ici et retrouver le sommaire en ligne ici.

Vous pouvez également regarder ci-dessous la vidéo de présentation de ce numéro, avec Dominique David, rédacteur en chef de PE :


Crise de la dette, soulèvements arabes… par Ifri-podcast

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Afrique du Nord – Moyen-Orient

Article issu de Politique étrangère (4/2011), paru le 21 décembre 2011, portant sur l’ouvrage Afrique du Nord – Moyen-Orient : révolutions civiques, bouleversements politiques, ruptures stratégiques (éd. 2011-2012) dirigé par Frédéric Charillon et Alain Dieckhoff (La Documentation française, 2011, 146 pages). L’article qui suit a été rédigé par Denis Bauchard.
Retrouvez Denis Bauchard et Frédéric Charillon dans le prochain numéro de PE (1/2012), dans un dossier sur les soulèvements arabes.

Depuis la disparition du regretté Rémy Leveau, la direction de l’ouvrage collectif publié annuellement par La Documentation française sur l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient a été reprise conjointement par Frédéric Charillon et Alain Dieckhoff. Il apporte chaque année une analyse des événements les plus marquants qui secouent ces régions pleines de turbulences. La livraison de cette année fait une large place au « printemps arabe » et à ses conséquences géopolitiques.

F. Charillon, qui l’introduit sur le thème des « révolutions civiques, bouleversements politiques, ruptures stratégiques », essaie de dégager quelques conclusions provisoires à partir de plusieurs constats. Il souligne en particulier la « nature à la fois populaire, consensuelle et spontanée » des mouvements observés. Il remarque que les doctrines d’ensemble face à cette situation sont trop larges. Une « doctrine Powell », comme une « politique arabe » trop globalisante, ne sont plus utilisables. Une approche plus pragmatique, plus au coup par coup, lui paraît à juste titre indispensable. La principale leçon est sans doute celle de la nécessité de la « révision totale d’un certain nombre de concepts ou de référents qui avaient marqué par le passé la relation de l’Europe avec les États arabes ». Ainsi recommande-t-il des « recompositions diplomatiques ». L’Union pour la Méditerranée (UPM) avait fait du président Hosni Moubarak un partenaire majeur pour mettre sur les rails ce projet ambitieux. À l’évidence, la situation actuelle définit une nouvelle donne, qui oblige l’Europe, et plus précisément la France, à adapter ses outils de coopération avec les pays méditerranéens du Sud. Pour les États-Unis, qui ont choisi de soutenir les révolutions arabes, la situation n’est pas sans risques. L’Arabie Saoudite n’a pas caché sa désapprobation sur la façon dont le président Barack Obama a « lâché » le président Moubarak, comme par le passé le président Jimmy Carter avait abandonné le Shah. Pour les acteurs régionaux eux-mêmes, arabes ou non arabes, comme Israël, la Turquie et l’Iran, l’évolution des événements devrait conduire à une adaptation, voire à une redéfinition, de leur politique étrangère.

L’ouvrage aborde successivement les situations de l’Égypte, de la Tunisie et des Territoires palestiniens avant d’analyser le développement préoccupant des activités d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et d’évoquer, plus largement, la place et le rôle de l’islam dans les sociétés arabes.

S’agissant de l’Égypte, Vincent Romani, professeur à l’université du Québec à Montréal, rappelle que la révolution a été précédée dès 2004 de multiples signes annonciateurs, de mouvements sociaux mais aussi d’une contestation politique de plus en plus forte. Il souligne le caractère essentiel des enjeux pour l’armée, qui entend tout à la fois « organiser à son avantage et au plus vite son retrait de la scène politique tout en maintenant son pouvoir économique et politique ». L’évolution récente montre la difficulté pour l’armée de poursuivre ces objectifs largement contradictoires et de gérer la situation en alternant répression et conciliation, tout en s’efforçant de contrôler une épuration qu’elle entend réduire au strict minimum. Elle y réussit pour l’instant au prix d’une dégradation de son image. Quant aux Frères musulmans, qui ont su récupérer la révolution, ils restent à l’évidence un acteur incontournable dans le processus politique qui se précise.

L’évolution de la situation tunisienne, évoquée par Flavien Bourrat, montre à quel point le passage d’un État policier à un État de droit est délicat ; si l’armée se veut gardienne des institutions, son jeu est ici plus clair que celui du Conseil supérieur des forces armées (CSFA) égyptien. Mais en Tunisie aussi, les islamistes entendent récupérer la révolution : s’ils « peinent à définir un projet politique lisible et cohérent », ils demeurent des acteurs inévitables, avec lesquels les révolutionnaires devront compter. Un consensus semble se dégager pour mettre en place des garanties afin d’éviter le retour d’un pouvoir despotique. À cet égard, l’évolution de la Tunisie mérite d’être particulièrement suivie. Plus que tout autre pays arabe, elle détient les atouts pour bâtir une véritable démocratie.

Cet ensemble de contributions reste pertinent à la lumière des évolutions récentes : il donne des clés intéressantes pour la compréhension d’événements parfois déroutants. Si certains traits sont communs à l’ensemble du monde arabe, chaque pays témoigne d’une spécificité qui laisse penser que les révolutions arabes connaîtront sans doute des évolutions et des destins fort différents.

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