Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2012). Samuel Ghiles-Meilhac propose une analyse de l’ouvrage de Stéphanie Latte Abdallah et Cédric Parizot (dir.), À l’ombre du mur : Israéliens et Palestiniens entre séparation et occupation (Actes Sud, 2011, 334 pages).
Parmi les nombreuses représentations saturant les imaginaires collectifs sur la réalité vécue par les Israéliens et les Palestiniens, le mur que les autorités israéliennes ont commencé à construire en Cisjordanie depuis 2002 occupe une place symbolique forte, en particulier pour les Européens. Matérialisation de l’échec du processus de paix, cette réalisation unilatérale est un point d’affrontement politique majeur.
Cédric Parizot et Stéphanie Latte Abdallah ont rassemblé les fruits de rencontres universitaires auxquelles ont participé des chercheurs (notamment en début de carrière, mérite qu’il faut souligner) explorant les nouvelles dynamiques à l’oeuvre sur les enjeux d’espace et de déplacement dans le conflit.
Cette étude, remarquable par l’originalité de son approche, offre au lecteur habitué à des récits où se succèdent affrontements, négociations secrètes et conférences internationales la possibilité de comprendre les nouvelles relations qui se tissent entre les acteurs du conflit à travers le prisme des mobilités et des usages de l’espace.
Ce livre est une invitation à une analyse rigoureuse des phénomènes qui se jouent « à l’ombre du mur ». C’est en portant son regard au-delà de cet édifice que les nouvelles dimensions du conflit peuvent être saisies. Alors que le tracé unilatéral de cet ouvrage non encore achevé semblait donner corps à une frontière définitive entre Israéliens et Palestiniens, c’est un flou, une reconfiguration des enjeux, des stratégies et des échanges qui s’opèrent entre les acteurs locaux et internationaux dans ces quelques milliers de kilomètres carrés.
L’occupation n’a pas cessé et le mur ne signifie pas une souveraineté effective pour les Palestiniens. Les dispositifs de contrôle israéliens s’inscrivent dans une logique tout à fait contraire à une délimitation territoriale claire et les quelques reprises de négociation en vue d’un accord de paix ne modifient en rien cette situation. Les contributions du livre effectuent d’ailleurs un retour utile sur les décennies qui précèdent l’érection du mur, à savoir la première intifada et le temps des accords dits d’Oslo. Derrière le processus des négociations de paix, l’organisation administrative et politique des territoires palestiniens a été remodelée, divisée et nommée dans un système kafkaïen. Le livre, sans emprunter à la rhétorique partisane, n’occulte aucun aspect de la politique d’occupation par Israël des territoires palestiniens.
Les modes du contrôle israélien sur les territoires occupés ont connu de profondes modifications, déléguant à des acteurs palestiniens certaines prérogatives de la vie civile tout en maintenant une domination militaire et économique. Quelles sont les conséquences de ces nouvelles fragmentations de l’espace cisjordanien et de l’enfermement de Gaza sur les relations entre les Palestiniens citoyens d’Israël et ceux des territoires palestiniens, occupés ou autonomes ? Que peut nous dire un barrage militaire sur les transactions économiques, légales comme illégales, entre les différents acteurs ?
Voici quelques-unes des problématiques étudiées ici avec précision et nuance. Le pari, nous faire découvrir les hors-champ de la reconfiguration des logiques de pouvoir dans le conflit israélo-palestinien, est très réussi. Des sujets peu étudiés en France, comme la politique carcérale israélienne à l’égard des détenus palestiniens, ainsi que les voyages de militants venus de France, pour y exprimer une solidarité avec l’un ou l’autre des belligérants ou pour montrer une certaine réalité du conflit à des décideurs (journalistes ou élus) hexagonaux, étoffent cette riche analyse.
Seul regret, qui n’enlève rien à l’excellence de ce livre collectif, la bande de Gaza, au coeur des conflits de ces dernières années – entre le Hamas et le Fatah et avec Israël – ne fait, hélas, pas l’objet d’une contribution spécifique, peut-être en raison des grandes difficultés matérielles que rencontrent les chercheurs pour y effectuer un terrain d’enquête.
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