Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2025 de Politique étrangère (n° 3/2025). Alain Antil, directeur du Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri, propose ici une analyse de l’ouvrage dirigé par Ladji Karamoko Ouattara, Le Sahel. Enjeux géopolitiques et stratégiques au XXIe siècle (Karthala, 2024, 326 pages).

Cet ouvrage collectif, dont les auteurs appartiennent au réseau de chercheurs Thinking Africa, ambitionne, dans le cadre d’un observatoire du Sahel, d’interroger les évolutions sociétales, économiques et sécuritaires des pays de cette région au regard de grandes évolutions stratégiques et climatiques.
La première partie questionne les enjeux de paix et de sécurité, la deuxième documente certains aspects des crises sociétales des pays sahéliens, et la troisième rassemble des textes qui abordent à la fois l’impact, sur la zone, des évolutions climatiques, démographiques et des relations internationales. L’ouvrage croise des approches nationales et transversales. Il est plutôt axé sur l’évolution du Sahel central, devenu ces dernières années la zone du monde où l’on déplore le plus de victimes du terrorisme.
Comme cela est généralement le cas dans les ouvrages collectifs, les contributions sont inégales, se chevauchent parfois, mais ont, a minima, l’intérêt d’actualiser les connaissances sur différents dossiers. Certains textes ont le mérite de mettre en chantier des thématiques moins communes dans la littérature scientifique, comme les entrées « Enjeux de l’accès à internet et collecte de données dans un environnement de crise sécuritaire et humanitaire au Sahel » de Salimata Traoré ou encore « La “Community Policing”. Enjeux et perspectives pour une réforme sécuritaire réussie et viable au Sahel » de Ramatou Adamou Gado.
On retiendra toutefois plusieurs textes de haute facture. Parmi eux, celui de Lamine Savane, « Quand les djihadistes font la loi au Mali : “Non aux services sociaux de base !” », qui illustre brillamment une des nouvelles tendances de la recherche sur le Sahel, autour de la « gouvernance djihadiste », autrement dit la description de la manière dont les groupes salafistes-djihadistes administrent les localités conquises. En effet, même si ces groupes n’ont pas encore réussi à conquérir des villes, ils contrôlent, au Mali comme au Burkina Faso, des zones rurales, des villages et petites bourgades, et peuvent donc mettre en application – eux qui contestent l’administration corrompue des États post-coloniaux et de leurs élites – leur projet de société. Ainsi, une fois contrôlé un territoire et chassées les forces de sécurité nationale, l’administration ciblée en priorité par les salafistes-djihadistes est l’école. La cartographie des écoles fermées offre d’ailleurs l’image la plus fidèle de la présence djihadiste : en mai 2022, 1 858 écoles étaient fermées sur un total 8 666, soit 23 % des écoles maliennes. Dans certaines régions l’impact est encore plus grand, comme dans celle de Mopti (Centre) où 44 % ont été fermées. Les salafistes-djihadistes détruisent les écoles, menacent les écoliers et les professeurs. Les seuls services de l’État tolérés restent les services de santé, mais une grande partie des agents de l’État fuient ces zones.
Au total, cet ouvrage constitue une bonne porte d’entrée pour découvrir les problématiques sahéliennes. Mais, hormis quelques entrées, il ne renouvelle pas suffisamment les approches sur les évolutions sahéliennes dont certains pays sont d’ailleurs curieusement exclus.
Alain Antil
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.