Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2012). Guillaume Durin propose une analyse de l’ouvrage de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, La Guerre au nom de l’humanité : tuer ou laisser mourir (Paris, PUF, 2012, 624 pages).

Sur la question de la moralité des interventions armées, cet ouvrage constitue un travail considérable, synthétique et profond. La thématique est labyrinthique mais n’en est pas moins récurrente dans nos débats, où s’impose presque constamment la nécessité de juger ou de justifier les moyens de l’usage de la force armée.
L’ouvrage conjugue d’emblée une large gamme d’ancrages théoriques, dont les propositions de Hans J. Morgenthau, de Stanley Hoffmann et de Pierre Hassner. Malgré la profusion que ce choix génère et la bataille des libéralismes qu’il occulte, la trame est maîtrisée. À ceci près que, d’une part, elle écarte sans doute trop facilement l’apport de la réflexion menée par Michael Walzer (Guerres justes et injustes, Paris, Belin, 1999) et que, d’autre part, le souci conjoint de rattachement aux intuitions du jeune Morgenthau et de maintien d’une perspective explicitement « critique » paraît peu cohérent. Il est à cet égard assez surprenant de voir Jean-Baptiste Jeangène Vilmer endosser la part du credo de l’école « réaliste », qui affirme « voir le monde tel qu’il est, non pour admettre tous les faits accomplis […] mais pour partir des bonnes prémisses », sans en rappeler ni l’éminente dimension rhétorique ni les profondes contradictions.
L’étude généalogique des théories de l’intervention à laquelle procède J.-B. Jeangène Vilmer a l’avantage de croiser pensées politiques européennes, indienne et chinoise, en cheminant jusqu’à leurs développements les plus récents que sont le « droit d’intervention humanitaire » ou la « responsabilité de protéger ». On aurait pu compléter par la lettre des évêques catholiques américains s’opposant en 1983 à l’équilibre de la terreur et au surarmement reaganien : « Le défi de la paix » (dont J. Bryan Hehir, élève et ami de Stanley Hoffman, fut l’un des artisans décisifs) – ce qui aurait permis de signaler le poids (tout comme la transformation) de la réflexion théologique contemporaine sur ce sujet.
Dans le même temps, les mises en rapport avec le droit international positif sont aussi fines qu’équilibrées, en partant du principe que les réflexions éthique, politique et juridique ont « toujours coexisté dans un dialogue perpétuel et un [enrichissement] mutuel ». Les critères d’évaluation de la légitimité des interventions sur lesquels se fonde J.-B. Jeangène Vilmer sont ceux de ce qu’il juge être la pensée classique de la guerre juste – à savoir l’autorité légitime, la juste cause, la bonne intention, le dernier recours et la proportionnalité –, traversés par la défense d’un interventionnisme jugé « minimal » et d’un « conséquentialisme modéré ».
Actant ce choix de rattachement mais aussi la force des questionnements que l’auteur s’emploie à baliser, on aimerait comprendre les raisons de la mise en retrait du critère limitatif de la discrimination, dont la prise en compte apparaît habituellement comme déterminante. Enfin – et ceci s’adjoint à la longue liste de ses vertus –, poussant à bout la réticence à l’interventionnisme débridé sans vouloir abdiquer pour autant l’engagement progressiste, l’ouvrage se termine par un appel percutant à « remonter la chaîne des causes » via le réinvestissement du projet de transformation sociale et de justice internationale, que le libéralisme politique contemporain ne peut plus reprendre qu’à moitié.

Guillaume Durin

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