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[Save the date] L’État est-il « has been » ?

« Que reste-t-il de l’État dans le monde d’aujourd’hui ? »
Cette année, les trois premiers numéros de Politique étrangère ont abordé, chacun à leur façon, la question de l’État et de son efficacité dans le monde actuel.

Pour approfondir cette réflexion, l’Ifri et Diploweb vous invitent à assister à la rencontre-débat organisée à la Sorbonne le mercredi 21 novembre, de 19h à 20h30 :
« L’État est-il has been ? »

Instabilité politique et perspectives de démocratie en Afrique

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L’article « Instabilité politique et perspectives de démocratie en Afrique », écrit par Peter Anyang’ Nyong’o, à l’époque chef de programme à l’Académie africaine des sciences à Nairobi, a été publié dans le n° 3/1988 de Politique étrangère.

Il ne fait aucun doute que l’on assiste aujourd’hui à un regain d’intérêt pour l’étude de la démocratie et des perspectives de démocratisation en Afrique. Cette fois, l’initiative n’en revient pas à des universitaires expatriés cherchant là de nouveaux terrains d’essai pour leurs recherches, mais à des spécialistes africains qui essayent, chez eux, d’apporter des solutions à la crise actuelle.

La démocratie, peut-on lire dans une étude déjà parue, est importante en soi pour le développement de l’Afrique. Si les États africains n’ont pas réussi à tracer des voies de développement (ou d’industrialisation) viables, c’est avant tout en raison de l’absence de toute responsabilité politique, et donc de démocratie. Depuis l’indépendance, le rôle du citoyen dans les affaires publiques a été systématiquement réduit. L’arène politique s’est rétrécie, la démobilisation politique est devenue la norme plutôt que l’exception dans le comportement des régimes, et la manipulation des structures sociales pour justifier et maintenir la répression politique a constitué la préoccupation majeure de la plupart des gouvernements. Tout ceci est venu renforcer une caractéristique notoire que partagent presque tous les gouvernements africains : le mauvais emploi des ressources publiques et leur utilisation à des fins privées, toute possibilité de voir s’épanouir un processus viable de développement autochtone étant écartée ou délibérément étouffée. C’est ainsi qu’est apparue une corrélation bien nette entre l’absence de démocratie dans les régimes politiques africains et la détérioration des conditions socio-économiques.

Indispensables frontières

Cette recension d’ouvrages est issue de Politique étrangère (3/2015). Guillaume Lagane propose une analyse de l’ouvrage de Thierry Baudet, Indispensables frontières. Pourquoi le supranationalisme et le multiculturalisme détruisent la démocratie (Paris, Éditions du Toucan, 2015, 592 pages).

Baudet-indispensables frontièresIndispensables frontières est la traduction d’un ouvrage publié en 2012, de Thierry Baudet qui, malgré son patronyme français, est un jeune Hollandais (né en 1983), professeur de sciences politiques à l’université de Leyde. L’auteur est également éditorialiste au NRC Handelsblad, quotidien du soir de tendance libérale (sa devise est Lux et Libertas), parfois comparé au Monde dans la presse néerlandaise. Cette origine universitaire explique la forme du livre, un épais ouvrage de 600 pages à l’imposante bibliographie.

Le sous-titre du livre, Pourquoi le supranationalisme et le multiculturalisme détruisent la démocratie, en résume bien la thèse. Mais le titre original hollandais, De aanval op de natiestaat, est plus explicite encore. Car c’est bien « l’assaut contre l’État-nation » que Thierry Baudet entend repousser. Deux mouvements contemporains et parallèles minent le modèle traditionnel, l’un venu du haut – les organisations internationales (en particulier l’Union européenne) –, l’autre du bas – le multiculturalisme des nouvelles populations immigrées. Baudet en appelle à pourfendre les « mensonges de l’universalisme » et à restaurer le « particularisme de la citoyenneté ».

Les zones grises

Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2012). Serge Michailof propose une analyse de l’ouvrage de Gaïdz Minassian, Zones grises : quand les États perdent le contrôle (Paris, Autrement, 2011, 204 pages).

