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[édito] Après le 11 septembre : les États-Unis et le Grand Moyen-Orient

Le dernier numéro de Politique étrangère, consacré au thème « Après le 11 septembre : les États-Unis et le Grand Moyen-Orient« , vient de paraître.

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EDITO

Dix ans après, pourquoi revenir sur un 11 septembre qui n’a cessé de faire parler ? Parce que, volens nolens, la date représente bien un seuil. Un seuil dans la découverte d’un monde nouveau né de l’après-guerre froide, mais demeuré, dans la dernière décennie du XXe siècle, une sorte de brouillon quelque peu mystérieux. Un seuil dans l’utilisation symbolique de la violence contre la puissance – le « génie » terroriste est là : non dans la frappe elle-même, somme toute assez élémentaire quant à sa manœuvre, mais dans le choix de la cible : les Twin Towers, image de la modernité, de la richesse et de l’arrogance du fort. Un seuil aussi dans l’évolution de la société internationale : la violente mise en cause de la force américaine s’est accompagnée ces dix dernières années de l’affirmation progressive de pays qui seront demain les puissances « émergées », lesquelles, au sens le plus précis de l’expression, bouleverseront l’ordre du monde.

La frappe traumatisante du 11 septembre a eu des effets directs sur les rapports de force dans le monde. Un instant tétanisée, la puissance dominante de la planète, fugitivement rêvée en « gendarme du monde » dans les années 1990, a violemment réagi, en développant une irrépressible force de transformation. Transformation des visions classiques de la sécurité – la « guerre contre la terreur » a d’abord été une lutte contre les terroristes, renforcée dans toutes les sociétés concernées et en définitive relativement victorieuse. Les victoires ne peuvent être ici que relatives, mais se prouvent par l’absence ou la limitation des faits : le monde n’a pas connu, ces dernières années, les dévastations qui semblaient promises par le coup inaugural du 11 septembre. Transformation de certains rapports internationaux au nom de cette lutte globale contre la terreur : rapports d’alliances redéfinis, coopérations entre services de police ou de renseignement, etc. Transformation, enfin, dans un espace cardinal supposé être à l’origine de nombre de maux « terroristes » : le monde musulman, plus ou moins assimilé, dans une certaine pensée américaine, au « Grand Moyen-Orient » des discours bushiens.

Cette puissance transformatrice, les États-Unis l’ont maniée sans complexe, appuyés sur leurs deux cartes maîtresses : la puissance économique et la puissance militaire. Avec des résultats complexes à analyser. L’efficacité a été moins globale que prévu : l’emblème est ici le destin pour le moins incertain de la zone AfPak. Et, paradoxe, là où elle fut incontestable, la transformation s’est révélée au final plus perturbatrice qu’organisatrice : voir l’exemple irakien et plus largement la région moyen-orientale au sens traditionnel de ce terme.

C’est donc à travers le prisme du Moyen-Orient – de stricte ou de large définition – que ce numéro de Politique étrangère a choisi d’analyser, dix ans plus tard, les conséquences du 11 septembre. Un Moyen-Orient décisif – politiquement, économiquement, moralement même – pour des Occidentaux qui donnent encore pour un temps le la des débats politiques de la planète ; mais décisif aussi, par exemple en termes énergétiques, pour la puissance chinoise. Un espace où se joue, depuis les révolutions arabes du printemps 2011, une grande part du débat sur la démocratisation des sociétés politiques, débat largement hérité de la fin de la guerre froide mais qui avait peu progressé après les premiers enthousiasmes des années 1990. Une aire où se joue une bonne part de l’assise diplomatique et militaire de la (toujours) première puissance de la planète.

Que représentent aujourd’hui les États-Unis dans le Grand Moyen- Orient qu’ils essayèrent de définir, de redéfinir sous les deux mandats de George W. Bush ? Une force économique et militaire considérable ? Une référence : positive, négative, ou mêlée ? Une force en voie de marginalisation, ou en plein retour à partir d’autres règles ? Le positionnement de Washington face au printemps arabe a été à la fois hésitant et subtil, et tels Européens qui annoncèrent voici plusieurs mois l’extinction de l’influence américaine dans la région paraissent aujourd’hui bien pressés.

