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State of Rebellion. Violence and Intervention in the Central African Republic

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Louisa Lombard, State of Rebellion. Violence and Intervention in the Central African Republic (Zed Books, 2016, 256 pages).

State of Rebellion

Louisa Lombard, anthropologue et professeur à l’université de Yale a déjà codirigé un ouvrage remarqué sur la Centrafrique (Making Sense of the Central African Republic[1], Zed Books, 2015). Dans son dernier livre, grâce à 13 années de recherche et à de nombreux séjours sur place, elle parvient, de façon très convaincante, à déconstruire les explications superficielles et habituelles sur les racines de la crise en République centrafricaine (RCA).

L’auteur aborde ici la dernière décennie de conflits en RCA, mais son propos ne manque pas d’excellentes perspectives historiques, notamment concernant la « période française », marquée par une colonisation dure et un remarquable manque d’empressement à développer le pays. Au fil des pages, elle revient sur de nombreuses idées reçues sur la RCA : par exemple, le pays serait riche de ressources naturelles, alors que leur exploitation est très difficile et qu’elles ne pourraient, en toute hypothèse, pas rendre le pays riche « par magie ».

En introduction, elle note que l’interrogation centrale de ses travaux depuis ces 13 années concerne la nature de l’État en RCA. Cette problématique est donc au cœur du livre. L’auteur souligne à plusieurs reprises qu’une conception rigide de l’État appliquée à la RCA n’aide pas à la compréhension des crises qui secouent le pays. En effet, l’État centrafricain a certes des frontières géographiques, mais son expression politique est très limitée. Pour les Centrafricains, l’État est davantage vu comme prédateur que comme protecteur ; et, dans le même temps, ils rêvent d’un État qui leur fournirait un statut social (entitlements), et surtout un salaire. C’est ainsi que les rebelles peuvent lutter contre l’État et, dans le même temps, rechercher la reconnaissance via un poste de fonctionnaire. Pour Louisa Lombard, le drame de la RCA est que des non-Centrafricains, avec une vision stratégique limitée à la stabilité régionale et fort peu de patience, sont les garants de l’État centrafricain. Ils tentent de promouvoir la stabilité via un régime présidentiel, alors même que l’expérience prouve largement que ce dernier est impuissant à apporter la sécurité sur le long terme.

De manière très intéressante, l’auteur distingue deux périodes pour les rébellions en RCA. La première, celle des « rébellions conventionnelles », s’ouvre dans les années 1980 et prend véritablement forme en 2005 avec la naissance de l’Armée populaire pour la restauration de la démocratie (APRD). Ces rébellions opèrent essentiellement dans leurs régions d’origine et, bien qu’elles soient violentes, leurs actions sont limitées par la conscience que présent et avenir se limitent à leur aire d’opération. L’émergence de la Séléka en 2012 marque un tournant : les rebelles ne proviennent plus des régions où ils agissent, et opérer loin de leur zone d’origine augmente leur niveau de brutalité. Autre nouveauté, les divisions s’organisent de part et d’autre de lignes identitaires.

Le propos de l’ouvrage est beaucoup trop riche pour qu’on puisse le résumer efficacement, et il suscite de nombreuses réflexions. Louisa Lombard nous offre des clés pour tenter de comprendre les dynamiques à l’œuvre en RCA mais aussi les échecs des multiples missions de maintien de la paix déployées dans le pays. La lecture de ce livre est indispensable à tous ceux qui s’intéressent à la RCA, mais aussi aux États fragiles et plus généralement au maintien de la paix.

Rémy Hémez

[1]. Cet ouvrage a fait l’objet d’une recension dans le n° 2/2016 de Politique étrangère.

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Making Sense of the Central African Republic

Cette recension est issue de Politique étrangère (2/2016). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Tatiana Carayannis et Louisa Lombard, Making Sense of the Central African Republic (Londres, Zed Books, 2015, 384 pages).

Making Sense of the CARPeu d’ouvrages traitent de la République Centrafricaine (RCA), particulièrement en anglais. Making Sense of the Central African Republic est important car il rassemble quelques-uns des meilleurs spécialistes de la crise centrafricaine et propose une approche véritablement pluridisciplinaire. Il permet en cela de mieux comprendre ce pays d’environ quatre millions d’habitants vivant aux marges de la communauté internationale.

On ne peut revenir ici sur les douze contributions qui composent le livre. Elles apportent toutes un éclairage essentiel sur la situation actuelle du pays. Cela commence d’ailleurs par une excellente introduction à l’histoire de la RCA, rédigée par Stephen W. Smith, qui nous fait prendre conscience du tourbillon négatif dans lequel est engagé le pays depuis la colonisation. Les contributions suivantes alternent entre des problématiques assez générales comme la question de la richesse et de la pauvreté par Roland Marchal, ou les « pathologies » du maintien de la paix en RCA par Enrico Picco, et d’autres plus spécifiques, tels l’analyse des dynamiques locales du PK5 par Faouzi Kilembe ou un chapitre sur l’Armée de résistance du seigneur en Centrafrique par Ledio Cakaj.

PE/3 2014 en librairie !

Cover_3-2014_uneLe numéro 3/2014 de Politique étrangère, consacré à la Chine et au conflit israélo-palestinien vient de paraître ! Il est disponible en librairie et sur le site de la Documentation française.

La Chine est une nouvelle et lourde puissance, c’est entendu. Mais avec quel effet sur le système international, ses ententes, ses structures ? Le poids de Pékin détraque-t-il, en soi ou par une stratégie délibérée, les organismes qu’elle intègre ? La Chine semble se couler, sauf exception, dans les procédures qui fonctionnent, sans entreprendre de les miner ou de les contester. Mais quand les structures de dialogue existent peu, la revendication chinoise prend tout son poids, comme dans le cas des rivalités en mer de Chine méridionale.

Parmi les autres thèmes abordés dans ce numéro : La « solution à deux États » peut-elle survivre à la dégradation des relations israélo-palestiniennes ? Quelles sont aujourd’hui les relations entre l’Union européenne et l’Ukraine ? Que comprendre de la récurrente instabilité thaïlandaise ? Jusqu’où la catastrophe centrafricaine pousse-t-elle ses racines ?

Et une réflexion capitale sur le rôle possible des anthropologues pour la compréhension et la résolution des crises actuelles : si le monde est vraiment divers, pouvons-nous nous contenter de grilles de lecture rapportées à notre seule expérience historique d’Occidentaux ?

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