Étiquette : Proche-Orient

Le Jourdain entre guerre et paix

Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (3/2014). Denis Bauchard propose une analyse de l’ouvrage de Pierre Berthelot, Le Jourdain entre guerre et paix. Approches historiques, géopolitiques et juridiques (Presses universitaires de Bordeaux, 2013, 456 pages).

Le livre de Pierre Berthelot a pour objet l’acuité du problème de l’eau au Proche-Orient. Il constitue une somme ambitieuse, avec une approche multidisciplinaire, historique, géopolitique et juridique, particulièrement pertinente, focalisée sur le problème du bassin du Jourdain. L’introduction ose la question fondamentale : le problème de l’eau est-il majeur pour faire la paix au Proche-Orient entre Israël et ses voisins arabes ?

Ce problème est d’autant plus aigu que, de 1953 à 2012, le débit moyen du Jourdain sous le pont Allenby est passé de 1,2 million à 200 000 mètres cubes, alors que dans le même temps la population sur le territoire de la Palestine mandataire est montée de 4 à 12,5 millions d’habitants. Dans une première partie à caractère historique, l’auteur montre que le contentieux sur l’eau entre juifs et arabes apparaît dès le milieu du XIXe siècle.

Hard Fighting. Israel in Lebanon and Gaza

Cette recension est issue de Politique étrangère 1/2013. Étienne de Durand propose une analyse de l’ouvrage de David E. Johnson, Hard Fighting. Israel in Lebanon and Gaza (Santa Monica, CA, RAND Corporation, 2011, 238 pages).

00-JohnsonRares sont les ouvrages qui tiennent plus qu’ils ne promettent. C’est le cas de cette monographie consacrée aux opérations israéliennes contre le Hezbollah en 2006 et le Hamas en 2008-2009. À première vue, il s’agit d’une analyse détaillée et informée des deux conflits, sur le modèle classique des études de la RAND. Par la minutie des recherches comme par la richesse des exemples, l’ouvrage dépasse toutefois largement le seul cadre israélien et offre des perspectives intéressant tous les appareils de défense occidentaux : il nous invite à rien de moins qu’à une révision de nos catégories conceptuelles, et donc de nos programmations de défense.
La surprise stratégique de 2006
L’échec de Tsahal en 2006 a suscité de vives polémiques, en Israël et au-delà, avec en particulier un débat américain sans nuance entre tenants de l’Air Power et adeptes du Land Power.

L’Occident devant l’Orient. Primauté d’une solution culturelle (L. Massignon, 1952)

Louis Massignon (1883-1962) étudie d’abord l’histoire des corporations à Fez au XVe siècle et poursuit ses recherches dans tout le bassin méditerranéen. En 1922, il soutient sa thèse – La passion d’Al-Hallâdj, martyr mystique de l’Islam –, qui fait débat et ouvre de nouveaux champs à l’orientalisme. Professeur de sociologie et de sociographie musulmane au Collège de France à partir de 1926, il est nommé directeur d’études à l’École pratique des hautes études en 1933 et devient conseiller pour de nombreux comités interministériels sur les questions arabes. Délaissant ses activités universitaires à partir de 1954, il participe aux combats en faveur de la décolonisation et se consacre à la théologie et à la mystique musulmanes, et à la linguistique arabe. Ce texte a été publié pour la première fois dans Politique étrangère, no 2/1952.

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Un récent séjour à Bagdad et au Caire m’a inspiré quelques observations sur l’état social dans le Proche-Orient et a attiré mon attention sur ce que j’appelle la priorité ou « primauté d’une solution culturelle ».

Les réflexions qui vont suivre sont présentées d’un point de vue français et concret. Je ne nie pas du tout le fait de la supériorité technique de l’Europe, mais il ne doit pas légitimer l’abus d’épreuves de force. Je ne veux pas nier non plus le primat théorique de la justice abstraite, mais il ne légitime pas non plus notre expulsion de toutes nos positions de commandement, au bénéfice du marxisme.

Ce que je veux, c’est essayer de revendiquer l’efficacité, qu’on néglige trop, d’une certaine réflexion progressive, d’une certaine psychologie opérative qui nous mettent en position de participation avec ceux qui se trouvent en face de nous.