Washington devrait continuer de jouer dans la région trois cartes majeures : sa puissance économique et militaire (même si cette dernière montre ses limites, chacun sait qu’elle reste décisive, comparée à celle des autres) ; son image, contradictoire et mixte dans la plupart des opinions publiques de la zone, sauf sans doute à l’est où elle est plus largement rejetée, en Afghanistan ou au Pakistan ; et l’absence des autres. Chacun souhaite que l’affaire libyenne se termine positivement, au premier chef pour le peuple libyen, puis pour nos armées qui y sont engagées. Mais on ne peut guère prétendre que les derniers mois ont mis en scène des acteurs internationaux susceptibles de remplacer les États-Unis face aux traumatismes régionaux qui s’annoncent.

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Au-delà, se pencher sur le Moyen-Orient dix ans après le 11 septembre dans ses rapports avec l’Amérique, c’est aussi parler de l’ailleurs, du monde qui va, hors des obsessions de la « guerre contre la terreur ». L’équilibre des puissances change, même si le résultat futur du changement n’est pas connu, et le Moyen-Orient est aussi le champ d’exercice de ces nou- veaux rapports de force : avec des puissances désormais de premier rang comme la Chine, ou d’autres comme l’Iran ou la Turquie. Ce nouveau damier de la puissance n’a pas trouvé les formes de cogouvernement qui lui correspondent : la nouvelle gouvernance mondiale hésite et balbutie, et cela se traduit d’abord dans cette région. Enfin, l’ouverture économique et technologique des sociétés modèle de nouvelles formes de vie sociale et politique, sans doute déterminantes pour les systèmes de gouvernement et les gouvernances futures : et cela est aussi à l’œuvre dans l’aire arabe et moyen-orientale.

Le dossier exceptionnel que propose ce numéro de Politique étrangère dépasse donc de beaucoup sa thématique : les rapports entre les États-Unis et le Grand Moyen-Orient dans le sillage du 11 septembre. À travers le devenir d’une région qui reste décisive et celui d’une puissance qui demeure, au-delà de ses traumatismes et de ses erreurs, la « puissance référente », c’est l’avenir des équilibres internationaux qui s’y joue dans ses multiples dimensions : énergétique, démographique, militaire et tout simplement démocratique.

 

Quel avenir pour la diplomatie américaine ?

Article issu de Politique étrangère volume 76, n°2, paru en juin 2011, portant sur les ouvrages The irony of manifest destiny. The tragedy of America’foreign policy (William Pfaff, Walker & Company, 2010, 240 pages) et The frugal superpower. Americas global leadership in a cash-strapped era (Michael Mandelbaum, PublicAffairs, 2010, 224 pages). L’article qui suit a été rédigé par Jolyon Howorth, professeur à l’université de Yale (États-Unis) et professeur de sciences politiques européennes, chaire Jean Monnet, à l’université de Bath (Royaume-Uni).

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Dans son discours du 28 mars 2011 annonçant sa décision d’intervenir en Libye, le président Barack Obama soulignait que le rôle des États-Unis dans cette mission onusienne serait limité et que le leadership serait rapidement transféré aux alliés: « Les États-Unis auront un rôle de soutien » (« a supporting role »). La communauté américaine des stratèges, qui attend depuis deux ans qu’émerge une « doctrine Obama » lisible, pense l’avoir enfin découverte à l’occasion de l’affaire libyenne. Elle pourrait s’intituler le « leadership par l’arrière » (« leading from behind »). Ces deux livres contribuent largement à déchiffrer cet infléchissement décisif de la diplomatie américaine dans la deuxième décennie du XXIe siècle.

