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À nous d’écrire l’avenir. Comment les nouvelles technologies bouleversent le monde

avenirCette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2014). Marc Hecker propose une analyse de l’ouvrage de Eric Schmidt et Jared Cohen, À nous d’écrire l’avenir. Comment les nouvelles technologies bouleversent le monde, (Paris, Denoël, 2013, 384 pages).

Le livre d’Eric Schmidt – président du conseil d’administration de Google – et Jared Cohen – directeur de Google Ideas – a fait couler beaucoup d’encre. Son critique le plus virulent, le fondateur de Wikileaks Julian Assange, l’a qualifié de « vision programmatique de l’impérialisme technocratique », accusant ces deux auteurs – affublés du sobriquet de witch doctors – de défendre non seulement les intérêts du capital mais aussi ceux des États-Unis. Le techno-impérialisme serait ainsi le stade suprême du capitalisme. Moins idéologique fut la critique de l’universitaire John Naughton, qui s’est quand même demandé ce que « Schmidt et Cohen avaient bien pu fumer » en écrivant certains passages.

De tels avis ne pouvaient que mettre l’eau à la bouche et la version française était donc très attendue. La déception n’en est que plus grande. Voilà typiquement le genre de livre qui aurait fait un excellent article de revue – les deux auteurs ont d’ailleurs cosigné un bon texte dans Foreign Affairs en 2010 – mais qui s’avère un ouvrage dilué. Quel est son propos ? Exposer la manière dont les technologies numériques bouleverseront nos vies – et le monde – dans un avenir proche.

Les chapitres traitent successivement de l’avenir de l’identité, des États, de la révolution, du terrorisme, des conflits et de la reconstruction. Les auteurs décrivent de nouveaux modes de vie tantôt fascinants – les progrès des hologrammes conféreront bientôt une forme de réalité au don d’ubiquité –, tantôt inquiétants – nous rendons-nous bien compte que les données personnelles stockées dans le cloud sont indélébiles ? Certaines notions développées par Schmidt et Cohen – comme celles de « visa numérique », d’« asile virtuel » ou d’« indépendance virtuelle » – sont originales et stimulantes. Elles ont pour point commun de mettre en avant le pouvoir égalisateur du Web, qui offre d’importantes opportunités aux « petits » acteurs, qui peuvent grandir dans le monde virtuel avant de s’attaquer aux « puissants » du monde réel. Ce pouvoir égalisateur n’a pas que du bon : il peut jouer en faveur d’acteurs mal intentionnés comme les cybercriminels ou les terroristes.

Gouvernance Internet : 3 questions à Bertrand de La Chapelle

Bertrand de La Chapelle dirige le projet « Internet et juridiction » à l’Académie diplomatique internationale. Il siège au conseil d’administration de l’ICANN, organisme international qui gère les noms de domaine, un des principaux organes de gouvernance d’Internet. Il répond à trois questions en exclusivité pour politique-etrangere.com.

Pourriez-vous expliquer la différence entre la gouvernance DE l’Internet et la gouvernance SUR Internet ?
Internet repose sur une distinction de principe entre une couche d’infrastructure logique, qui  permet de transporter les messages et une couche d’applications, qui permettent les usages (mail, World Wide Web, VoIP, médias sociaux, etc.). La gouvernance de l’Internet concerne la couche d’infrastructure logique ; la gouvernance sur l’Internet concerne les applications et les usages.

Quelles sont les principales instances chargées de la gouvernance de l’Internet ?
Il y a un écosystème distribué : l’Internet Engineering Task Force développe les protocoles Internet et le World Wide Web Consortium ceux du Web ; cinq registres régionaux distribuent les adresses IP ; plus de 200 gestionnaires de registres (par exemple l’AFNIC pour le .fr) enregistrent les noms de domaine ; 13 « Root Server Operators » assurent la diffusion de la liste des registres, permettant le routage du trafic ; l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN) enfin, assure la coordination du système de nommage et d’adressage. Ces organisations fonctionnent sur un modèle de gouvernance « multi-acteurs », associant secteur privé, société civile, acteurs techniques et gouvernements.

Comment la gouvernance sur Internet est-elle susceptible d’évoluer au cours des prochaines années ?
La gouvernance des usages touche à la protection de la vie privée, la liberté d’expression, la protection du droit d’auteur ou la lutte contre la cybercriminalité. Le Forum sur la gouvernance Internet (FGI) est un outil de dialogue innovant pour traiter de ces sujets. Mais une tension se développe entre un réseau techniquement transfrontière et un système juridictionnel basé sur les territoires nationaux : faute de traités – qui seraient un outil inadapté – la prolifération de législations nationales introduit un risque de conflits de juridictions. Il nous faut inventer de nouveaux outils institutionnels pour traiter de ces questions, dans le respect du principe multi-acteurs.

Propos recueillis par Marc Hecker, rédacteur en chef adjoint de Politique étrangère

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