Mois : mai 2012 Page 1 of 3

L’énergie et l’économie mondiale

Par Jacques de Larosière, directeur général du Fonds monétaire international (FMI) de 1978 à 1987  (Politique étrangère 3/1980)

RÉSUMÉ : L’évolution probable de l’offre et de la demande d’énergie aura des répercussions sur la croissance de l’économie mondiale. Les actuels déficits de la balance des paiements courants des pays importateurs de pétrole risquent de se révéler plus durables qu’en 1974. Ils s’expliquent par le renchérissement du prix du pétrole depuis 1978, mais surtout par le niveau élevé de la consommation d’énergie. Deux principes devront guider notre politique énergétique : réduire le volume de la composante pétrole d’une part, stimuler la production d’énergie fossile et hydro-électrique et développer les énergies de remplacement d’autre part. Les effets de la situation pétrolière toucheront particulièrement les pays en développement. Face à ce nouveau contexte, le FMI est appelé à relever plusieurs défis. Son action devra se déployer à trois niveaux. Premièrement, celui du financement et de l’ajustement : le Fonds devra prêter des montants plus importants et sur une période plus longue. Deuxièmement, celui du recyclage : le FMI doit pouvoir s’engager dans des actions de recyclage proprement dit, c’est-à-dire emprunter auprès de ceux qui sont susceptibles de prêter. Troisièmement, celui de la gestion des réserves : le FMI devra améliorer le système des liquidités internationales en lui donnant un caractère multilatéral et en élargissant le rôle du DTS.

Après le quadruplement des prix du pétrole en 1973, les pays industrialisés avaient réussi à rééquilibrer leur balance des paiements courants grâce notamment à une baisse des prix réels du pétrole. Mais les déficits massifs de la balance des paiements courants que connaissent aujourd’hui, à la suite des nouvelles hausses décidées par TOPEP, les pays importateurs de pétrole, risquent de se révéler plus persistants. Nous pouvons en effet nous attendre à ce que les tensions sur les prix persistent plus longtemps et à ce que les excédents pétroliers soient plus durables qu’après 1974.
Si le renchérissement du pétrole depuis la fin de 1978 est la cause immédiate des nouvelles difficultés que traverse l’économie mondiale, la cause fondamentale en est le niveau élevé de la consommation d’énergie. Or la structuration actuelle de la consommation énergétique mondiale, axée à 51 % sur le pétrole, reflète en grande partie les faibles prix réels du pétrole pratiqués au cours des années 1960. Les niveaux actuels de la consommation pétrolière dépassent de beaucoup les taux de production qui semblent pouvoir être maintenus à long terme. Tout le monde a certes à l’esprit les nouvelles réserves économiquement exploitables qui ont été découvertes au cours des dernières années (Mexique, mer du Nord, etc.). Mais à la longue, les possibilités de découvertes importantes ont inévitablement une probabilité de moins en moins grande. La réduction de la consommation de pétrole est donc un impératif à long terme. Elle est aussi un impératif à moyen terme, dans la mesure où un grand nombre de pays ne pourront plus longtemps financer des déficits des paiements aussi considérables.
Face à cette nouvelle situation, le Fonds monétaire international est appelé à relever trois défis :
— celui de contribuer à fournir les volumes et les types de ressources dont les pays membres pourront avoir besoin dans les années à venir ;
— celui d’aider ces pays à exécuter les programmes d’ajustement nécessaires ;
— enfin celui de faciliter pour les pays à excédents de capitaux la solution des problèmes que leur pose la gestion de leurs réserves dans un système de taux flottants.

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L’Europe 1972-1980. Données et perspectives politiques

Le document publié ci-dessous, signé par Jacques Vernant et publié pour la première fois dans Politique étrangère n° 4/1972, a été rédigé à l’occasion de la réunion des directeurs d’instituts européens des relations internationales qui s’est tenue à Varna (Bulgarie) les 4 et 5 octobre 1972. Conformément aux directives qui avaient été arrêtées au cours des réunions préliminaires, chaque institut devait y présenter une analyse de la situation actuelle en Europe et les perspectives d’évolution dans les huit années à venir, aux points de vue politique, économique et militaire[1].

