Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2021 de Politique étrangère (n° 3/2021). Dominique David, rédacteur en chef de Politique étrangère, propose une analyse de l’ouvrage d’Isabelle Facon, La nouvelle armée russe (L’Inventaire-L’Observatoire franco-russe, 2021, 128 pages).

L’Occident ne sait plus où donner de la tête pour redécouvrir ses ennemis : terrorisme, Chine, cyber-agresseurs, Russie… Moscou, qui relève la tête après l’éclipse de la fin du XXe siècle, occupe une place de choix dans la hiérarchie des puissances diaboliques, après l’annexion de la Crimée et l’intervention en Syrie. Son armée est à nouveau un symbole de son poids international. Le petit livre que signe Isabelle Facon tente une évaluation du poids militaire russe en le replaçant dans la perspective des trente premières années de la nouvelle Russie.

Les années 90 sont celles d’une déréliction : matériels et budgets en chute libre, entraînements opérationnels à l’arrêt, image dégradée dans la population après l’Afghanistan et du fait du fonctionnement même de l’appareil militaire. Les annonces de réformes se succèdent sans nulle concrétisation ; le pouvoir civil se méfiant fortement d’une armée qui pourrait représenter, dans la dérive générale, le seul pôle de référence.

Vladimir Poutine affirme une verticale du pouvoir et des valeurs d’autorité qui siéent aux militaires, traumatisés par le délaissement des politiques et les expériences mal acceptées de la modernité occidentale – en Irak puis en Serbie. La « petite guerre » de Géorgie, en 2008, ne redorant que fort peu l’image de l’armée russe. À partir de 2007, plusieurs vagues de réforme se succèdent, appuyées sur un incontestable volontarisme budgétaire : mise sur pied de forces mobiles d’action rapide, renforcement des forces de défense aérienne, puis retour à la construction de forces orientées sur l’hypothèse d’un conflit majeur. En 2015, le nombre de contractuels dépasse dans les armées russes celui des appelés… La crise russo-ukrainienne de 2014, l’intervention en Syrie – sur place et à distance – accréditeront une nouvelle image d’efficacité des forces russes.

Dans la remontée en force internationale de la Russie, la dimension militaire occupe certes une position centrale, comme moyen de contredire, de bloquer, certaines menées occidentales : disposition de forces plus agiles sur les directions stratégiques de l’intérêt de Moscou (Baltique/Kaliningrad, Crimée/ mer Noire, Moyen-Orient, Grand Nord) ; maintien du nucléaire garantissant le statut de puissance majeure ; alliances (Organisation du traité de sécurité collective, qui structure la présence de Moscou en Asie du Sud et centrale, rapprochement russo-chinois) ; diplomatie de défense (ventes d’armes).

Les faiblesses de cette « puissance militaire convalescente » sont claires (technologies de l’information et de la communication, puissance industrielle, poids global…), mais sans conteste les forces russes ont gagné en efficacité et en crédit dans leur propre population. La rhétorique militaire peut faire son retour, appuyée sur les mythes nés de la Grande Guerre patriotique.

Cela fait-il de la Russie une menace globale ? Chacun jugera, et du maniement par le pouvoir russe de l’image militaire de la puissance nationale, et de la légitimité de la construction, en Occident, de l’épouvantail russe. Il reste qu’il faut compter à nouveau avec la puissance de nuisance militaire russe, et plus globalement avec la Russie. Le petit livre d’Isabelle Facon donne, de manière froide et exigeante, les éléments pour redresser un raisonnement trop souvent livré aux tentations de l’idéologie et de l’ignorance.

Dominique David

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