Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2012). Yann-Sven Rittelmeyer, chercheur au Cerfa (Ifri), propose une analyse conjointe de l’ouvrage de Luuk Van Middelaar, Le Passage à l’Europe : histoire d’un commencement (Paris, Gallimard, 2012, 480 pages) et de celui de Jean-Claude Piris, The Future of Europe: Towards a Two-Speed EU? (Cambridge, MA, Cambridge University Press, 2011, 176 pages).
Deux éminents praticiens européens – le juriste Jean-Claude Piris et l’historien-philosophe Luuk Van Middelaar – ont publié simultanément deux ouvrages sur l’intégration européenne qui sont remarquables de complémentarité.
L. Van Middelaar livre un nouvel ouvrage sur l’histoire de la construction européenne. S’il s’ajoute à une littérature déjà riche, il n’en est pas moins pertinent de par la lecture personnelle qu’il propose. En choisissant délibérément de s’affranchir des lourdeurs du vocable européen mais aussi – très largement – des références aux écrits scientifiques passés, il resitue dans un récit global les éléments marquants de l’histoire de l’intégration européenne. Destiné autant à un public large qu’aux experts de la chose européenne, le texte pose avec simplicité mais justesse les grands problèmes de l’Union européenne (UE). Et sa distinction entre différentes sphères – interne, intermédiaire, externe – afin d’analyser les relations entre les États européens, puis sa description de trois stratégies – allemande, romaine, grecque – de conquête du public sont des éléments pertinents et stimulants que les spécialistes ne devraient pas négliger.
A contrario, l’ouvrage synthétique de J.-C. Piris se concentre sur l’analyse des scénarios institutionnels à même de permettre à l’intégration européenne de surmonter la crise. Après avoir évalué de manière claire la situation et les atouts actuels de l’UE, il étudie de manière détaillée ces différents scénarios : réviser les traités, approfondir les coopérations dans le cadre actuel ou mettre en place une « Europe à deux vitesses ». Il écarte rapidement le premier scénario au motif de son impossibilité politique. Pourtant, la contradiction entre le refus affiché de rouvrir les traités et les nombreuses demandes de petites révisions aurait sans doute mérité d’être davantage considérée, même si l’analyse ne pouvait conduire qu’au constat du décalage entre discours et volontés politiques réelles. Le deuxième scénario permet à l’auteur non seulement de recadrer salutairement le débat – souvent imprécis et désordonné – sur les intégrations différenciées mais aussi d’exposer les vastes possibilités offertes par les traités actuels.
Compte tenu des difficultés politiques, J.-C. Piris plaide clairement pour une UE à deux vitesses, avec une « avant-garde ». Il effectue toutefois la distinction entre une version soft, sans révision des traités, et une version audacieuse qui appellerait un « traité additionnel », c’est-à-dire un accord juridique international compatible avec les traités européens. La précision dont fait preuve l’auteur dans la formulation des options et de leurs implications juridiques fait de ce livre un utile manuel à l’usage des acteurs politiques.
In fine, au regard des multiples apports de ces deux ouvrages, on serait tenté d’appeler leurs auteurs à l’écriture d’un ouvrage à quatre mains, pour qu’ils puissent se projeter de concert sur l’avenir de l’Europe. De cette mutualisation pourrait naître une vision prospective incluant les enseignements tirés de l’histoire de la construction européenne, les enjeux philosophiques qui l’animent, les contraintes et possibilités juridiques et la désormais indispensable prise en compte des citoyens. Une entreprise ardue mais dont l’Europe aurait bien besoin.
Yann-Sven Rittelmeyer
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