***

Analyse de la situation actuelle

Sur le plan global, la situation actuelle nous paraît présenter les traits caractéristiques suivants :
En matière stratégique, l’équilibre qui s’était progressivement instauré entre l’Union soviétique et les États-Unis s’est stabilisé. Le fait nouveau est qu’au cours des dernières années (1969-1972), cette stabilisation est désormais acceptée de part et d’autre comme un fait inéluctable et que l’équilibre stratégique est en quelque sorte « contractualisé ». Les premiers résultats des SALT et les perspectives qu’ils ouvrent, la mise en place en particulier d’une Commission permanente bilatérale compétente pour tout ce qui a trait à l’équilibre stratégique, constitue une nouvelle donnée du système international.
Sur le plan de la politique mondiale, la situation actuelle se caractérise par la réintroduction de la Chine dans le jeu diplomatique. Cette rentrée, consécutive à la fin de la Révolution culturelle qui avait accaparé toutes ses activités et l’avait amenée à abandonner les actions extérieures déjà engagées, est l’effet d’une reprise en considération par Pékin des problèmes internationaux et d’une évolution de ses partenaires, au premier rang desquels les États-Unis, dans un jeu renouvelé. La participation directe chinoise (notamment du fait de son entrée aux Nations unies) à la vie politique internationale a pour conséquence qu’à cet égard on peut parler d’un système triangulaire. La nature des relations de ces trois puissances exclut à moyen terme :
a) un véritable conflit militaire mettant directement aux prises l’une d’entre elles contre une autre[2] ;
b) une convergence politique permettant un véritable front diplomatique de deux d’entre elles contre la troisième.
Une troisième caractéristique de la situation actuelle consiste en l’émergence de conflits d’ordre économique et monétaire d’importance comparable à celle des conflits politiques et idéologiques et susceptibles, dans un avenir non lointain, d’apparaître en première place. La situation actuelle fait en effet apparaître au premier plan des problèmes économiques et monétaires entre les États-Unis et l’Europe ; entre les États-Unis et le Japon ; entre les pays d’Europe occidentale ; entre l’Union soviétique et ses alliés européens ; enfin entre l’Europe occidentale et l’Europe orientale.
Alors que l’Europe ne connaît plus de problèmes politiques sérieux, des conflits persistent en Extrême et au Moyen-Orient, ce dernier ayant une incidence directe sur l’Europe occidentale. En Europe, les problèmes qui paraissaient insolubles et qui provoquaient des tensions dans les années de l’après-guerre ne se posent provisoirement plus à la suite d’initiatives diplomatiques auxquelles ont participé les États européens intéressés et les Quatre qui demeurent responsables des questions ayant trait à l’ensemble de l’Allemagne. Du point de vue politico-diplomatique, l’Europe est devenue une zone de « basse tension », sinon de paix. Les problèmes qui s’y posent sont à la fois d’ordre international (dans le domaine monétaire par exemple) et d’ordre interne : amélioration des conditions de vie (rémunération en termes quantitatifs et qualité de la vie), précarité de certains régimes (Espagne, Portugal, Grèce) ou problèmes de « succession » (Yougoslavie après Tito). Ces problèmes paraissent se poser à l’Est comme à l’Ouest.
Dans ce contexte, les conflits du Vietnam et du Moyen-Orient paraissent à certains égards comme des anachronismes. Ils témoignent en tout cas de la persistance des réalités et des volontés nationales et de l’impuissance des Grands à contrôler des sous-systèmes régionaux.
Sur le plan global, l’évolution actuelle pose la question de savoir quel rôle peut jouer le Conseil de Sécurité de l’ONU et plus précisément quel rôle peuvent jouer ses cinq membres permanents, qui ont en principe égale compétence pour le maintien et le rétablissement de la paix. L’expérience de la concertation à quatre sur le Moyen-Orient tend à prouver que les États-Unis préfèrent la recherche de solutions par le moyen de consultations bilatérales avec l’Union soviétique.