William Pfaff retrace, dans un livre d’une érudition exceptionnelle, les sources religieuses, philosophiques, culturelles et politiques de la notion fondatrice de « Manifest Destiny ». Il fait état de ses 200 ans d’histoire mais aussi de son actualité inopérante. Michael Mandelbaum, pour sa part, nous explique pourquoi le 15 septembre 2008 (jour de la faillite de la banque Lehman Brothers) marque le moment où les États-Unis comprennent que leurs dépenses militaires ne peuvent être illimitées et que leur rôle global sera dorénavant plus restreint et modeste: « À l’avenir, les États-Unis se comporteront comme un pays normal » (p.8).

L’expression « Manifest Destiny », utilisée pour la première fois en 1845 lors de l’annexion du Texas, fait de l’expansion transcontinentale puis globale de la puissance américaine une volonté divine. En 1919, Woodrow Wilson affirme que le leadership international des États-Unis n’émane pas d’un plan conçu à Washington mais de « la main de Dieu, qui nous a entraînés sur ce chemin […]; ce fut le rêve de notre naissance. L’Amérique a montré, en toute vérité, la voie. » (p.71.) Selon W. Pfaff, cette foi utopique remonte au siècle des Lumières. Avec la « mort de Dieu », l’homme ne cherche plus une place dans un paradis d’outre-tombe mais tente de créer un paradis sur Terre. Cette aspiration séculière, qui vient remplacer au XVIIIe siècle les croyances religieuses, exige la création d’un monde parfait hic et nunc. En outre, il faut faire vite : la vie humaine se mesure en décennies plus qu’en millénaires… Cette quête d’absolu explique logiquementl’extrême violence du XXe siècle (de Staline à Pol Pot en passant par Hitler et Mao) et sous-tend directement la croisade américaine de l’après-guerre froide. En effet, les États-Unis veulent, pour reprendre les termes du second discours inaugural de George W. Bush en 2005, « abolir le mal » et « mettre fin à la tyrannie » sur le globe. Ce projet se traduit par une tentative d’exportation de la démocratie aux quatre coins du monde, projet ininterrompu depuis Wilson et toujours soutenu, selon W. Pfaff, par la quasi-totalité de l’élite américaine – y compris dans l’entourage d’Obama. Cette ambition presque religieuse, conçue dans une Amérique chrétienne, aboutit à l’« américanisation de la chrétienté » (p.62) : W. Pfaff dénonce sèchement la Manifest Destiny comme « irréalisable, indésirable et dangereuse » (p.194).

Dans un superbe chapitre de synthèse historique, l’auteur nous mène de l’isolationnisme des pères fondateurs à l’interventionnisme wilsonien, montrant à quel point les multiples guerres menées par les États-Unis au XIXe siècle, y compris la guerre contre l’Espagne de 1898 (une « affaire désinvolte qui n’engagea nullement la nation », p.70) avaient surtout pour but de faciliter et de compléter le développement du projet interne. Le tournant wilsonien de 1917-1919 fut définitif et déclencha (malgré les rechutes isolationnistes de l’entre-deux-guerres et de l’immédiat après-1945) toute une série d’interventions, toujours plus idéologiques et manichéennes. Ces opérations, de la présidence d’Eisenhower à celle de Bush, traduisaient en réalité une « forme virtuelle d’isolationnisme, une solution fictive à un problème dont la solution antérieure avait disparu » (p.100).

L’Allemagne, la Libye et l’Union européenne

L’abstention allemande face à la résolution 1 973 du Conseil de sécurité des Nations unies découle des fondamentaux mêmes de la politique étrangère du pays. L’UE a néanmoins démontré dans la crise libyenne sa capacité à adopter des politiques communes en matière de sanctions et dans le domaine humanitaire, avec engagement allemand. Le développement de la Politique de sécurité et de défense de l’UE ne peut se faire qu’autour de missions militaires de faible ou de moyenne intensité, et avec accord entre Paris et Berlin. Article publié dans Politique étrangère n° 2/2011.

