Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2025 de Politique étrangère (n° 2/2025). Lily Grumbach propose une analyse de l’ouvrage de Kevin Rudd, On Xi Jinping: How Xi’s Marxist Nationalism Is Shaping China and the World (Oxford University Press, 2025, 624 pages).

Depuis l’arrivée de Xi Jinping à la tête du Parti communiste chinois (PCC) en 2012, on ne compte plus les publications sur le dirigeant chinois. Tandis que certains esquissent le portrait psychologique du président, d’autres, comme Kevin Rudd, prennent à bras-le-corps le système idéologique qu’il a déployé au fil des années et ses implications concrètes sur les scènes intérieures et internationales. Issu d’une thèse soutenue en 2022 à Oxford, On Xi Jinping est le travail d’un praticien des relations internationales qui, entre ses fonctions de Premier ministre, la présidence de l’Asia Society et sa prise de poste comme ambassadeur d’Australie aux États-Unis, a repris un cursus universitaire pour analyser les ressorts idéologiques de la deuxième puissance mondiale.
Rudd développe le concept de « nationalisme marxiste-léniniste » pour décrire la triple rupture de Xi avec ses prédécesseurs post-Mao : renforcement du rôle du PCC sur l’État technocratique, intervention accrue dans l’économie, et affirmation nationaliste sur la scène mondiale. Jusque-là, rien de bien nouveau : l’ouvrage s’inscrit dans la lignée d’analyses d’auteurs comme Steve Tsang, Alice Ekman ou Jean Christopher Mittelstaedt, qui ont tous souligné les conséquences du retour de l’idéologie comme principe structurant du parti-État. Néanmoins, la novation de cet ouvrage s’exprime sous trois aspects.
Premièrement, l’étude sémantique de plusieurs « termes-slogans » (banner terms) qui permet d’élucider le glossaire du PCC en lui redonnant de la profondeur historique. En partant de la remise au goût d’une vision du monde marxiste sous Xi Jinping, Rudd analyse l’émergence, l’évolution et parfois la disparition de concepts clés de la politique intérieure, économique et étrangère du pays. Une étude nécessaire pour qui souhaite étudier les discours chinois et les ancrer dans les soubresauts du système idéologique.
Deuxièmement, au fil de l’ouvrage, Rudd étudie comment Xi a réintroduit une historicisation marxiste du développement socialiste de la Chine, et en explore les conséquences. En rupture avec la prudence de Deng Xiaoping sur la fin de l’étape primaire du socialisme, Xi Jinping fixe 2049 comme horizon de la « nouvelle ère », portée par les « grands bouleversements inédits depuis un siècle ». Inscrite dans la confiance dans la montée en puissance de la Chine face au déclin de l’Occident et portée par la correction des inégalités développées pendant la période des réformes, la « résolution sur l’histoire du Parti » (2021) œuvre à instaurer ce que l’historien François Hartog décrirait comme un nouveau « régime d’historicité », un nouveau rapport au temps.
L’ouvrage adopte enfin une posture prospective, s’interrogeant sur l’avenir du régime et les défis qui l’attendent. Si Xi Jinping a consolidé son pouvoir au sein du PCC, Rudd souligne les vulnérabilités du modèle chinois : ralentissement économique, tensions sociales croissantes, incertitudes sur la stabilité politique de long terme. Loin de prédire l’effondrement imminent, l’auteur met pourtant en garde contre les dynamiques internes qui pourraient fragiliser l’édifice construit par Xi.
Bien que le recours aux cadres analytiques occidentaux de « droite » et de « gauche » pour décrire les tendances sous Xi soit généralement caduc, l’ouvrage reste essentiel pour comprendre la trajectoire idéologique de la Chine contemporaine.
Lily Grumbach
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