Cet article, paru dans le dossier « Asie : le choc des grandes stratégies » de Politique étrangère n° 2/2012, est signé par Barry Buzan, professeur émérite de relations internationales à la London School of Economics and Political Science (LSE), chercheur associé au centre LSE IDEAS et membre de la British Academy. Parmi ses dernières publications : The Evolution of International Security Studies (avec Lene Hansen, Cambridge, CUP, 2009).
Nous vous proposons de lire cet article en français et en anglais, dans sa version originale.
Voici presque dix ans, l’ouvrage Regions and Powers (Buzan et Waever, 2003) s’articulait autour du concept de complexe régional de sécurité. Nous avancions l’hypothèse de l’apparition, du fait de la montée en puissance de la Chine, d’un supercomplexe tripolaire, liant l’Asie du Sud et l’Asie de l’Est. Ce supercomplexe est aujourd’hui une réalité. Cinq tendances majeures ont présidé à la reconfiguration géopolitique de l’Asie ces dix dernières années : l’essor de la Chine, celui de l’Inde, l’affaiblissement des États- Unis, la conduite de luttes d’influence relatives à la définition d’une identité régionale asiatique et l’apparition de politiques de contrepoids opposées à la Chine.
La Chine, l’Inde et les États-Unis
On connaît les chiffres relatifs à la montée en puissance économique et militaire de la Chine. Elle est aussi manifeste qu’impressionnante et la plupart des Chinois en ressentent une fierté justifiée. En découlent cependant deux positionnements différents : d’une part un certain internationalisme et l’intention d’interagir de manière positive avec le reste du monde, d’autre part un nationalisme dur, dont les tenants considèrent que Pékin doit utiliser son pouvoir nouvellement acquis à son seul avantage, pour asseoir son statut de grande puissance, imposer ses revendications territoriales et tirer profit de sa position économique dominante. Nous sommes donc en présence de deux Chine : l’une veut s’intégrer à la société internationale et la réformer de l’intérieur, tandis que l’autre la rejette et défend une conception réaliste, plus traditionnelle et autoréalisatrice des relations qu’une grande puissance doit entretenir avec les autres acteurs de la société internationale. Selon le visage qu’elle donne à voir, cette Chine schizophrène peut paraître aussi bien inoffensive (Beeson et Li, 2012) que terriblement menaçante (Rozman, 2011).
Reste à savoir comment ces deux tendances vont évoluer en interne et dans quelle mesure elles vont influer sur les rapports de la Chine avec son environnement asiatique et avec la société internationale dans son ensemble. Esquissons un bilan de l’évolution du pays ces dix dernières années. Les points positifs sont nombreux. La Chine s’est intégrée dans les institutions est-asiatiques gravitant autour de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) ; elle a acquis un rôle de premier plan dans d’autres institutions régionales, en particulier l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et les « pourparlers à six ». Elle a également conclu des accords de libre-échange avec ses voisins d’Asie du Sud-Est et l’on considère généralement qu’elle a mené une politique responsable pendant et après la crise financière asiatique de la fin des années 1990. Ses relations tendues avec Taïwan se sont apaisées. Au plan international, elle apporte désormais une contribution importante aux opérations de maintien de la paix, a participé à des opérations de lutte contre la piraterie au large de la Somalie et est entrée à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans nombre de pays, les investissements et produits chinois sont bien accueillis et, comme le Japon avant elle, la Chine a joué un rôle stabilisateur en acquérant des bons du Trésor américains en échange de l’ouverture du marché américain à ses exportations.
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Almost one decade ago Ole Wæver and I wrote Regions and Powers (RaP). Its core concept was the regional security complex (RSC), defined as a set of units whose major processes of securitization, desecuritization, or both are so interlinked that their security problems cannot reasonably be analyzed or resolved apart from one another. Securitization is understood as the discursive process through which an understanding is constructed within a political community to treat something as an existential threat, and to enable a call for urgent and exceptional measures to deal with the threat.
At the time we treated East Asia and South Asia as separate RSCs with distinct histories and dynamics. We saw Southeast and Northeast Asia as having merged during the 1990s to make a single East Asian RSC whose relations were partly conflict formation and partly security regime, mediated by a shared commitment to a degree of economic liberalism and joint development. East Asia was unusual both in containing two great powers, and in having institutions led by the smaller powers because both great powers had legitimacy problems as leaders. The US played a strong and durable intervening role in this RSC. In South Asia we saw an RSC more purely in conflict formation mode, with a deep and ongoing antagonism between India and Pakistan, and a steady drift towards unipolarity as India’s economic and military weight increased and Pakistan remained mired in deepening political instability. There was little economic linkage among the South Asian states, and India seemed more interested in its standing outside South Asia than within it. The US also played a role in South Asia, but this was neither as consistent nor as deep as its role in East Asia. We noted significant connections between the South and East Asian RSCs in terms of longstanding Sino-Indian border disputes, China’s support for Pakistan, particularly in helping to make Pakistan a nuclear weapon state, and rivalry for influence in Burma.
We argued that the ongoing rise of China might be beginning to create a tripolar supercomplex linking South and East Asia, but that this was at best emergent rather than existing (Buzan and Wæver, 2003: 101-3). A supercomplex is understood as a set of RSCs within which the presence of one or more great powers generates relatively high and consistent levels of interregional security dynamics. India was operating more on an all-Asia scale in a context increasingly defined by the rise of China. It felt less threatened by its neighbors, and more able to pursue its ‘Look East’ policy by becoming active economically and strategically in East Asia (Buzan and Wæver, 2003: 118-22). There were early signs of India-Japan strategic links (Buzan and Wæver, 2003: 175). In this context, Burma was judged still to be an insulator, but ‘looks increasingly like succumbing to the dynamics of the Asian supercomplex’ (Buzan and Wæver, 2003: 486). All Asian states were having to position themselves in relation to an emergent rivalry between the US and China. The general pattern in this game was to avoid becoming too entangled with either against the other, and to try to reap individual advantage by playing both against each other. This pattern was increasingly shaping the external penetration by the US into both the individual RSCs in Asia, and the Asian supercomplex as a whole (Buzan and Wæver, 2003: 180-82).
It is this emergent supercomplex that I want to take up in this article. I argue that reactions to the ongoing rise of China have now generated a weak but definite Asian supercomplex. This trend is being reinforced both by China’s turn to a harder line policy since 2008, and by increased US linkage of its role as an intervening external power in South and East Asia.
In thinking about the geopolitical reconstruction of Asia there are five key trends defining the past decade: the ongoing rise of China and India, the weakening of the US, the ongoing contest over defining an Asian regional identity, and the emergence of balancing against China. I will discuss the three big powers in this section, and the other two trends in their own sections.
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