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La Chine au risque de la dépendance alimentaire

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Marie-Hélène Schwoob propose une analyse de l’ouvrage de Jean-Marc Chaumet et Thierry Pouch, La Chine au risque de la dépendance alimentaire (Presses universitaires de Rennes, 2017, 216 pages).

Jean-Marc Chaumet et Thierry Pouch brossent un tableau des problématiques de sécurité alimentaire auxquelles la Chine est aujourd’hui confrontée, et exposent en détail les causes de cette insécurité (évolution de la demande alimentaire chinoise, manque de ressources en terres et en eau, problématiques liées au foncier…), ainsi que les politiques mises en place par le gouvernement pour tenter d’apporter des réponses à ce qui reste encore aujourd’hui une priorité stratégique pour le pays : assurer un taux d’autosuffisance alimentaire minimal pour sa population.

Surpeuplement chinois et ses conséquences

En 1965, date à laquelle René Dumont rédige cet article pour Politique étrangère, la Chine compte environ 700 millions d’habitants, soit deux fois moins qu’aujourd’hui. L’agronome estime que la Chine est surpeuplée au regard de ses capacités agricoles. Il prévoit une catastrophe humanitaire si les autorités chinoises ne parviennent pas à réguler la croissance de la population et à augmenter la productivité des agriculteurs. En 1979, la Chine met en place la politique de l’enfant unique.

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 Le surpeuplement domine l’histoire de la Chine, de longue date. On comprend mieux les différences d’évolution de l’agriculture indienne et de l’agriculture chinoise quand on se rappelle que l’Inde fut longtemps un pays dépeuplé, où se prolongèrent tardivement des spéculations d’élevage extensif, d’agriculture très extensive, tandis que très tôt la Chine connut, dans certaines parties de son territoire, notamment dans le débouché de la vallée de la Weï sur le Fleuve Jaune, un surpeuplement qui l’obligea à pratiquer, bien avant l’Europe occidentale, l’agriculture intensive ; c’est-à-dire la quête acharnée de tous les éléments fertilisants possibles, la maîtrise de l’eau, de l’aménagement hydraulique pour améliorer l’irrigation et le drainage et se défendre contre les crues.

La rareté du sol, par rapport à la population, a incité à une appropriation foncière relativement précoce, donc à une rente foncière prélevée par le propriétaire ; donc à des difficultés avec les paysans sur lesquels était prélevée cette rente. Certains ont pu dire que l’histoire de la Chine est parsemée de révoltes paysannes qui, souvent, aboutirent à abattre le pouvoir, sans en constituer un autre.

Ce surpeuplement, selon les démographes, semble s’être accentué, au début du XVIIe siècle. On s’étonne et l’on recherche pourquoi cette expansion démographique est devenue plus rapide, à partir de 1600, alors que la Chine ne connut pas de révolution technique, comparable à celle qui détermina l’explosion démographique de l’Europe, au XIXe siècle. On ne voit pas de révolution agricole, même avec le riz repiqué – méthode ancienne – et l’introduction du maïs et sa généralisation. On constate des progrès, mais rien qui amène un bouleversement, ni dans la médecine, ni dans les techniques industrielles et agricole.

Si l’on accepte, avec des réserves, la définition d’Yves Lacoste, dans sa géographie du sous-développement, celui-ci est caractérisé par une croissance démographique qui dépasse la croissance économique dans l’ensemble du Tiers-Monde. On pourrait dire, dans ce sens, que la Chine fut un précurseur du sous-développement, puisqu’elle répondait à cette définition dès le XIXe siècle.

Il semble en effet qu’au XIXe siècle, la croissance démographique ait, à certains moments, débordé la croissance économique. D’où l’affaiblissement de cette Chine. D’où les interventions européennes ; d’où les révoltes prolongées, et la rareté de la terre et celle de l’argent ; ce qui augmente le loyer du sol, et l’intérêt de l’argent, et rend encore plus difficile la situation paysanne et provoque un sentiment non seulement de misère, mais une absence d’espoir de sortir de cette misère, et conduit à la révolte. On pourrait dire que le communisme en Chine, est la conséquence d’un surpeuplement qui ne s’est pas accompagné d’un développement économique satisfaisant, ni d’une industrialisation. Ceci a provoqué des difficultés entre les paysans et les éléments dirigeants. Schéma de choses en réalité plus complexes.

Le fait nouveau, depuis la prise du pouvoir le 1″ octobre 1949, par le gouvernement communiste, c’est que des mesures sérieuses doivent réduire la mortalité, améliorer l’instruction et l’hygiène. Or, voici que l’explosion démographique prend des dimensions inconnues. Avant 1960, la croissance démographique n’avait jamais atteint ou dépassé seulement légèrement le 1 % l’an. Elle a dépassé 2,3 % pendant le premier plan. Ce sont les chiffres donnés, qui tous sont incertains. La certitude, c’est que l’accroissement démographique est plus rapide depuis 1949 jusqu’en 1964. La Chine est confrontée à des difficultés alimentaires croissantes.

Dans la première phase de la prise de pouvoir, 1949/1952, une reconstruction assez rapide permet d’améliorer la situation. Il semble que la courbe d’accroissement de production commence à s’infléchir légèrement pendant le premier plan quinquennal, c’est-à-dire, de 1952 à 1957 ; d’où la décision du gouvernement de chercher à augmenter l’écart entre la production alimentaire et la population, écart sur lequel on fonde l’équipement ; écart grâce auquel on achète des biens d’équipement, pour accélérer la croissance de l’agriculture.

Ce furent alors les grands travaux hydrauliques de l’hiver 1957/1958, puis le grand bond en avant et les Communes populaires de 1958. Mais, deux années auparavant, une action avait été entreprise sur l’autre courbe. On avait cherché à réduire la natalité. Première série des campagnes pour le contrôle des naissances, 1956/1957, qui s’est prolongée plus ou moins, suivant les provinces. Une propagande, qui recommandait les moyens contraceptifs, choquait, par sa crudité, une pudibonderie des paysans chinois.

1958 marque un complet retour de bâton, un changement politique à vue. Le slogan de l’époque est alors : « une bouche nouvelle, ce sont deux bras de plus ». Les bras étant capables de produire la nourriture nécessaire à ladite bouche, le problème de la population ne se pose plus. Il suffit de briser les lois du développement économique en l’accélérant. Et c’est le grand bond en avant, qui s’accompagne d’une condamnation formelle de toutes les mesures de contrôle des naissances.

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