  • Si l’on passe du plan global au plan européen, on y constate l’existence de deux sous-systèmes :
    Du côté occidental, les relations entre les pays européens sont affectées de la contradiction qui était perceptible dès la naissance de l’« Europe » avec la CECA — mais qui s’est révélée plus nettement lorsque le général de Gaulle a dirigé la politique française — entre l’orientation vers une communauté atlantique et l’orientation vers une Europe indépendante. Plus théorique — encore qu’ayant des effets politiques — est une seconde contradiction entre la tendance à l’intégration et la tendance à la coopération ou l’harmonisation. Ces deux contradictions alimentent un débat politique entre les gouvernements et les partis politiques de l’Europe de l’Ouest ; et l’élargissement de la Communauté, bien loin de terminer ce débat l’a ranimé.
    Du côté oriental, il semble que le même débat qu’à l’Ouest oppose les tenants de l’intégration et ceux de la coordination. Le débat correspondant à celui qui existe à l’Ouest entre « atlantisme et indépendantisme » européen n’existe pas à l’Est : l’intégration implique en effet l’intégration avec l’Union soviétique. L’alternative d’une politique indépendante des pays de l’Europe de l’Est n’est envisagée et mise en pratique que par la Yougoslavie, la Roumanie, et à certains égards l’Albanie. Ce contexte crée une disparité entre Européens de l’Ouest et Européens de l’Est et explique les hésitations de certains Européens de l’Ouest devant les prolongements institutionnels de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe.
    Ces difficultés d’aménagement des deux sous-systèmes occidental et oriental européens et les problèmes qui persistent dans leurs relations cœxistent avec des pressions qui se font sentir de part et d’autre dans le sens d’un élargissement et d’un approfondissement des relations économiques, techniques et culturelles intersystèmes. Ces pressions sont plus ou moins marquées selon les pays mais elles ont abouti en ce qui concerne la France et les pays de l’Est, et en particulier l’Union soviétique, à l’institutionnalisation des efforts de coopération et à des réalisations importantes, en même temps que sur le plan politique on constatait un rapprochement significatif des positions françaises et soviétiques sur les problèmes en suspens (Vietnam et Moyen-Orient).
  • Quant aux structures sociales, elles paraissent en voie d’évolution tant à l’Est qu’à l’Ouest. L’Ouest, c’est-à-dire l’Europe de l’Ouest, ne paraît pas être tout à fait sortie d’une crise qui affecte la société de consommation. Elle se caractérise par :
    a) L’accélération des concentrations financières et industrielles dans tous les secteurs importants de la production. Ces concentrations prenant la forme d’entreprises multinationales posent dans certains secteurs des problèmes aux gouvernements nationaux. À ces problèmes, les divers gouvernements ont jusqu’à présent apporté des réponses différentes, le gouvernement français s’en préoccupant plus que ses partenaires européens.
    b) Les opinions occidentales s’interrogent d’autre part sur le rôle que les technocrates jouent en effet et peuvent jouer légitimement dans la société actuelle.
    c) Enfin, l’universalisation du système d’enseignement à un niveau toujours plus élevé, crée des problèmes de débouchés et d’orientation.

À l’Est, il ne semble pas que le problème posé à l’Ouest par les sociétés transnationales ait son équivalent. Par contre, on peut penser que les deux autres questions s’y posent comme en Europe occidentale, à savoir, la place des scientifiques et des technocrates dans la société par rapport aux politiques, et la conciliation de la généralisation et de la prolongation de l’enseignement avec l’orientation des jeunes en fonction des débouchés. Sans doute la planification de l’économie permet-elle en principe de résoudre ces problèmes mais il ne paraît pas sûr qu’en fait, on y parvienne de manière pleinement satisfaisante.

  • Dans le contexte actuel, les intérêts nationaux, chez les grandes puissances, prennent le pas sur les considérations idéologiques. C’est aussi le cas, ce qui ne saurait surprendre, pour les puissances de moindre rang. À l’Ouest, les efforts d’unification butent, nous l’avons dit, sur des intérêts divergents qui, s’ils ne sont pas pris en considération dans un système démocratique, risquent d’avoir des conséquences électorales et politiques qu’aucun gouvernement n’est disposé à affronter. À l’Est, encore que contenus dans le cadre beaucoup plus rigide de la solidarité socialiste autour de l’Union soviétique, les intérêts nationaux ne peuvent cependant être négligés ; mais ils s’affirment plutôt sur le plan économique et culturel que sur le plan politique. À cet égard, les résultats de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe pourraient être un instrument permettant à ces intérêts nationaux de s’exprimer sans pour autant provoquer de crise.

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1. Cet article est le premier d’une série de trois publiés dans ce numéro sous le titre « l’Europe 1972-1980 » ; les deux suivants étaient intitulés : « Données et perspectives économiques », par Mario Levi ; « Données et perspectives militaires », par Jean Klein.
2. Cela n’excluant évidemment pas des incidents de frontières.

