Dans le sillage du premier choc pétrolier, Pierre Mayer et Jean-Jacques Subrenat analysent dans cet article publié dans Politique étrangère en 1977 les conséquences du bouleversement des rapports économiques entre pays industrialisés et tiers-monde: le nouvel ordre économique international est avant tout porteur d’instabilité et d’incertitudes. Il révèle de fortes divergences d’intérêts, tant entre Nord et Sud qu’au sein des pays en voie de développement. Les auteurs prédisent aux pays industrialisés chômage structurel, inflation et une difficile adaptation à la concurrence brutale de certains pays du tiers-monde. Un texte à relire avec profit, quelques semaines après le sommet de Hainan qui a vu le groupe des BRICS s’élargir à l’Afrique du Sud.

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Si la formule d’un « nouvel ordre économique international » est devenue banale, son contenu n’est ni évident, ni perçu de pareille façon par les pays en développement et les pays industriels. Certains experts le définissent ainsi : apporter aux mécanismes économiques des modifications techniques telles que la réforme du système monétaire international ; ou remettre enfin à jour les règles qui régissent le commerce international ; ou encore, trouver un meilleur équilibre entre la production d’énergie et sa consommation. D’autres, parmi les représentants des pays en développement, pensent au contraire qu’un nouvel ordre ne peut se mettre en place qu’à la condition de prendre appui sur des bouleversements politiques, en même temps que sur de nécessaires améliorations économiques ou techniques. Il est rare qu’une amélioration technique se suffise à soi-même : il lui faut aussi une volonté politique et un projet social. Or, précisément, la période actuelle se distingue par une difficulté accrue de mettre en rapport les moyens et la nécessité. Dans un monde où la trame des interdépendances se trouve resserrée par la vitesse, la multiplication des incertitudes apparaît comme une contradiction lourde de conséquences. La question est souvent posée de savoir si l’ordre économique actuel pousse les différents acteurs à coopérer ou à s’affronter : il s’agit plutôt de savoir si X absence de cohésion et d’organisation, la disparité des situations, la multiplication des aléas en tous genres, ne se traduira pas par une période d’inévitable transit ion,d ont il faudra limiter les inconvénients majeurs.

A – PERSPECTIVES ET RISQUES D’UN NOUVEL ORDRE

Toute explication optimiste tient pour acquise la résorption de la crise sans l’intervention de changements fondamentaux ; c’est croire qu’il suffit de négocier une nouvelle péréquation entre les besoins énergétiques du monde industriel et la nouvelle puissance de marchandage des exportateurs de pétrole. Les pessimistes sont persuadés, au contraire, que les conséquences de la crise pétrolière d’octobre 1973 ne sont pas encore clairement perçues, qu’elles ont été camouflées par l’inflation, par une certaine mise en scène, et par des progrès techniques qui réduisent le sentiment de dépendance vis-à-vis du pétrole. A-t-on sous-estimé la crise pétrolière et, à travers elle, le danger latent d’une expansion économique nourrie de carburants bon marché ? Au cours de l’année 1974, on s’en souviendra, deux explications contradictoires étaient élaborées à l’envi : les économies industrielles tenaient le quadruplement du prix du pétrole pour responsable de la crise économique ; les producteurs de pétrole rétorquaient que leur action ne faisait que mettre en relief, avec une douloureuse acuité, la crise d’un système monétaire inadapté, donc moribond. En toute logique, les effets de la crise pétrolière auraient dû être répercutés immédiatement sur la plupart des pays et à tous les niveaux d’activité : un transfert massif de ressources aurait dû se faire pour transformer le surplus payé par les consommateurs en excédents équivalents pour les pays producteurs et exportateurs de pétrole. Or, si cela a bien été le cas, ni l’ampleur ni la rapidité du phénomène n’ont été suffisantes pour faire éclater un système que les épreuves successives depuis 1945 ont endurci. La différence aurait dû se traduire par une symétrie entre le pouvoir d’achat accru des producteurs et une déperdition concomitante chez les pays importateurs. Or, les transferts ont eu un effet limité sur la capacité d’investissement productif des « nouveaux riches », qui se sont réfugiés dans des dépenses de prestige, de souveraineté ou de spéculation. Quelles ont été les formes de ce camouflage involontaire ?

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