Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2012). Emmanuelle Le Texier propose une analyse de l’ouvrage de Ioan Grillo, El Narco : la montée sanglante des cartels mexicains (Paris, Buchet-Chastel, 2012, 358 pages).
Ioan Grillo, grand reporter, britannique de naissance, vit à Mexico City et couvre la « guerre contre la drogue » au Mexique depuis une dizaine d’années. Il tente ici de brosser une histoire à la fois « globale » et « partielle » de l’organisation de l’« industrie de la drogue ». La narration est vivante, la forme parfois proche de celle d’un roman policier ou d’une autobiographie mettant en exergue le rapport du journaliste à son objet. On ne peut pas ne pas penser à la récente publication de sa consœur du journal Le Monde Babette Stern, qui, dans Narco Business : l’irrésistible ascension des mafias mexicaines (Paris, Max Milo, 2011), se livre, dans un style moins littéraire, au même exercice : narration d’une histoire « vivante », parfois sensationnaliste, toujours émaillée de récits biographiques, anecdotes de terrain, notes de presse, souvenirs anciens ou récents d’une part ; analyse fondée sur le recul lié à l’expérience et aux sources universitaires d’autre part.
La thématique est certes courue et le travail de l’enquêteur se mêle à celui du peintre d’une réalité sociale et politique sordide, dramatique et violente. À force de portraits d’anciens trafiquants, de leur famille, de leurs voisins, des prisonniers et ce des deux côtés de la frontière, l’auteur parvient à ses fins : décrire un système qui donne naissance aux organisations mafieuses et aux réseaux criminels qui recomposent les territoires au Mexique (et aux États-Unis). Il « raconte l’histoire de la transformation radicale de ces trafiquants de drogue en escadrons de la mort paramilitaires […] et la brutalité de leur capitalisme mafieux ». On n’y cherchera pas de réflexion sur le caractère transnational des réseaux ou sur les recompositions géopolitiques ; ni les digressions conceptuelles émaillant habituellement les travaux sur le crime organisé. On y trouvera en revanche une multitude de termes désignant l’ascension des cartels mexicains : des réseaux, une industrie, une insurrection, une guerre civile, un cas d’école, un capitalisme mafieux, un « narco-État », un « État captif », un « État failli », un mouvement, un crime organisé, etc. Bref, jamais l’auteur ne choisit une définition stricte.
Une affirmation est pourtant centrale : « La guerre de la drogue au Mexique est inextricablement liée à la transition démocratique. » Ainsi, par la diversité même des notions employées, on voit que les facteurs qui assurent la montée des cartels sont multiples. C’est la description même du phénomène, son « anatomie », comme l’appelle l’auteur en deuxième partie de l’ouvrage, qui en fait la richesse. Si la partie historique reste assez fragile (les relations États-Unis/ Mexique servent seulement de toile de fond), comme celle sur les orientations futures du narcotrafic, la description de la spirale infernale de la violence depuis la fin des années 1980 et celle des différents piliers du mouvement « narco-insurgé » atteignent leur but. Même si le livre emprunte parfois des accents propres à un certain romantisme, l’enquêteur se trouvant passionnément débordé par son objet, l’ironie et parfois l’autodérision permettent aussi de mieux se distancier du bain de sang et des exactions relatées au fil des pages. Le lien qui apparaît comme essentiel est bien la relation inextricable entre corruption, drogue, politique et société globalisée.
Emmanuelle Le Texier
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