Article issu de Politique étrangère (4/2011), paru le 21 décembre 2011, portant sur l’ouvrage Au cœur de l’antiterrorisme (Paris, JC Lattès, 2011). L’article qui suit a été rédigé par Marc Hecker, rédacteur en chef adjoint de Politique étrangère et chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri.
Marc Trévidic a été substitut au parquet antiterroriste de Paris de 2000 à 2003 puis est revenu à la galerie Saint-Éloi en 2006, en qualité de vice-président chargé de l’instruction. Autant dire qu’il connaît bien les rouages de l’antiterrorisme français.
Après le départ de Jean-Louis Bruguière, il a « hérité » de certaines des affaires les plus médiatiques de ces trois dernières décennies, comme celle de la rue Copernic, des moines de Tibhirine ou encore de l’attentat de Karachi en 2002. Certaines de ces affaires, bien que vieilles de 30 ans, sont encore en cours : les coupables n’ont pas été confondus et le juge, tenace, refuse d’abandonner. Le temps peut faire son œuvre et la grande Histoire venir à la rescousse de la justice. Après la chute du mur de Berlin, l’ouverture des archives de la Stasi a ainsi permis d’élucider nombre d’attentats et de faire tomber Carlos.
Tout en respectant le secret de l’instruction, l’auteur dévoile le fonctionnement de la justice antiterroriste. Il raconte les enquêtes, les auditions, les procès. Il décrit l’originalité du système français, ses figures emblématiques aux surnoms baroques – Jean-Louis Bruguière (« l’Amiral »), Bernard Squarcini (« le squale ») ou encore Roger Marion (« Eagle Four ») – et son efficacité redoutable assurée notamment par le couple formé par la Direction de la surveillance du territoire (DST) et l’instruction (puis par la Direction centrale du renseignement intérieur [DCRI] et l’instruction). Dans certaines affaires, la frustration du juge est évidente car il se heurte à la raison d’État. Il n’hésite pas à se montrer incisif à l’égard de l’exécutif quand il évoque la réforme du juge d’instruction voulue par le président de la République – une réforme qui permettrait d’enterrer discrètement les dossiers trop sulfureux.
Le style de M. Trévidic est plaisant. Il alterne analyses et passages plus personnels – mentionnant par exemple sa première erreur judiciaire, dans une affaire de viol, alors qu’il débutait sa carrière dans le Nord de la France. Il manie l’humour et l’ironie, à l’instar de ce passage où il qualifie les documents confidentiels défense de « bibliothèque rose », expliquant que les juges sont souvent contraints de se contenter de la littérature pour enfants, le « très secret défense » étant réservé aux adultes. Rapidement, le ton redevient plus grave comme lorsqu’il évoque les mauvais traitements infligés aux prisonniers dans certains pays avec lesquels la France coopère. Au passage, on obtient la confirmation du fait que des enquêteurs français se sont rendus à Guantanamo pour y interroger des détenus.
Les djihadistes occupent une place particulière dans ce livre. À plusieurs reprises, son auteur emploie le possessif pour en parler : « mes mis en examen », « mon terroriste ». Il cherche à comprendre les raisons de leur radicalisation et de leur volonté de passer à l’acte. Certains d’entre eux sont très jeunes – 18 ans à peine – et le magistrat n’est pas loin de les considérer comme des victimes manipulées. Il sait toutefois que les vraies victimes ne sont pas les apprentis terroristes mais leurs cibles, ces personnes frappées au hasard dans des lieux publics, et leurs proches, qui leur survivent et veulent à tout prix connaître la vérité. La vérité, c’est aussi ce que recherche M. Trévidic, contre vents et marées. Pour que justice soit faite.
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