Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2024 de Politique étrangère (n° 2/2024). Dominique David, rédacteur en chef de Politique étrangère, propose une analyse de l’ouvrage de Philippe Ducroquet et Jean-Paul Charvet, Atlas des politiques agricoles et alimentaires (Éditions du Rocher, 2024, 248 pages).

Dans l’Agenda 2030 de l’ONU, sur 17 objectifs de développement durable, une dizaine touchent à l’alimentation. Après un notable recul, la faim – censée se réduire à « zéro » en 2030… – est pourtant repartie à la hausse depuis une quinzaine d’années. Cette dramatique inversion, les replis induits par le Covid-19, les freinages des exportations à la suite de la guerre d’Ukraine, réévaluent dans le débat public la dimension politique de l’alimentation et le concept de sécurité alimentaire. L’impressionnant Atlas de Philippe Ducroquet et Jean-Paul Charvet s’efforce de camper ces questions complexes sur des bases fermes, les plus « objectives » possible.

Il s’agit d’approcher les réalités et les politiques agricoles tournées vers un but précis – nourrir la planète –, sans s’enfermer dans l’alternative ouvertures libérales/fermetures protectionnistes, en privilégiant l’exploration de multiples éléments, l’éclairage d’infinies diversités. L’ouvrage s’ouvre sur un rappel de quelques grandes variables : les progrès dus aux émergences économiques de la fin du XXe siècle, puis l’inversion récente de la tendance ; les facteurs inégalement répartis, ou évolutifs, entre pays (surfaces cultivables, rendements des terres, réserves d’eau, évolution climatique…) ; enfin, les politiques menées, plus ou moins dogmatiques ou adaptées aux conditions locales.

La grandeur d’un Atlas, c’est de donner à voir. Celui-ci remplit pleinement son rôle en parcourant les grandes régions de la planète (Afrique, Maghreb/Moyen-Orient, Asie, Amérique latine, pays « du Nord » incluant Japon et Australie…), à travers un choix de pays représentatifs de la diversité des chances, des difficultés et des politiques. Chaque chapitre-pays inclut des données économiques, chronologiques et cartographiques, ainsi que des indicateurs (population, production, importations, position alimentaire…) permettant une approche fine de chaque situation.

Ce qui frappe en effet c’est la diversité. Les grandes tendances sont rappelées dans une longue conclusion. La tentation du retour à une certaine « souveraineté alimentaire » n’efface pas la nécessité d’échanges internationaux, vitaux pour une large part de l’humanité – l’Afrique étant, par exemple, de moins en moins autosuffisante alors même qu’elle dispose de terres non exploitées. Pour l’avenir, Afrique et Asie resteront en demande d’importations, la Russie et l’Amérique latine en position d’exportateurs. La question de l’alimentation ne peut être traitée hors des politiques générales visant à la hausse du niveau de vie. Et, hélas, les facteurs physiques positifs pour le développement agricole ne suffisent pas, comme le montre l’exemple dramatique de Madagascar.

C’est donc au politique qu’il faut revenir, avec des États pouvant faire des choix effectifs et respectés, équilibrant ouverture et préservation des actifs nationaux, développant les infrastructures, poussant à l’organisation des marchés et à l’auto-organisation des agriculteurs eux-mêmes, valorisant les conditions locales contre les dogmatismes importés.

Fruit d’un long et minutieux travail remarquablement mis en page et présenté, cet Atlas, qui allie analyse conceptuelle et vision spatiale, retiendra sans nul doute l’attention des spécialistes et celle de tout lecteur attentif à l’un des problèmes majeurs des décennies à venir.

Dominique David

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