Mois : avril 2012 Page 2 of 3

Pourquoi les BRIC changent le monde

Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2012). Yannick Prost propose une analyse de l’ouvrage d’Alexandre Kateb, Les nouvelles puissances mondiales : pourquoi les BRIC changent le monde (Ellipses, 2011, 272 pages).

Les travaux sur les puissances émergentes connaissent une vogue certaine et, comme souvent dans les phénomènes de mode, le meilleur y côtoie le pire. L’ouvrage d’Alexandre Kateb se range dans la première catégorie, car l’auteur a tenté une synthèse aussi intelligente que difficile en s’appuyant sur une bibliographie honnête. Difficile parce qu’il faut bien avouer que le concept de BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) est nébuleux. Les BRIC sont des puissances économiques en phase de rattrapage, comptant désormais parmi les dix ou douze premières puissances mondiales. Pour le reste, l’ensemble est hétéroclite. Toutefois, l’ouvrage parvient à mettre en lumière quelques convergences.
En premier lieu, l’émergence se caractérise par un type de développement qui remet en cause les préconisations du libéralisme économique. Si l’orthodoxie financière est généralement respectée, ces puissances se caractérisent par un fort interventionnisme étatique. Ce dernier s’exprime particulièrement en matière de politique industrielle, qui bénéficie d’une stratégie de « champions nationaux », grandes entreprises solidement tenues par les autorités nationales via des noyaux durs d’actionnaires et une réglementation protectrice contre une prise de contrôle par les étrangers. L’intérêt national primant celui des actionnaires privés, les groupes industriels peuvent mener une politique d’investissement à long terme. Enfin, une habile manipulation des taux d’intérêts et une politique bancaire prudente – les leçons de la crise de 1997-1998 ont été tirées – permettent de profiter d’une sous-évaluation des monnaies ou au moins de garantir la stabilité de celles-ci contre les spéculations.
Mais si le rattrapage industriel a été spectaculaire, ces économies pourraient peiner à franchir la frontière technologique : en effet, malgré d’importants investissements dans l’éducation, les BRIC rencontrent des succès mitigés dans l’économie de la connaissance. La faiblesse de la recherche fondamentale, un environnement intellectuel peu propice et un effort généralement insuffisant dans la recherche et développement (R&D) limitent la maîtrise de l’innovation. Le « Cyberabad » des informaticiens indiens ne doit pas faire illusion : il n’exerce guère d’effet d’entraînement sur le reste de l’économie du pays. Toutefois, ces pays ont pris conscience de leurs lacunes et réalisent déjà des percées sur quelques niches.
Ces puissances économiques abritent des sociétés encore marquées par les vestiges du sous-développement ou d’une mauvaise adaptation à la modernité démocratique : bien que la proportion de pauvres ait baissé, le niveau de vie moyen demeure modeste. Ces sociétés, entrées en transition démographique ou l’ayant achevée, doivent encore gérer l’exode rural ou faire face au déclin démographique (Russie). Le système de protection sociale demeure lacunaire et faible et les très fortes inégalités sociales suscitent des questions sur la stabilité politique à moyen terme. Enfin, les dommages causés à l’environnement présentent des défis considérables.
Puissances émergentes, les BRIC sont également des sociétés en transition : régimes autoritaires (Chine, Russie) ou sociétés conservatrices dominées par des castes (Inde, Brésil), elles peinent à accepter les standards occidentaux de l’état de droit et de la démocratie. Le Brésil se détache peut-être du groupe : n’ayant pas subi de subordination récente à l’Occident, il semble moins marqué par le nationalisme et le besoin de revanche sur les pays du Nord. Toutefois, ces politiques étrangères convergent pour remettre en cause le statu quo post-guerre froide régissant le système international : remise en cause de la domination occidentale, de l’ingérence dans les affaires intérieures des États et de l’unipolarisme présumé des États-Unis.
Un nouvel équilibre des forces, source de définition d’un nouvel ordre mondial ? Pas certain, car les BRIC ne sont ni un groupe cohérent, ni une force d’entraînement des pays du Sud. Non, au fond, les BRIC incarnent une vision du monde westphalienne, face à laquelle l’Europe se trouve bien désarmée.

