Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2012). Yves Gounin propose une analyse de l’ouvrage de Jason K. Stearns, Dancing in the Glory of Monsters: The Collapse of the Congo and the Great War of Africa (New York, PublicAffairs, 2012, 416 pages).
Le livre de Jason K. Stearns constitue probablement l’ouvrage le plus complet et le plus captivant jamais écrit sur le conflit congolais et ses avatars. Un conflit qui, sur un territoire grand comme l’Europe de l’Ouest, opposa pendant près de six ans pas moins de neuf États et causa environ 5 millions de morts.
Le succès du livre tient à son écriture. Suivant une recette très américaine, J.K. Stearns mêle analyses politiques classiques et pages quasi documentaires où il décrit le contexte dans lequel ses interviews se sont déroulées. Une pratique bannie en France, où l’on apprend au jeune doctorant à s’effacer derrière son sujet. Les auteurs américains ne s’embarrassent pas de ces prescriptions, n’hésitant pas à écrire à la première personne et à frôler parfois le récit de voyage. Ainsi du livre de J.K. Stearns qui évoque les récits de Lieve Joris – Danse du léopard (Arles, Actes Sud, 2002) ou L’Heure des rebelles (Arles, Actes Sud, 2007), remarquables descriptions, pleines de finesse et d’humour, de la tragédie congolaise. On pense aussi à la trilogie de Jean Hatzfeld sur le génocide rwandais[1].
Sous la plume de J.K. Stearns, les guerres congolaises s’incarnent. Les anecdotes sur Laurent-Désiré Kabila (il avait transféré les réserves de la Banque centrale dans ses propres toilettes) décrivent un dirigeant falstaffien qui ne troqua jamais le treillis de soldat contre le costume de chef d’État. Son fils, Joseph, lui est en tous points dissemblable – au point que sa filiation est périodiquement mise en doute. Passionné de jeux vidéo (l’ambassadeur de France l’avait affublé du sobriquet de « Nintendo ») et de voitures de course, timide jusqu’au mutisme, il a pourtant réussi, grâce à la communauté internationale, à restaurer une paix ardemment désirée par ses compatriotes.
« Comme les pelures d’un oignon, la guerre du Congo se subdivise en plusieurs guerres ». Gérard Prunier nous les racontait avec son ébouriffante érudition, au risque de nous y perdre[2]. Le livre de J.K. Stearns n’est pas seulement une succession de vignettes sympathiques : il éclaire les ressorts et les rebondissements des deux guerres que connut successivement le Congo. La première débute en novembre 1996, quand les forces rwandaises arment la rébellion dirigée par Kabila, vident les camps de réfugiés hutus agglutinés à la frontière des Kivus et provoquent l’écroulement du régime honni du maréchal Mobutu huit mois plus tard. La seconde débute en août 1998, quand le nouveau chef d’État congolais se débarrasse de son trop encombrant parrain rwandais et ne doit qu’au soutien de ses alliés zimbabwéen et angolais de ne pas être renversé. En bon Américain, J.K. Stearns ne se satisfait pas du fatalisme qui entoure souvent les études congolaises depuis Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad. Plutôt que d’accumuler les vignettes macabres, il veut trouver une « explication rationnelle à un conflit chaotique ». La carence de l’État, mise en avant par l’auteur, en est peut-être une. Les tueries aux Kivus renvoient à un stade préléviathanesque, où « l’homme est un loup pour l’homme » : elles évoquent plus la guerre de Trente Ans que la Seconde Guerre mondiale. Or, la création d’un État hobbesien prend du temps. Le Congo en construira-t- il un rapidement ? L’absence d’esprit civique chez les dirigeants congolais, plus préoccupés de leur survie à court terme que du bien-être de leurs administrés, augure mal de l’avenir.
Yves Gounin
1. Dans le nu de la vie : récits des marais rwandais, Paris, Seuil, 2000 ; Une Saison de machettes, Paris, Seuil, 2003 ; La Stratégie des antilopes, Paris, Seuil, 2007.
2. G. Prunier, Africa’s World War: Congo, the Rwandan Genocide, and the Making of a Continental Catastrophe, Oxford/New York, Oxford University Press, 2009 (voir notre recension de l’ouvrage dans Politique étrangère, vol. 75, n° 4, hiver 2010).
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