Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2012). Christophe Venet, chercheur associé au programme Espace de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de James Clay Moltz, Asia’s Space Race: National Motivations, Regional Rivalries, and International Risks (New York, Columbia University Press, 2011, 288 pages).

Le 13 avril 2012, la Corée du Nord tentait pour la troisième fois de mettre un satellite en orbite. Si l’essai s’est soldé par un nouvel échec, après ceux de 1998 et de 2009, l’événement a jeté une lumière crue sur les liens entre les programmes spatiaux nationaux et les jeux de puissance régionaux en Asie. C’est à l’analyse de ce cocktail potentiellement détonnant que s’attelle James Clay Moltz.
La thèse principale de l’ouvrage est que la compétition croissante entre les programmes spatiaux nationaux en Asie a débouché non pas sur une mais sur plusieurs courses à l’espace, qui se déroulent en parallèle : entre la Chine et l’Inde, entre les deux Corées ou encore entre le Japon et la Chine. Pour l’auteur, le potentiel déstabilisateur de ces interactions dépasse largement les risques encourus lors de la course à l’espace entre les États-Unis et l’Union soviétique, en raison de l’augmentation substantielle du nombre d’acteurs par rapport à la période de la guerre froide mais aussi du caractère foncièrement unilatéral – voire nationaliste – des efforts spatiaux asiatiques. L’ambition de J.C. Moltz est d’expliquer l’origine de ces courses à l’espace, pour mieux identifier les mécanismes politiques qui permettraient d’apaiser ces rivalités spatiales.
Son grand mérite est d’intégrer dans l’analyse les facteurs nationaux, régionaux et internationaux de manière cohérente. Il se distingue ainsi des nombreuses monographies qui ont été consacrées aux puissances spatiales asiatiques – principalement à la Chine et au Japon – en ajoutant deux dimensions essentielles : une perspective comparatiste et une profondeur historique panasiatique. De fait, l’ouvrage se penche en détail sur les programmes spatiaux des quatre grands d’Asie – Chine, Japon, Inde, Corée du Sud – mais aussi sur l’émergence de puissances spatiales de moindre acabit, de l’Australie au Vietnam en passant par la Malaisie, la Thaïlande ou les Philippines.
Si l’auteur identifie certaines régularités à l’échelle régionale – notamment au travers du concept de late developer, qui explique le développement rapide des puissances spatiales asiatiques par leur accès à des technologies éprouvées par les pionniers (États-Unis, Union soviétique/ Russie, Europe) –, il insiste aussi sur les spécificités nationales. Ainsi, les orientations pacifistes du Japon ou la Révolution culturelle en Chine ont fortement influencé leurs programmes spatiaux respectifs. De même, l’ouvrage met en lumière les ramifications internationales des courses à l’espace en Asie. Les puissances spatiales établies, au premier rang desquelles les États- Unis, jouent en effet un rôle essentiel dans l’exacerbation ou l’apaisement des rivalités spatiales dans la région, en favorisant ou non les coopérations spatiales internationales.
La thèse libérale – l’interdépendance politique et économique favorise la résolution pacifique des conflits – constitue clairement le fil rouge de l’ouvrage de J.C. Moltz. Si son application au cas de l’Asie spatiale aurait mérité quelques approfondissements théoriques, l’ensemble reste très convaincant, allant bien au-delà des justifications généralement avancées pour expliquer l’émergence rapide de puissances spatiales en Asie.

Christophe Venet

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