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Défense de la culture française par la culture européenne (Jean-Paul Sartre)

Dans cet article publié dans Politique étrangère en 1949, Jean-Paul Sartre lie les notions de puissance – aussi bien économique que militaire – et de culture. Les Etats-Unis et l’URSS, puissances dominantes de l’époque, menacent alors d’imposer leur culture au reste du monde. Les pays européens, dévastés par la Seconde Guerre mondiale, ne peuvent résister de façon isolée contre ces influences externes, ce qui amène Sartre à dire que « c’est en visant à une unité de culture européenne que nous sauverons la culture française ».

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La culture française, nous dit-on de tous côtés, est aujourd’hui menacée. On constate, un peu partout à l’étranger, une moindre influence de cette culture française et, au contraire, on se plaint, chaque jour, de l’importation d’idéologies étrangères en France qui, dit-on, risquent de faire craquer le cadre culturel traditionnel.

Notre culture est-elle menacée ? Peut-on la sauver, et comment ? Et tout d’abord, qu’est-ce, en général, que la culture ? Il n’est pas question, pour moi, de la définir et je voudrais seulement présenter quelques observations utiles à notre propos.

Si nous considérons une communauté à une époque quelconque (par exemple le milieu du XVIIIe siècle ou les années d’aujourd’hui), nous remarquons que, trop souvent, des époques de ce genre sont regardées comme un présent et, à la rigueur, comme un passé. On ne voit pas qu’elles sont aussi un avenir et un avenir à deux faces très différentes.

Actuellement, nous pouvons dire qu’il y a un avenir de notre présent constitué par un certain nombre de possibilités, de problèmes en cours, de recherches qui sont faites sur notre sol ou dans notre communauté par des groupes et des individus. Tel problème scientifique est en voie de solution. Telles réformes ou telles séries de réformes sont entreprises, tel roman fleuve, comme celui des Thibauld, est en voie d’achèvement, etc. En d’autres termes, nous avons là une sorte d’avenir qui fait partie de notre présent, qui revient sur lui pour lui donner un sens. En même temps, cette commun autése trouve engagée dans un avenir plus large qui peut être européen ou mondial et dans lequel, très souvent, l’avenir vient à elle sans qu’elle veuille ou qu’elle puisse facilement l’éviter. Dans ce cas-là, c’est l’action de l’avenir des autres sur elle-même qui s’exerce, car, en même temps que se poursuivent ces inventions, ces ouvrages ou cette peinture, existe, par exemple, la menace d’une guerre dans laquelle notre communauté risque d’être entraînée.

De sorte que nous sommes en face d’un double avenir : un avenir-destin qui est celui dans lequel nous sommes engagés avec plus ou moins de possibilités de l’éviter et un avenir libre qui est proprement le produit de cette communauté, son sens actuel et l’explication de son présent.

Ceci dit, qu’est-ce que la culture d’une communauté par rapport à ces deux avenirs ? Nous constatons que, depuis Hegel, on a appelé, à juste titre, la culture d’un groupe social donné l’esprit objectif de ce groupe ou de cette communauté, constitué par l’ensemble des idées, valeurs, sentiments sans doute voulus, sentis, aimés, créés par d’autres, mais qui, précisément à cause de cela, pour la génération qui apparaît à ce moment-là, sont objets : livres, tableaux, doctrines, paysages urbains, modes de la sensibilité. Mais ces objets ont une signification. D’une part, en effet, ils reflètent une situation, c’est-à-dire qu’on peut lire dans un ouvrage-essai un mode d’explication ordinaire de l’ouvrage, la situation à partir de laquelle il a été conçu. On peut interpréter Nietzsche ou Racine à partir d’un contexte social, économique, etc. Et, d’autre part, chacun de ces objets représente un dépassement de cette situation par son auteur, c’est-à- dire qu’il y a, même lorsque cette explication a été tentée, un résidu, si l’on peut dire, qui est l’essentiel de l’ouvrage en question et la manière dont l’auteur, au lieu d’être le pur produit de cette situation, a cherché à la dépasser, à la comprendre et à y trouver une solution.