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France Culture parle de PE

Jacques Munier, sur France Culture, accorde une place de choix à PE dans son émission « L’Essai et la revue du jour » (du lundi au vendredi de 6h35 à 6h45 ), en passant en revue les deux derniers numéros de la revue : le 4/2011 avec son dossier sur « La déconstruction européenne? » et le 1/2012 qui propose de « Comprendre la crise de la dette ». 7 minutes passionnantes à écouter ici.

La paix de demain

Ce texte a été publié pour la première fois dans Politique étrangère, no 4/1939.
Richard Coudenhove-Kalergi (1894-1972), docteur en philosophie, publie, dès 1923, un ouvrage où il expose son projet d’unité européenne, Paneuropa, et fonde le mouvement paneuropéen : le premier congrès se réunit à Vienne en 1926 et rassemble près de 2000 participants. Il influence le projet d’Union européenne présenté par Aristide Briand devant la Société des Nations en 1929, puis crée en 1948, à Gstaad, l’Union parlementaire européenne. La même année, lors du Congrès de l’Europe à La Haye, est créé le Mouvement européen, dont Coudenhove-Kalergi sera président d’honneur.Lors de la publication de cet article, le Pacte d’acier vient d’être signé entre l’Allemagne et l’Italie (mai 1939).

Les facteurs de résistance à la guerre
Le fait dominant de notre temps, c’est que nous assistons à la seconde guerre européenne. La première phase de cette guerre s’est ouverte le jour où les troupes allemandes ont franchi les frontières autrichiennes pour annexer l’Autriche. Depuis, progressivement, l’Allemagne a occupé d’autres territoires, faisant pour chaque opération emploi de méthodes différentes, mais où se retrouvait toujours le même chantage à la guerre.
Je crois que cette première phase est terminée par le fait très simple que la France et la Grande-Bretagne ont dit « non » aux nouvelles prétentions de l’Allemagne ainsi formulées. Mais d’autres phases sont là qui se développent : la guerre des armements, la guerre économique, la guerre de propagande et, la dernière, la guerre des nerfs. Car le Troisième Reich garde l’espoir que la résistance morale des pays démocratiques se lassera un jour et qu’il sera alors possible de provoquer une grande conférence européenne où seront posées les bases de l’hégémonie allemande en Europe centrale d’abord, puis dans l’Europe entière.
Contre ces méthodes se dressent actuellement la France et l’Angleterre.Les discours prononcés par le président du Conseil français et le Premier ministre britannique[1] marquent une étape décisive dans le développement de cette guerre nouvelle. Car, soyons-en sûrs, les réserves matérielles et morales des puissances occidentales sont de beaucoup supérieures à celles de l’Axe et, si la France et l’Angleterre sont décidées à mener cette deuxième guerre mondiale, elles la gagneront.
Mais il ne suffit pas seulement de savoir qui sera le gagnant de cette guerre ; il faut aussi considérer si elle peut ou non dégénérer en une guerre sanglante. Ce sont là deux problèmes auxquels il faut faire face : le problème de la paix et le problème de la liberté. Il s’agit d’une part d’empêcher l’hégémonie allemande en Europe, et d’autre part de le faire, si possible, sans risquer le sang des peuples.
Cette guerre non sanglante peut se gagner à la seule condition que l’idéal de paix, qui a toujours guidé les deux grandes puissances occidentales, soit complété par une volonté plus forte encore de liberté. En d’autres termes, si la paix est un grand idéal pour lequel on lutte et on a lutté, elles doivent se rendre compte qu’il y en a un plus grand encore, celui de la liberté, et que mises en demeure de choisir entre le sacrifice de la paix et celui de la liberté, elles doivent savoir sacrifier la paix pour sauver la liberté. C’est dans toute l’histoire l’impératif qui s’est posé à toutes les nations. Seules ont survécu celles qui ont posé la liberté au-dessus de la paix. Or, les événements des derniers six mois ont en effet prouvé que l’idéalisme de la France et de l’Angleterre les portait bien à maintenir et à sauver la paix, mais pas au prix de la liberté. On peut donc résumer ainsi la situation : cette guerre européenne va-t-elle pouvoir se terminer sans que commence la grande lutte sanglante ? Je crois que seul le chancelier Adolf Hitler peut répondre à cette question, parce qu’il est sûr qu’aucun autre État ne la commencera et que la France et l’Angleterre feront l’impossible pour la repousser. Si l’Allemagne attaque, si elle est prête à risquer la guerre, alors nous aurons une guerre sanglante.

1. Édouard Daladier (1938-1940) et Arthur Neville Chamberlain (1937-1940) (NDLR).

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