Dans une interview accordée le 17 décembre à La Croix, Kirsty Hughes, directrice du Scottish Center on European Relations, revient sur le Brexit et ses conséquences pour le Royaume-Uni, notamment les Écossais. Kirsty Hugues est l’auteure de l’article « Le Brexit et la fragmentation du Royaume », dans le dernier numéro de Politique étrangère (n° 4/2020) qui consacre son dossier principal au Brexit.
La Croix : Avec le Brexit, les tensions entre les différentes composantes du Royaume-Uni s’accentuent. Y a-t-il le risque d’un éclatement ?
Kirsty Hughes : Il y a des tensions constitutionnelles entre les quatre parties du royaume, l’Écosse, l’Irlande du Nord, le pays de Galles et l’Angleterre, ce qui peut paraître étonnant pour un pays qui n’a pas de Constitution écrite. Ces tensions existaient avant le Brexit, depuis le référendum écossais de 2014, même si le vote a donné une majorité de 55 % pour rester dans le Royaume-Uni.
Le camp indépendantiste s’est mis à espérer. Il a toujours eu le soutien des jeunes, et aujourd’hui les deux tiers des personnes de moins de 50 ans soutiennent l’indépendance. Et le fait que Londres et Édimbourg s’étaient mis d’accord, à l’époque, pour ce référendum qui aurait pu mettre fin à l’unité du Royaume-Uni, fut une grande avancée.
Aujourd’hui Boris Johnson refuse un tel référendum. Or, depuis que le pays est sorti de l’UE, 51 à 58 % des Écossais soutiennent l’indépendance. Car beaucoup désapprouvent la gestion de la crise sanitaire par Boris Johnson et son gouvernement. Les Écossais non indépendantistes, comme les conservateurs et les travaillistes, font eux aussi confiance à la première ministre écossaise et cheffe du parti indépendantiste (SNP) Nicola Sturgeon, qui a obtenu 70 % d’approbation, pour sa gestion du Covid-19.
Une réunification de l’Irlande serait-elle aussi imaginable ?
K. H : Qu’une majorité d’Irlandais du Nord et du Sud souhaite la réunification, prévue dans l’accord du Vendredi saint (1998), est possible dans un proche avenir compte tenu du Brexit. Imaginons aussi que l’Écosse organise un référendum dans deux ans et que les indépendantistes l’emportent, cela aura un impact non négligeable sur la politique en Irlande du Nord. Les Irlandais voudront-ils rester dans le Royaume-Uni réduit à l’Angleterre et au pays de Galles ? La question est : quand veut-on organiser un référendum sur la réunification de l’Irlande ?
Le vote favorable au Brexit est-il l’expression d’un nationalisme anglais ?
K. H : Oui, je le crois vraiment. Et si le pays de Galles a lui aussi voté, à une très faible majorité, pour le Brexit, c’est parce que ce sont principalement des Anglais retraités qui y ont voté dans ce sens. En Écosse, 38 % ont voté pour le Brexit ce qui n’est pas massif, et il s’agissait surtout de gens pauvres qui voulaient que les choses changent.
Le Parti conservateur est de plus en plus un parti anglais et gallois. Il n’existe pas en Irlande du Nord, et en Écosse, il représente 20 à 25 % des voix seulement. Ce nationalisme anglais a été encouragé par les divisions internes au sein du parti et par le fait que les eurosceptiques, minoritaires il y a vingt ans, le dominent aujourd’hui. Je me souviens que Malcolm Rifkind, ancien ministre des affaires étrangères conservateur, aujourd’hui à la retraite, évoquait la nécessité d’un Royaume-Uni plus fédéral, mais les gens comme lui sont désormais minoritaires au sein du parti.
Aujourd’hui, les conservateurs écossais ne se sentent-ils pas plus écossais qu’anglais ?
K. H : Le Brexit a divisé les Tories écossais. La plupart de ses politiciens ont fait campagne pour le Remain, y compris Ruth Davidson, qui était alors la cheffe du parti. Une fois que le résultat en faveur du Brexit a été connu, ils auraient pu tenter d’influencer le gouvernement de Londres pour aller vers un soft Brexit ou même pour organiser un second référendum. Mais au lieu de cela, ils se sont alignés sur la première ministre britannique, Theresa May. Aujourd’hui, alors même que Londres a adopté une approche plus agressive envers l’Écosse, on peut voir au cœur d’Édimbourg, un immense drapeau de l’Union Jack planté sur un grand immeuble !
L’Écosse ne fait plus partie de l’Union européenne. Si elle votait pour son indépendance, sa réintégration serait-elle possible ?
K. H : Pour l’heure, l’Union européenne cherche plutôt à bâtir une meilleure relation avec Londres, elle n’est pas favorable à l’éclatement du Royaume-Uni. Sur l’indépendance de l’Écosse, les Européens ne prendront pas position, ils resteront neutres. Mais si la séparation est agréée avec Londres, je pense que l’UE accepterait d’intégrer l’Écosse en tant qu’État indépendant. Car c’est une économie de marché, une démocratie de longue date. Si l’Écosse vote pour son indépendance dans deux ou trois ans, elle pourrait rejoindre l’UE d’ici à 2030. Et si l’Irlande du Nord quitte aussi le Royaume-Uni, l’Angleterre et le pays de Galles vont peut-être enfin vivre dans le monde d’aujourd’hui, au lieu de vivre dans le mythe d’une grandeur passée.
Retrouvez l’interview de Kirsty Hughes ici.
Retrouvez l’article de Kirsty Hughes ici.
Retrouvez le sommaire du numéro d’hiver 2020-2021 de Politique étrangère (n° 4/2020) ici.
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