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Israël et Palestine : à l’ombre du mur

Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2012). Samuel Ghiles-Meilhac propose une analyse de l’ouvrage de Stéphanie Latte Abdallah et Cédric Parizot (dir.), À l’ombre du mur : Israéliens et Palestiniens entre séparation et occupation (Actes Sud, 2011, 334 pages).

Parmi les nombreuses représentations saturant les imaginaires collectifs sur la réalité vécue par les Israéliens et les Palestiniens, le mur que les autorités israéliennes ont commencé à construire en Cisjordanie depuis 2002 occupe une place symbolique forte, en particulier pour les Européens. Matérialisation de l’échec du processus de paix, cette réalisation unilatérale est un point d’affrontement politique majeur.
Cédric Parizot et Stéphanie Latte Abdallah ont rassemblé les fruits de rencontres universitaires auxquelles ont participé des chercheurs (notamment en début de carrière, mérite qu’il faut souligner) explorant les nouvelles dynamiques à l’oeuvre sur les enjeux d’espace et de déplacement dans le conflit.
Cette étude, remarquable par l’originalité de son approche, offre au lecteur habitué à des récits où se succèdent affrontements, négociations secrètes et conférences internationales la possibilité de comprendre les nouvelles relations qui se tissent entre les acteurs du conflit à travers le prisme des mobilités et des usages de l’espace.
Ce livre est une invitation à une analyse rigoureuse des phénomènes qui se jouent « à l’ombre du mur ». C’est en portant son regard au-delà de cet édifice que les nouvelles dimensions du conflit peuvent être saisies. Alors que le tracé unilatéral de cet ouvrage non encore achevé semblait donner corps à une frontière définitive entre Israéliens et Palestiniens, c’est un flou, une reconfiguration des enjeux, des stratégies et des échanges qui s’opèrent entre les acteurs locaux et internationaux dans ces quelques milliers de kilomètres carrés.
L’occupation n’a pas cessé et le mur ne signifie pas une souveraineté effective pour les Palestiniens. Les dispositifs de contrôle israéliens s’inscrivent dans une logique tout à fait contraire à une délimitation territoriale claire et les quelques reprises de négociation en vue d’un accord de paix ne modifient en rien cette situation. Les contributions du livre effectuent d’ailleurs un retour utile sur les décennies qui précèdent l’érection du mur, à savoir la première intifada et le temps des accords dits d’Oslo. Derrière le processus des négociations de paix, l’organisation administrative et politique des territoires palestiniens a été remodelée, divisée et nommée dans un système kafkaïen. Le livre, sans emprunter à la rhétorique partisane, n’occulte aucun aspect de la politique d’occupation par Israël des territoires palestiniens.
Les modes du contrôle israélien sur les territoires occupés ont connu de profondes modifications, déléguant à des acteurs palestiniens certaines prérogatives de la vie civile tout en maintenant une domination militaire et économique. Quelles sont les conséquences de ces nouvelles fragmentations de l’espace cisjordanien et de l’enfermement de Gaza sur les relations entre les Palestiniens citoyens d’Israël et ceux des territoires palestiniens, occupés ou autonomes ? Que peut nous dire un barrage militaire sur les transactions économiques, légales comme illégales, entre les différents acteurs ?
Voici quelques-unes des problématiques étudiées ici avec précision et nuance. Le pari, nous faire découvrir les hors-champ de la reconfiguration des logiques de pouvoir dans le conflit israélo-palestinien, est très réussi. Des sujets peu étudiés en France, comme la politique carcérale israélienne à l’égard des détenus palestiniens, ainsi que les voyages de militants venus de France, pour y exprimer une solidarité avec l’un ou l’autre des belligérants ou pour montrer une certaine réalité du conflit à des décideurs (journalistes ou élus) hexagonaux, étoffent cette riche analyse.
Seul regret, qui n’enlève rien à l’excellence de ce livre collectif, la bande de Gaza, au coeur des conflits de ces dernières années – entre le Hamas et le Fatah et avec Israël – ne fait, hélas, pas l’objet d’une contribution spécifique, peut-être en raison des grandes difficultés matérielles que rencontrent les chercheurs pour y effectuer un terrain d’enquête.

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Comment fonctionnent les agences de notation ?

Lors de la présentation du numéro du printemps 2012 de Politique étrangère à la librairie Pedone, Norbert Gaillard (docteur en économie, Sciences Po et Princeton) explique le fonctionnement des agences de notation.


Comment fonctionnent les agences de notation ? par Ifri-podcast

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