Ainsi, ces ouvrages sont monuments du passé et, en ce sens, nous sont hermétiquement fermés, car il a existé une situation, vécue par Nietzsche, Descartes ou Racine, que nous ne vivrons jamais. Et, en même temps, ces ouvrages ont été un avenir de l’époque révolue puisqu’ils représentaient un effort pour donner une solution à un conflit particulier, un effort, par exemple, pour trouver une place à une Allemagne nouvelle dans l’Europe — comme pour Nietzsche — ou pour donner un sens à certaines prescriptions esthétiques du passé. Bref, à ce moment-là, leur autre face est l’avenir. De sorte que, quand nous lisons Nietzsche, quand nous assistons à la représentation d’une tragédie de Racine, ces objets, qui étaient primitivement devant nous comme un produit rejeté du passé et imperméable, se trouvent brusquement ouverts, se referment sur nous et nous suggèrent un avenir. Cet avenir, d’ailleurs, n’est pas exactement notre avenir, mais celui de l’homme et du groupe qui a produit cette œuvre à une époque déterminée ; et, dans le moment où nous nous prêtons à un ouvrage, cet avenir nous apparaît sous forme d’exigence. Nous sommes circonvenus par l’ouvrage qui a l’exigence soit de l’œuvre d’art, c’est-à-dire d’une liberté qui s’adresse à une autre liberté, soit l’exigence et l’urgence d’une raison qui a essayé de penser une situation et qui nous offre avec passion sa solution au point que, si nous lisons un ouvrage aussi loin de nos préoccupation» que la Lettre sur les Spectacles de Rousseau (car personne d’entre nous, je crois, n’est hostile, a priori, au théâtre), l’urgence et la passion de la démonstration nous apparaissent, pendant un moment, comme une sorte d’exigence de l’avenir qui chercherait à obtenir de nous une condamnation du spectacle.

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Contre l’Armée européenne, par Michel Debré (1953)

En 1953, Michel Debré est sénateur. Il s’oppose avec véhémence au projet de Communauté européenne de Défense (CED), attaquant nommément Jean Monnet et les « théologiens du transfert de souveraineté ». Un texte, publié dans Politique étrangère en 1953, à relire aujourd’hui, alors que l’Europe traverse une crise aiguë qui fera l’objet d’une analyse détaillée dans le n°4/2011 de Politique étrangère.

 

 

Quand Démosthène mettait en garde les Athéniens contre Philippe de Macédoine, Démosthène avait raison ! Athènes était une cité, et l’âge venait de plus grands empires. Mais il était deux politiques : l’une qui permettait de les constituer par une alliance et dans la liberté, l’autre qui acceptait de les voir naître de la tyrannie. Nul ne doute, nul n’a jamais douté, que la thèse ardemment défendue par Démosthène fût la seule qui pût garantir l’avenir d’Athènes, celui de la Grèce et de la liberté, la seule qui fût en même temps conforme à l’honneur.

La théorie du transfert de souveraineté

Au départ, nous trouvons la volonté américaine, exprimée dans l’été 1 950, de réarmer l’Allemagne. L’expression de cette volonté a surpris le gouvernement français. Cette surprise n’était pas légitime. Le problème du réarmement de l’Allemagne était posé depuis plusieurs mois. L’invasion de la Corée l’avait projeté, en quelques heures, au premier plan des préoccupations politiques de l’Occident. Il avait déjà été évoqué à la tribune du Parlement, et le blocus de Berlin était de ces signes prémonitoires que seuls les aveugles et les sourds volontaires peuvent ignorer. Cependant, nul, au gouvernement, ou plutôt au sein de nos divers gouvernements, n’avait osé en parler, si ce n’est pour annoncer solennellement qu’il ne pouvait être question de réarmer l’Allemagne…

A la proposition américaine, le gouvernement français a répondu par une proposition dont l’objet était d’« intégrer » des Allemands dans une armée qui n’aurait pas le caractère d’une armée nationale. Cette proposition allait loin dans sa rigueur logique. On n’envisageait même pas un régiment de nationalité allemande ; des soldats allemands étaient placés par petits groupes dans d’autres unités. Projet séduisant, en théorie, mais que sa rigueur rendait difficile à réaliser. Au surplus, à supposer qu’il fut un point de départ, une telle conception du rôle militaire des Allemands ne pouvait se prolonger longtemps.

La proposition française ne fut pas acceptée, même à titre de première étape. C’est alors qu’avec la complicité d’un gouvernement français désemparé et heureux de gagner quelques mois, le consentement d’un gouvernement américain assez incrédule au premier abord, puis convaincu par les affirmations de M. Jean Monnet, le problème du réarmement allemand fut saisi par les théoriciens — je dirai presque par les théologiens — du transfert de souveraineté.