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L’abstention allemande lors du vote de la résolution 1 973 du Conseil de sécurité des Nations unies sur la Libye le 17 mars 2011 a suscité beaucoup d’irritation. La presse nationale et internationale a abondamment parlé de l’isolement de l’Allemagne et d’un manque de solidarité entre alliés. Les désaccords des Européens ont été analysés comme un échec de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et rapprochés de la défaillance européenne face à la guerre en Bosnie2. On tentera ici d’ana- lyser plus avant ces deux reproches.

 

La « culture stratégique » : un cadre d’analyse nécessaire

Les décisions d’intervention ne dépendent pas seulement de l’analyse de la conjoncture internationale ou des capacités militaires ; elles sont surtout déterminées par des aspects culturels, normatifs et éthiques, qu’une analyse en termes de «culture stratégique» permet d’appréhender. Dans un premier temps, la littérature scientifique sur ce thème n’indiquait pas clairement si l’analyse devait se limiter aux élites – la culture stratégique étant un « ensemble de croyances, attitudes et comportements semi-permanents des élites » (traduit par la rédaction) – ou s’étendre à la population. L’influence croissante qu’ont les opinions publiques des démocraties sur la prise de décision en matière de sécurité est cependant apparue clairement avec les débats autour des guerres d’Irak et d’Afghanistan ; dès lors, l’opinion publique peut être considérée comme un « élément important du milieu conceptuel qui définit la culture stratégique » (traduit par la rédaction).

Différentes démarches s’attachent à appréhender concrètement les cultures stratégiques à ces deux niveaux : élites et populations. Parmi les catégories centrales d’analyse figurent : les objectifs justifiant l’emploi du militaire, le type des interventions envisagées, la capacité à accepter les pertes, pour soi ou pour l’adversaire, l’espace relatif de la coopération ou de l’action autonome, les formes choisies pour cette coopération, ainsi que la manière dont l’action est légitimée en interne et à l’extérieur.

Nous ne traiterons pas ici de l’ensemble de ces éléments. Nous chercherons plutôt à savoir dans quelle mesure la définition des buts et objectifs de l’usage du militaire est défaillante en Allemagne et à identifier, en la matière, les divergences possibles entre opinion publique et décideurs politiques.

 

Les fondamentaux de la politique étrangère et de sécurité allemande

L’un des problèmes fondamentaux de la politique de défense et de sécurité allemande tient au flou de ses priorités stratégiques. Le Livre blanc sur la politique de défense de 2006 présente de multiples scénarios d’intervention, mais sans hiérarchie claire des priorités. Seule la traditionnelle mission de défense de l’intégrité territoriale s’y trouve relativisée du fait de la conjoncture internationale. Il en va de même pour les priorités géographiques : puisqu’on souligne que les nouvelles menaces présentent fondamentalement un caractère mondial, les hypothèses d’intervention se maintiennent elles aussi à un niveau global. Certes, cette logique montre que l’Allemagne prend ses distances vis-à-vis d’une conception de sécurité focalisée sur l’Europe centrale ; mais la question de savoir quelles régions, quels intérêts sont stratégiquement déterminants reste sans réponse. La vague d’indignation interne que provoqua l’ex-président de la République fédérale Horst Köhler – et sa démission subséquente – en appelant l’Allemagne, grande nation industrielle et commerciale, à sécuriser ses intérêts y compris par des moyens militaires atteste des difficultés allemandes en la matière.