Ici s’élève une objection, et une objection qui me vise personnellement, qui a été employée à plusieurs reprises : « Pourquoi cet orientaliste, historien de la mystique s’est-il mis à s’occuper de “politique” ? » C’est ce qu’a dit assez fortement, dans son ouvrage sur le soufisme, le Docteur Omar Farrukh, unmusulman syrien notable, professeur à l’Université américaine de Beyrouth ; la mystique étant elle-même quelque chose d’indiscernable et d’inutilisable, en tirer une « politique » semblait indiquer qu’on avouait avoir échoué dans la découverte de la mystique.

La même objection avait été faite dans « El-Basaïr » par le cheikh El Ibrahimi, le chef des oulémas réformistes d’Algérie, qui a considéré que j’avais mis vingt-cinq ans à me construire une espèce de « masque », que j’étais le pire agent de la cinquième colonne colonialiste qui opérait à travers mon masque de mystique.

Plus profondément l’objection m’a été faite, d’une manière qui m’a fait beaucoup de peine, par un autre musulman algérien, M. Mohammed ben Saï, de Batna, ancien président des étudiants nationalistes nord-africains de Paris, un homme qui réfléchit. Il mène une vie très retirée, mais c’est une des têtes de l’opposition à la francisation en Algérie.

Un jour où il était malade à Paris (où je lui avais fait préparer un diplôme d’études supérieures à la Sorbonne), il m’écrivit ceci : « Je ne me pardonne pas de vous avoir aimé, parce que vous m’avez désarmé.Vous avez été pire que ceux qui ont brûlé nos maisons, qui ont violé nos filles ou enfumé nos vieillards.Vous m’avez désarmé pendant plusieurs années de ma vie en me laissant croire qu’il y avait une possibilité de réconciliation et d’entente entre un Français qui est chrétien et un Arabe qui est musulman. »

La position est donc très nette : j’ai, au point de vue mystique, apparemment échoué vis-à-vis de ces trois personnes. J’espère cependant être plus compréhensif et plus persuasif devant vous.

 

Une approche mystique des phénomènes politiques

C’est en effet une position mystique que j’ai transposée dans le domaine de l’étude des phénomènes politiques. On connaît ce que les sociologues appellent généralement la position mystique ; c’est la position de participation qui fait, par exemple, qu’un primitif déclare « participer » au perroquet : non pas qu’il se croie devenir un perroquet, mais il a comme totem tribal un perroquet. Il y a une certaine participation produisant une « alliance » sociale d’apprivoisement réciproque entre cet objet de respect, le perroquet, et lui. Je ne prétends pas, sous une forme aussi simple, avoir acquis une participation mystique avec l’Islam et avec les pays que je viens de traverser, mais je voudrais rester avec eux devant vous en position de compréhension plus étroite et pour ainsi dire « psychanalytique ». Sans être un spécialiste, j’ai réfléchi sur la psychanalyse, notamment avec Jung : ce psychanalyste a le common touch, il sait participer, par sympathie intelligente, au point de vue « peuple » ; il m’a guéri de cette défiance, de ce mépris hautain de l’intellectuel, qui perd le contact social et qui oublie que ce sont les revendications politiques les plus mal exprimées et les plus amèrement blessantes pour notre amour-propre qui sont souvent les plus authentiques, les plus profondes, les plus fondées.

Je ne partage pas la conception cartésienne de « clash » des cultures opposant une culture moderne technique à une culture périmée non technique. En définissant ainsi la lutte entre l’Europe et les pays colonisés qui cessent de vouloir être colonisés, il est trop facile de dire qu’il n’y a des techniques que chez nous. Il y en a chez les autres qui ne sont pas complètement vaines, de même que les nôtres ne sont pas complètement opérantes, quoiqu’elles soient infiniment plus puissantes, mais sur un terrain précaire qui est le domaine matériel.

La chose quim’avait frappé, dans les essais des mystiques, lorsque j’avais collectionné et collationné des textes, c’est de voir que, plus la commotion mystique initiale avait été authentique, plus les recensions de ces textes étalent hétérogènes. Lorsque vous voyez notées les confidences d’un mystique, chaque différent « scripteur » note les choses avec des variantes. Cela ne veut pas dire que leurs notations ne soient pas « vraies » ; cela veut dire que la confidence a transformé celui qui observe en même temps que celui qui est observé.

Retenons ce phénomène très particulier d’osmose qui fait que les phénomènes de mystique sont si difficiles à cloisonner, à enregistrer dans des séries, parce que l’observateur change, et l’observé également. Il y a une transformation vitale qui s’opère ; hors série.

Est-ce à dire que cela nous mette devant un principe d’indétermination comme celui de Heisenberg et que nous ne puissions en somme rien tirer de positif de l’observation des faits mystiques ?

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