A ce point de l’histoire il convient de revenir quelques mois en arrière.

Le gouvernement américain, avant d’envisager le réarmement de l’Allemagne, avait estimé nécessaire de libérer l’industrie allemande, notamment les mines et la sidérurgie de la Ruhr, des sujétions imposées par les vainqueurs. La situation du monde imposait une révision des idées qui avaient eu cours en 1944. Il était notamment nécessaire d’accomplir un effort pour lier à l’Occident cette grande part de l’Allemagne que les trois alliés avaient prise en charge au lendemain de la capitulation. Il fallait porter l’espoir des Allemands vers l’Occident. Il fallait mettre l’économie allemande au service de l’Occident ; sur cette voie, une première mesure apparut nécessaire : relever ou supprimer le « plafond » maximum de production imposé à l’industrie ; diminuer, et peut-être faire disparaître, les interdictions de fabrication. Voilà sans doute ce qu’il parut très difficile de faire accepter aux opinions européennes, et d’abord à l’opinion française. De cette difficulté jaillit l’idée de chercher quelque moyen exceptionnel de réussite. C’est ainsi que germa le projet d’une « communauté européenne » dirigée par des fonctionnaires impartiaux et recevant des divers Etats le droit de commander à toutes les mines et aux industries lourdes. L’idée, accueillie par M. Robert Schuman, se transforma en une très haute vision d’un « marché commun » et d’une réconciliation politique fondée sur la prospérité que ferait naître ce marché commun.

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Quel avenir pour la diplomatie américaine ?

Article issu de Politique étrangère volume 76, n°2, paru en juin 2011, portant sur les ouvrages The irony of manifest destiny. The tragedy of America’foreign policy (William Pfaff, Walker & Company, 2010, 240 pages) et The frugal superpower. Americas global leadership in a cash-strapped era (Michael Mandelbaum, PublicAffairs, 2010, 224 pages). L’article qui suit a été rédigé par Jolyon Howorth, professeur à l’université de Yale (États-Unis) et professeur de sciences politiques européennes, chaire Jean Monnet, à l’université de Bath (Royaume-Uni).

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Dans son discours du 28 mars 2011 annonçant sa décision d’intervenir en Libye, le président Barack Obama soulignait que le rôle des États-Unis dans cette mission onusienne serait limité et que le leadership serait rapidement transféré aux alliés: « Les États-Unis auront un rôle de soutien » (« a supporting role »). La communauté américaine des stratèges, qui attend depuis deux ans qu’émerge une « doctrine Obama » lisible, pense l’avoir enfin découverte à l’occasion de l’affaire libyenne. Elle pourrait s’intituler le « leadership par l’arrière » (« leading from behind »). Ces deux livres contribuent largement à déchiffrer cet infléchissement décisif de la diplomatie américaine dans la deuxième décennie du XXIe siècle.

William Pfaff retrace, dans un livre d’une érudition exceptionnelle, les sources religieuses, philosophiques, culturelles et politiques de la notion fondatrice de « Manifest Destiny ». Il fait état de ses 200 ans d’histoire mais aussi de son actualité inopérante. Michael Mandelbaum, pour sa part, nous explique pourquoi le 15 septembre 2008 (jour de la faillite de la banque Lehman Brothers) marque le moment où les États-Unis comprennent que leurs dépenses militaires ne peuvent être illimitées et que leur rôle global sera dorénavant plus restreint et modeste: « À l’avenir, les États-Unis se comporteront comme un pays normal » (p.8).