Dans la population, les scénarios d’intervention armée suscitent en revanche des prises de position nuancées. Un sondage de 2006 (l’année de la publication du Livre blanc) d’un institut de la Bundeswehr montre que la stabilisation des régions en crise est jugée comme de première importance pour les forces armées, mais les personnes interrogées ne mettent pas toutes l’accent sur les mêmes zones. 63 % d’entre elles estiment que la Bundeswehr pourrait intervenir dans cette logique en Europe, mais elles ne sont que 33 % à le penser si l’on parle du Proche-Orient et 31 % pour l’Afrique. Le sondage montre également des clivages nets sur les objectifs légitimant une intervention. En cas de menace imminente de génocide, une courte majorité de 56 % soutiendrait l’envoi des forces allemandes. Pour la tenue d’élections démocratiques, les avis positifs ne sont plus que de 38 %, et pour renverser un gouvernement violant les droits de l’Homme, seulement de 18 %. On peut interpréter de manière analogue le fait que ces dernières années (de 2006 à 2010), seule une minorité de sondés estimait que la guerre pouvait être, sous certaines conditions, nécessaire pour établir la justice, une nette majorité rejetant cette affirmation.

L’acceptation des pertes humaines, pour soi ou pour les autres, est étroitement liée à la question de l’emploi du militaire. Dans les deux cas, la tolérance de l’opinion est très faible en Allemagne : la classe politique fait donc de ce problème une sorte de tabou. La controverse sur le monument en l’honneur des soldats morts en opération est significative, tout comme les efforts récurrents des politiques allemands pour éviter de qualifier de « guerre » l’intervention en Afghanistan. Et les victimes étrangères ne sont guère mieux acceptées par l’opinion allemande – comme en témoigne la virulence des critiques suscitées par le bombardement par l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) (sur demande de la Bundeswehr) de deux camions-citernes dans la province afghane de Kunduz. L’indignation médiatique ne visait pas alors seulement les pertes civiles, mais aussi le projet d’« élimination ciblée » de chefs talibans.

L’idée que l’assassinat ciblé d’ennemis, dans une guerre ou dans des circonstances analogues, pourrait être légitime et même nécessaire a été complètement occultée dans le débat allemand. En Allemagne, gouvernement, partis, opinion publique ne se retrouvent donc pas dans un consensus stratégique simple et pérenne autour d’une même conception du recours au militaire. Ce consensus doit être recréé chaque fois que la Bundeswehr est susceptible d’être envoyée en opération extérieure – ce qui a pour effet d’instrumentaliser les thèmes de politique étrangère au service d’objectifs de politique intérieure. À Berlin, les partis se souviennent très bien de la campagne législative de 2002 : marquée par le débat sur l’Irak, elle avait démontré que le thème de la paix pouvait, en Allemagne, faire gagner une élection.

Dans ce contexte, définir les modalités de la participation allemande aux interventions militaires est difficile. La nécessité d’obtenir un mandat détaillé du Bundestag avant chaque déploiement de l’armée allemande – « armée parlementaire » – complique encore la situation : ce n’est plus seulement la question du « si » qui est posée publiquement, mais encore celle du « comment » – aviation de combat, artillerie lourde, etc. ? La prolongation du mandat de la Marine pour l’opération Active Endeavour de l’OTAN, en décembre 2010, a fait l’objet d’un débat difficile, alors même qu’aucune opération de combat n’était à prévoir. L’opposition avait alors résolument désapprouvé la demande du gouvernement, mettant en doute a nécessité même d’une intervention qui vise depuis huit ans à observer et à dissuader les terroristes dans l’espace méditerranéen.

L’examen des opérations extérieures menées par la Bundeswehr montre qu’ou bien elles se sont déroulées dans un cadre limité, avec une préférence pour des interventions de basse intensité, impliquant une faible probabilité d’actions de combat ; ou bien, pour des missions plus larges, plus robustes, elles ont exigé une discussion longue sur la scène politique intérieure, ou été rendues possibles parce que la population allemande se sentait directement et concrètement concernée. Cela a par exemple été le cas lorsque plusieurs centaines de milliers de réfugiés sont arrivés en Allemagne lors des guerres de Yougoslavie, suscitant une vague de sympathie, ou après les attentats du 11 septembre 2001 – la solidarité de la population allemande constituant le fondement même de la participation à l’opération Enduring Freedom. Une phase diplomatique prolongée peut aussi permettre de convaincre l’opinion, comme dans le cas de l’Afghanistan (avec la conférence de Bonn-Petersberg) et des négociations de Rambouillet avec la Serbie sur le Kosovo (leur échec avait constitué un argument plausible en faveur de l’intervention contre le régime Milosevic, qui avait pu être présenté à l’opinion et au Bundestag, même en l’absence d’accord de l’Organisation des Nations unies [ONU]).

