Lisez le second article du nouveau numéro de Politique étrangère (n° 1/2017) – à paraître demain ! – que vous offre la rédaction : « Trump et l’avenir de la politique commerciale européenne », écrit par John Solal-Arouet et Denis Tersen.

Trump et l'avenir de la politique commerciale européenne

« Les États-Unis se sont donc dotés d’un président protectionniste et isolationniste. Certes, promesses et programmes ne font pas automatiquement une politique l’élection passée. Mais un candidat qui attaque la Chine, le Mexique, menace de quitter l’OMC, de dénoncer l’ALENA et l’accord de Paris sur le climat, refuse de signer le projet de Partenariat Trans-Pacifique (TPP) négocié par son prédécesseur, engage le président. Il le peut d’autant plus que, si ce dernier ne peut pas libéraliser de son seul chef, sans l’aval du Congrès, il peut largement de sa propre initiative mettre en place des mesures de protection aux frontières, ou bloquer un traité en refusant de le soumettre au pouvoir législatif. Anti-mondialisation, le nouveau président américain a une certaine forme de cohérence : il est pour une fermeture des frontières, pour les biens et services comme pour les personnes.

Les premières nominations ne démentent pas la rhétorique de campagne : Wilbur Ross ministre du Commerce, Peter Navarro, un économiste « défensif mais pas protectionniste » à la tête du tout nouveau National Trade Council placé auprès du président pour le conseiller sur les sujets commerciaux, Robert Lighthizer, représentant américain du commerce (USTR). Ils se sont fait remarquer par des déclarations antichinoises, et en défendant les intérêts de la « vieille » industrie. Celui qui mènera les négociations commerciales, Robert Lighthizer, est un avocat connu en matière d’antidumping, vétéran de l’administration Reagan. Le méchant était alors japonais, et les États-Unis avaient obtenu de leur partenaire, sous la pression, des accords volontaires de restrictions aux exportations. C’était avant l’OMC, avant les « chaînes de valeur mondiales », qui permettent aux entreprises américaines d’éclater leur production dans de nombreux pays, au premier rang desquels la Chine, pour importer ou recomposer leurs produits aux États-Unis, et avec un marché japonais dont le niveau de fermeture était sans commune mesure avec celui de la Chine. Les tweets, ces coups de menton de l’âge numérique, à destination des entreprises ayant des velléités d’investissement au Mexique, s’inscrivent également dans la droite ligne de la campagne. Le discours inaugural du président le 20 janvier dissipe les doutes : « La protection conduira à une grande prospérité et à la force. » Les premiers communiqués venant de la Maison-Blanche le soir même annoncent le retrait du TPP et la renégociation de l’ALENA. Nous y sommes.

Donald Trump n’est pas seul : le Brexit l’a précédé, les mouvements populistes progressent partout en Europe. L’accord économique et commercial global (CETA) avec le « petit » Canada (0,6 % du commerce extérieur français) a été proche de s’arrêter au stade de la signature, et son avenir est aléatoire. On pourrait traiter ces évolutions majeures avec une relative indifférence, considérer que, par une ruse de l’histoire, les populistes vont nous débarrasser d’un dangereux libre-échange et de mauvais accords, tel le TTIP. De plus, ainsi que l’on nous l’a enseigné, l’infrastructure – la base matérielle, les forces productives – précède la superstructure : le commerce mondial progresse moins vite que la « richesse » mondiale et recule même depuis quatre ans. Entrerions-nous sans ambages et sans trop de regrets dans l’ère de la démondialisation ?

Faut-il donc traiter la nouvelle Amérique à la légère ? Non. Les mêmes symptômes affectent l’Europe. Les difficultés nées de la phase « commerciale » de la mondialisation n’ont pas été résolues. L’entrée dans la mondialisation « informationnelle » fait surgir de nouveaux problèmes. Et s’annonce la « grande convergence » chère à Richard Baldwin – la troisième vague de la mondialisation va permettre de mobiliser les personnes dans le cycle de production quelle que soit leur localisation dans le monde et devrait buter sur des résistances encore plus fortes.

Ces dernières sont-elles vraiment de nature économique comme nous le suggèrent les commentateurs du « déclassement » de l’ouvrier blanc américain ? En réalité, non. Toutes les analyses du vote Trump montrent qu’il transcende les classes sociales, appartenances ethniques ou genres. It’s not the economy stupid[, ironisent ceux qui soulignent la primauté des dimensions identitaires et culturelles qui construisent une ligne de ressentiment populaire à l’encontre des élites mondialisées. Pourtant, c’est bien sur l’économie que les populistes concentrent le tir : pour construire des murs, au risque d’ajouter de nouveaux risques géopolitiques, économiques, et démocratiques à ceux qui affligent déjà leurs électeurs révoltés. Pour arriver aux commandes de la première économie mondiale, Donald Trump a clairement annoncé le programme. Si certains misent sur un soft Trump, nouveaux Giraudoux venant nous expliquer que « la guerre de Détroit n’aura pas lieu », Paul Krugman n’a pas ces illusions : la guerre commerciale n’est plus seulement une option, c’est une probabilité.

L’Europe devra être méfiante. Le face-à-face avec la Chine est inévitable, mais l’administration américaine prendra en compte le rapport de puissance. Pragmatique, elle se tournera vers des « partenaires » plus à sa portée. Le Mexique est un candidat déjà visé, mais une Europe faible sera également au menu. Son excédent bilatéral vis-à-vis des États-Unis progresse. Les sujets de frictions ne manquent pas : contentieux aéronautique ou agricole (datant du xxe siècle…), enjeux numériques aux dimensions multiples (fiscalité, concurrence, droit des données), déséquilibres macro-économiques allemands, climat… »

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