Cette recension d’ouvrages est issue de Politique étrangère (3/2015). Guillaume Lagane propose une analyse de l’ouvrage de Thierry Baudet, Indispensables frontières. Pourquoi le supranationalisme et le multiculturalisme détruisent la démocratie (Paris, Éditions du Toucan, 2015, 592 pages).
Indispensables frontières est la traduction d’un ouvrage publié en 2012, de Thierry Baudet qui, malgré son patronyme français, est un jeune Hollandais (né en 1983), professeur de sciences politiques à l’université de Leyde. L’auteur est également éditorialiste au NRC Handelsblad, quotidien du soir de tendance libérale (sa devise est Lux et Libertas), parfois comparé au Monde dans la presse néerlandaise. Cette origine universitaire explique la forme du livre, un épais ouvrage de 600 pages à l’imposante bibliographie.
Le sous-titre du livre, Pourquoi le supranationalisme et le multiculturalisme détruisent la démocratie, en résume bien la thèse. Mais le titre original hollandais, De aanval op de natiestaat, est plus explicite encore. Car c’est bien « l’assaut contre l’État-nation » que Thierry Baudet entend repousser. Deux mouvements contemporains et parallèles minent le modèle traditionnel, l’un venu du haut – les organisations internationales (en particulier l’Union européenne) –, l’autre du bas – le multiculturalisme des nouvelles populations immigrées. Baudet en appelle à pourfendre les « mensonges de l’universalisme » et à restaurer le « particularisme de la citoyenneté ».
À vrai dire, Thierry Baudet peine parfois à convaincre. Très soucieux de renverser les perspectives traditionnelles sur l’histoire du XXe siècle, il entend persuader le lecteur que l’État-nation n’a pas échoué à maintenir la paix sur le continent. Baudet relève par exemple la faible mortalité des conflits entre États au XIXe, siècle par excellence des nationalités. À l’inverse, les guerres mondiales n’ont pas selon lui (et l’historien Hugh Seton Watson[1]) été causées par le nationalisme mais par une idéologie beaucoup plus large (impérialisme allemand, racisme nazi), qui voulait dépasser l’État-nation pour constituer des empires.
L’idée européenne elle-même n’est pas synonyme de paix puisqu’elle est, au départ, d’origine totalitaire. On connaît les idées paneuropéennes de l’entourage de Hitler[2]. Et l’on se souvient que Robert Schuman, l’un des pères de la CECA, fut d’abord ce député mosellan votant les pleins pouvoirs au maréchal Pétain et entrant dans le gouvernement de Vichy.
Tout cela sent, malgré tout, le goût du paradoxe. Si l’on peut, à la rigueur, concéder que le second conflit mondial fut avant tout l’affrontement d’idéologies contraires, la Première Guerre mondiale a été préparée par des décennies d’endoctrinement nationaliste, dont la France, avec une ligne bleue des Vosges dessinée sur les cartes de toutes les écoles primaires, ne fut pas la dernière illustration.
Et à part une commune aire géographique, il est pour le moins hasardeux de comparer « l’empire » européen actuel avec le projet de Grande Allemagne ou même l’ancienne URSS. Demander un vote nouveau aux Irlandais n’est pas de même nature qu’envahir la Pologne en 1939 ou la Tchécoslovaquie en 1968. Quant à l’identification de l’Europe avec la paix, elle est si profonde qu’elle empêche aujourd’hui l’UE, dont la plupart des États sont pacifistes, de développer une politique d’intervention militaire dans ses marges troublées (du Sahel à l’Ukraine).
[1]. H. Seton-Watson, Nations and States : an Enquiry into the Origins of Nations and the Politics of Nationalism, Boulder, Westview Press, 1977.
[2]. J. Laughland, The Tainted Source : The Undemocratic Origins of the European Idea, Londres, Sphere Books, 1997
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