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[Les grands textes] L’évolution de la doctrine stratégique aux Etats-Unis (H. Kissinger, 1962)

A l’époque où ce texte est publié dans Politique étrangère (n°2, 1962), Henry Kissinger dirige le programme sur les études de Défense à Harvard. Il est marqué par la crise de Berlin qui s’est déroulée en 1961 et cherche à convaincre les Français que leur pays n’est pas en mesure de se défendre seul contre l’Union soviétique, malgré l’acquisition par la France de l’arme nucléaire en 1960. Il plaide pour un rôle renforcé de l’OTAN et pour une mutualisation des moyens nucléaires au sein de cette organisation. Kissinger ne mentionne pas une seule fois la guerre d’Algérie qui, en 1962, touche pourtant à sa fin. Il est obnubilé par le facteur nucléaire, comme s’il pressentait que quelques mois après la publication de ce texte, les Etats-Unis et l’URSS se retrouveraient au bord de l’affrontement nucléaire, à l’occasion de la crise des missiles de Cuba.

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Depuis que je suis à Paris, après cinq semaines passées en Orient, j’ai eu de nombreuses conversations avec des amis français et je dois avouer que je suis frappé par l’étendue du désaccord et de l’incompréhension qui se sont développés entre nos deux pays. Je ne prétends pas fixer les responsabilités de cet état de choses. Je crois cependant qu’étant donné le temps que nous vivons, on ne peut concevoir d’avenir pour l’Occident sans la plus étroite collaboration entre les Etats-Unis et la France. Je ne puis concevoir que l’un ou l’autre de nos deux pays puisse se développer sans l’autre. Je crois que ni l’un ni l’autre de nos deux pays ne pourra éviter la destruction, si l’autre est détruit Je pense que les dangers auxquels nous aurons à faire face ne seront pas seulement le fait de l’Union soviétique ou de la Chine communiste. Je crois qu’au cours des dix ou quinze années qui sont devant nous, toutes les nations occidentales devront tenir compte d’une menace très sérieuse de la part de nouvelles nations, menace qui doit être étudiée avec le plus grand sérieux. Dans ces conditions, nous ne disposons pas de tant de ressource que nous puissions nous permettre de mener entre nous de guerre civile intellectuelle.

Telle est ma conviction personnelle et en conséquence tout ce que je dis doit être interprété comme venant de quelqu’un qui aimerait voir une France forte et la plus étroite relation entre nos deux pays.

Considérons maintenant les problèmes stratégiques qui ont suscité entre nous un certain malentendu. J’exposerai d’abord comment j’interprète la pensée américaine sur l’OTAN et comment la doctrine américaine envisage les divers efforts pour créer des forces nucléaires nationales. La doctrine stratégique américaine et en vérité la situation stratégique à laquelle elle s’appliquait, ont passé par trois ou quatre phases distinctes. La première est la période pendant laquelle les Etats-Unis possédaient le monopole de l’arme atomique et le monopole des moyens de transport de l’arme. Dans la seconde période, les Etats-Unis ne possédaient plus le monopole de l’arme nucléaire mais continuaient pratiquement à posséder le monopole des moyens de transport de l’arme. Dans cette seconde période, les Etats-Unis auraient probablement pu remporter la victoire dans une guerre générale, soit en frappant les premiers avec les armes nucléaires (first strike), soit en frappant les seconds (second strike). Les forces de représailles des Etats-Unis étaient techniquement parlant invulnérables alors que les forces de représailles soviétiques étaient techniquement parlant vulnérables.

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