C’est à un sujet passionnant et particulièrement d’actualité que s’est attaqué Gaïdz Minassian dans un ouvrage ambitieux, celui de l’extension des « zones grises » où le pouvoir de l’État s’est érodé au point d’avoir de facto disparu. La nature ayant horreur du vide, l’État se trouve, dans ces zones grises, remplacé par d’autres pouvoirs non étatiques : bandes plus ou moins organisées aux activités délictueuses dans nos banlieues, mafias impliquées dans des activités criminelles structurées en Italie et en Amérique centrale, guérillas dont les motivations politiques se fondent dans le narcotrafic en Colombie, proto-États que se disputent deux pays en situation de conflit latent au Haut-Karabagh, milices tribales et islamiques dans cet État failli qu’est devenue la Somalie, Hamas et Fatah dans ce territoire au statut ambigu qu’est Gaza, pirates largement tolérés dans une zone maritime que se disputent Chine et autre pays riverains de la mer de Chine, enfin Talibans, groupes fondamentalistes et restes d’organisations tribales historiques dans les zones tribales du Nord-Ouest pakistanais.
Ce simple énoncé souligne l’ambition de l’ouvrage, qui comprend deux grandes parties : une première partie qui est plutôt une longue introduction à caractère théorique sur le concept des zones grises, ce qui les caractérise et ce qui permet ou facilite leur développement. Puis une seconde partie, qui procède à une présentation synthétique des différents cas déjà listés. Cette dernière est particulièrement attrayante, facile à lire et bien documentée, même si le spécialiste pourra ici et là trouver à redire. Elle regroupe en fait des cas très variés et dissemblables et rares seront ceux qui ne s’instruiront pas à sa lecture. Ces présentations mettent l’accent sur des similitudes entre des situations radicalement différentes et c’est à la fois l’intérêt et les limites de l’exercice, car classer dans une même catégorie la mer de Chine et nos banlieues peut susciter quelques réserves. Mais rapprocher les deux extrémités des filières de la drogue et montrer que, in fine, ce sont les carences de l’État qui permettent aux narco-économies de proliférer tant dans les banlieues françaises qu’en Colombie ou dans le Nord-Ouest du Pakistan est fort juste.
La première partie à caractère théorique est moins convaincante. Il aurait sans doute été plus logique de partir des études de cas pour en déduire des leçons, plutôt que de commencer par une analyse théorique du problème, mais ce point est mineur. On pourra regretter au plan de la forme une rupture de style et une expression parfois inutilement compliquée. On aurait aimé que l’auteur pousse son analyse pour lier le développement de ces zones grises aux problématiques des États fragiles et au développement des guerres civiles, les sujets étant étroitement liés. Le choix de l’auteur explique sans doute l’absence de référence à la masse considérable de travaux et de recherches conduits depuis 30 ans dans les pays anglo-saxons sur ces sujets ; on pense bien sûr, concernant la fragilité des États, à l’ouvrage de base de Jeffrey Herbst (States and Power in Africa: Comparative Lessons in Authority and Control, Princeton, NJ, Princeton University Press, 2000) et, sur les guerres civiles et zones de conflits, aux recherches de Paul Collier, quitte à critiquer ces ouvrages et leurs thèses, qui ont leurs faiblesses.
L’absence de référence aux auteurs anglo-saxons, il est vrai non disponibles en français, est un peu regrettable : elle aurait permis à l’auteur d’approfondir une conclusion fort juste, qui souligne que ce sont les faiblesses et les dysfonctionnements graves des États qui expliquent leur perte de contrôle sur certaines régions ou certains pans de leurs sociétés. Il aurait ainsi pu insister sur les engrenages dramatiques qui conduisent de la perte de contrôle par l’État du monopole de la violence à la disparition des autres services de l’État, au développement des activités illicites, à la mise en place de milices armées pour protéger ces activités, puis au développement d’une administration parallèle qui se substitue à l’État, rend la justice, etc. La conclusion de l’ouvrage, fort juste et particulièrement importante, aurait mérité d’être développée : elle souligne en effet le caractère déséquilibré et finalement inefficace de tout traitement purement sécuritaire de ces questions.
Au total, un livre intéressant et stimulant sur un sujet déjà extrêmement préoccupant, en passe de devenir un problème majeur du XXIe siècle.

Serge Michailof

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