L’expression « Manifest Destiny », utilisée pour la première fois en 1845 lors de l’annexion du Texas, fait de l’expansion transcontinentale puis globale de la puissance américaine une volonté divine. En 1919, Woodrow Wilson affirme que le leadership international des États-Unis n’émane pas d’un plan conçu à Washington mais de « la main de Dieu, qui nous a entraînés sur ce chemin […]; ce fut le rêve de notre naissance. L’Amérique a montré, en toute vérité, la voie. » (p.71.) Selon W. Pfaff, cette foi utopique remonte au siècle des Lumières. Avec la « mort de Dieu », l’homme ne cherche plus une place dans un paradis d’outre-tombe mais tente de créer un paradis sur Terre. Cette aspiration séculière, qui vient remplacer au XVIIIe siècle les croyances religieuses, exige la création d’un monde parfait hic et nunc. En outre, il faut faire vite : la vie humaine se mesure en décennies plus qu’en millénaires… Cette quête d’absolu explique logiquementl’extrême violence du XXe siècle (de Staline à Pol Pot en passant par Hitler et Mao) et sous-tend directement la croisade américaine de l’après-guerre froide. En effet, les États-Unis veulent, pour reprendre les termes du second discours inaugural de George W. Bush en 2005, « abolir le mal » et « mettre fin à la tyrannie » sur le globe. Ce projet se traduit par une tentative d’exportation de la démocratie aux quatre coins du monde, projet ininterrompu depuis Wilson et toujours soutenu, selon W. Pfaff, par la quasi-totalité de l’élite américaine – y compris dans l’entourage d’Obama. Cette ambition presque religieuse, conçue dans une Amérique chrétienne, aboutit à l’« américanisation de la chrétienté » (p.62) : W. Pfaff dénonce sèchement la Manifest Destiny comme « irréalisable, indésirable et dangereuse » (p.194).

Dans un superbe chapitre de synthèse historique, l’auteur nous mène de l’isolationnisme des pères fondateurs à l’interventionnisme wilsonien, montrant à quel point les multiples guerres menées par les États-Unis au XIXe siècle, y compris la guerre contre l’Espagne de 1898 (une « affaire désinvolte qui n’engagea nullement la nation », p.70) avaient surtout pour but de faciliter et de compléter le développement du projet interne. Le tournant wilsonien de 1917-1919 fut définitif et déclencha (malgré les rechutes isolationnistes de l’entre-deux-guerres et de l’immédiat après-1945) toute une série d’interventions, toujours plus idéologiques et manichéennes. Ces opérations, de la présidence d’Eisenhower à celle de Bush, traduisaient en réalité une « forme virtuelle d’isolationnisme, une solution fictive à un problème dont la solution antérieure avait disparu » (p.100).

[Edito] Guerre contre le terrorisme et avenir de la PAC au menu du dernier Politique étrangère

Le n°2/2011 de Politique étrangère est disponible. Les deux thématiques à l’honneur pour ce numéro sont « Al-Qaida et la guerre contre le terrorisme » et « L’Avenir de la PAC« .

(pour consulter le sommaire, cliquer sur l’image)

EDITO
Ces derniers mois ont déclaré Oussama Ben Laden mort deux fois : noyé dans les aspirations démocratiques arabes, puis abattu au Pakistan. Sa gloire aurait-elle duré dix ans seulement qu’elle laisserait pourtant le monde différent. Certes, le 11 septembre 2001, qui impose l’image d’un « hyperterrorisme » et celle d’une « islamisation » de la violence, n’est pas l’événement singulièrement fondateur que d’aucuns décrivirent alors : l’ascension des économies émergentes ou la crise économique marquent déjà le siècle de tendances longues autrement plus déterminantes. D’une certaine manière, le 11 septembre accouche pourtant d’un monde nouveau, en ce qu’il ouvre une vision neuve des rapports de force dans le monde, des rapports entre unités politiques contemporaines.

 

Dans les années qui suivent le coup de tonnerre de septembre 2001, certains commentateurs installent le phénomène terroriste au cœur des scénarios de violence du siècle qui s’ouvre : l’asymétrie terroriste, appuyée sur le développement et la diffusion des technologies, sera la référence des conflits du siècle, y occupera une place centrale, de plus en plus large. Dix ans plus tard, la prédiction ne s’est pas réalisée. Et les mesures mises en œuvre par les États – dont le 11 septembre signe d’une certaine manière le « retour » – s’avèrent plutôt efficaces pour maintenir les actions terroristes dans une relative marge, aussi sanglante soit-elle.

Il reste que cette période a profondément modifié notre vision du monde. Du côté des puissances, les succès de la lutte antiterroriste, mais aussi les terribles errances de la puissance américaine dessinent une scène internationale différente. Les États-Unis sont toujours là, dominants, centraux, mais changés. Ailleurs, l’idée même d’asymétrie et l’échec américain en Irak – avant même qu’on ne puisse tirer un bilan de la guerre afghane – dessinent aussi un monde plus divers. Un monde où les hypothèses de conflits et les formes d’usage de la force sont beaucoup plus nombreuses, déclinées, que ce que nous imaginions dans la dernière décennie du XXe siècle.

