Étiquette : course à l’espace

Weapons in Space

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2024 de Politique étrangère (n° 4/2024). Guilhem Penent propose une analyse de l’ouvrage de Aaron Bateman, Weapons in Space: Technology, Politics, and the Rise and Fall of the Strategic Defense Initiative (MIT Press, 2024, 336 pages).

Pourquoi le processus de maîtrise des armements dans le domaine spatial initié à la fin de la guerre froide n’a-t‑il donné lieu à aucun accord ? En quoi cet héritage explique-t‑il les impasses rencontrées aujourd’hui ? Aaron Bateman apporte ici un début de réponse dans un ouvrage remarqué, écho d’une thèse de doctorat sur l’Initiative de défense stratégique (IDS).

Si l’ouvrage n’est pas le premier sur le sujet, il participe, sur la base d’archives récemment déclassifiées et minutieusement exploitées (essentiellement américaines et britanniques), à renouveler les réflexions en se concentrant sur la dimension technologique de l’IDS, en la replaçant dans le contexte large de la militarisation de l’espace et en établissant des liens avec la stratégie spatiale de l’administration Reagan. Bateman rappelle ainsi avec profit que les années 1970 et 1980 sont témoins d’importantes transformations dans les utilisations militaires de l’espace, incitant États-Unis et URSS à mieux intégrer les satellites dans leurs outils militaires et à développer des moyens antisatellites (ASAT). Ces développements n’ont pas participé à rendre l’IDS inévitable, mais constituent des éléments clés pour comprendre son histoire et expliquent pourquoi son ombre continue de porter quatre décennies plus tard.

Asia’s Space Race

Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2012). Christophe Venet, chercheur associé au programme Espace de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de James Clay Moltz, Asia’s Space Race: National Motivations, Regional Rivalries, and International Risks (New York, Columbia University Press, 2011, 288 pages).

Le 13 avril 2012, la Corée du Nord tentait pour la troisième fois de mettre un satellite en orbite. Si l’essai s’est soldé par un nouvel échec, après ceux de 1998 et de 2009, l’événement a jeté une lumière crue sur les liens entre les programmes spatiaux nationaux et les jeux de puissance régionaux en Asie. C’est à l’analyse de ce cocktail potentiellement détonnant que s’attelle James Clay Moltz.
La thèse principale de l’ouvrage est que la compétition croissante entre les programmes spatiaux nationaux en Asie a débouché non pas sur une mais sur plusieurs courses à l’espace, qui se déroulent en parallèle : entre la Chine et l’Inde, entre les deux Corées ou encore entre le Japon et la Chine. Pour l’auteur, le potentiel déstabilisateur de ces interactions dépasse largement les risques encourus lors de la course à l’espace entre les États-Unis et l’Union soviétique, en raison de l’augmentation substantielle du nombre d’acteurs par rapport à la période de la guerre froide mais aussi du caractère foncièrement unilatéral – voire nationaliste – des efforts spatiaux asiatiques. L’ambition de J.C. Moltz est d’expliquer l’origine de ces courses à l’espace, pour mieux identifier les mécanismes politiques qui permettraient d’apaiser ces rivalités spatiales.
Son grand mérite est d’intégrer dans l’analyse les facteurs nationaux, régionaux et internationaux de manière cohérente. Il se distingue ainsi des nombreuses monographies qui ont été consacrées aux puissances spatiales asiatiques – principalement à la Chine et au Japon – en ajoutant deux dimensions essentielles : une perspective comparatiste et une profondeur historique panasiatique. De fait, l’ouvrage se penche en détail sur les programmes spatiaux des quatre grands d’Asie – Chine, Japon, Inde, Corée du Sud – mais aussi sur l’émergence de puissances spatiales de moindre acabit, de l’Australie au Vietnam en passant par la Malaisie, la Thaïlande ou les Philippines.
Si l’auteur identifie certaines régularités à l’échelle régionale – notamment au travers du concept de late developer, qui explique le développement rapide des puissances spatiales asiatiques par leur accès à des technologies éprouvées par les pionniers (États-Unis, Union soviétique/ Russie, Europe) –, il insiste aussi sur les spécificités nationales. Ainsi, les orientations pacifistes du Japon ou la Révolution culturelle en Chine ont fortement influencé leurs programmes spatiaux respectifs. De même, l’ouvrage met en lumière les ramifications internationales des courses à l’espace en Asie. Les puissances spatiales établies, au premier rang desquelles les États- Unis, jouent en effet un rôle essentiel dans l’exacerbation ou l’apaisement des rivalités spatiales dans la région, en favorisant ou non les coopérations spatiales internationales.
La thèse libérale – l’interdépendance politique et économique favorise la résolution pacifique des conflits – constitue clairement le fil rouge de l’ouvrage de J.C. Moltz. Si son application au cas de l’Asie spatiale aurait mérité quelques approfondissements théoriques, l’ensemble reste très convaincant, allant bien au-delà des justifications généralement avancées pour expliquer l’émergence rapide de puissances spatiales en Asie.

Christophe Venet

Pour vous abonner à Politique étrangère via la Documentation française, cliquez ici.

Fièrement propulsé par WordPress & Thème par Anders Norén