Le dossier que publie ici Politique étrangère témoigne de cette diversité du monde conflictuel, sans doute plus visible depuis dix ans, et de la difficulté qu’ont les puissances classiques à s’y orienter. Le terrorisme apocalyptique ne s’est pas concrétisé. Al-Qaida survit, mais sous des formes localement plus que globalement dangereuses, et des formes d’organisation que nous n’avions guère imaginées. Les engagements en Irak puis en Afghanistan renvoient à des formes de guerre où les rapports asymétriques prédominent, contraignant les armées occidentales à revenir à des formes de raisonnement oubliées – contre-insurrection, pacification, etc. Le tout sous cette interrogation plus globale : nos esprits, nos modes de raisonnement doivent certes évoluer, mais aussi nos structures de forces ; dans quel sens, et avec quels moyens ?

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Cette dernière question – l’adéquation des instruments politiques et militaires aux décisions d’engagement, d’intervention dans un conflit – est clairement posée par l’aventure libyenne. À l’heure où ces lignes sont écrites, son issue n’est pas connue ; elle a pourtant déjà, très près de nous, fait plusieurs blessés.

Au premier chef, c’est la notion même d’intervention humanitaire qui est sans doute touchée. Décidée selon d’honorables critères de protection des populations, l’intervention aérienne contre le régime Kadhafi paraît vite quelque peu brouillonne (sans objectif militaire ni politique clairement identifié), voire assez arbitraire : les populations libyennes ont droit à la protection internationale, mais pas les syriennes. On comprend bien pourquoi ; il reste que c’est la légitimité même de l’intervention internationale dans ces opérations humanitaires qui s’en trouve questionnée – sans parler des divergences d’interprétation des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies entre ceux-là mêmes qui les votent. Autre victime : l’Union européenne (UE), aux abonnés absents de la diplomatie, et qui se divise sur Schengen, l’un de ses acquis les plus symboliques aux yeux du monde extérieur. Aucune puissance européenne n’a apparemment songé à inscrire ses débats et décisions dans le cadre de la fameuse Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) que le traité de Lisbonne devait réorganiser.

Victime collatérale peut être encore plus significative pour le court terme : l’entente franco-allemande. L’abstention de la République fédérale d’Allemagne (RFA) dans l’affaire libyenne est étonnante pour un pays qui aspire à un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Mais elle est plus préoccupante par ce qu’elle suggère, à terme, de désir de désengagement de la part d’une puissance européenne dominante : Berlin en est-il vraiment à se vouloir une puissance exclusivement commerciale, économique, civile ? Dernière victime – en perspective –, enfin : l’Alliance atlantique. La division des alliés, la valse-hésitation des principaux d’entre eux autour de son rôle dans la manœuvre militaire viennent s’ajouter à la confusion qui se profile face à l’enlisement des opérations afghanes… Décidément, 2011 risque, bien au-delà de la Méditerranée, de marquer la décennie.

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Ce numéro de Politique étrangère interroge encore l’avenir de l’UE autour d’une de ses politiques les plus emblématiques : la Politique agricole commune (PAC). Succès incontestable pour l’agriculture européenne dans son ensemble depuis plusieurs décennies, instrument décisif d’intégration, en particulier pour les derniers élargissements en Europe centrale, la PAC se retrouve au centre des discussions sur les budgets futurs, c’est-à-dire la politique à venir de l’UE, en un temps de doute général sur les voies et les finalités mêmes de la construction européenne. Le paradoxe étant que l’évolution internationale rend cette politique commune sans doute plus nécessaire que jamais. Certes, la PAC doit évoluer, s’adapter à des temps nouveaux, mais seule une politique européenne intégrée peut contribuer à répondre aux gigantesques défis qui s’annoncent : sécurité alimentaire de la planète, nécessité d’amortir l’effet des fluctuations des prix des matières premières, danger environnemental, etc.

Interventions internationales – Afghanistan, Liban, Côte d’Ivoire, Libye – ; institutions internationales – Organisation des Nations unies (ONU), UE – ; évolutions et dynamiques des conflits dix ans après le 11 septembre : avec ce numéro, Politique étrangère choisit de camper au cœur de débats qui ont toutes chances d’organiser la décennie qui s’ouvre.

 

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