Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (3/2012). Marc Hecker, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Mikaël Guedj et Yoanna Sultan-R’bibo, 11 septembre, Paris, 14 h 46 (Paris, Stock, 2011, 262 pages).
Comment les attentats du 11 septembre 2001 ont-ils été vécus au plus haut niveau de l’État français ? Pour répondre à la question, les deux journalistes ne se sont pas contentés de consulter des articles de presse de l’époque ou des notes transmises par des hauts fonctionnaires.
Ils ont mené des dizaines d’entretiens avec des personnalités politiques (Lionel Jospin, François Hollande, etc.), des diplomates (François Bujon de l’Estang, Jean- David Levitte, etc.), des militaires (Henri Bentégeat, Alain Dumontet, etc.), des spécialistes du renseignement (Yves Bertrand) ou des membres de la société civile (Roger Cukierman, Dalil Boubakeur, etc.).
En septembre 2001, la France est en pleine période de cohabitation et l’élection présidentielle de 2002 approche. Alors qu’en période de cohabitation, le président de la République se trouve traditionnellement au second plan, les attentats du 11 septembre propulsent Jacques Chirac sur le devant de la scène. Le président est ainsi le premier chef d’État étranger à se rendre aux États-Unis après le drame. Il rencontre George W. Bush à la Maison-Blanche et survole les ruines du World Trade Center en compagnie du maire de New York, Rudolph Giuliani. L’hélicoptère qui transporte les deux hommes ne peut embarquer que quatre passagers. Claude Chirac s’arrange pour qu’un caméraman et un photographe participent au survol, excluant de fait des personnalités comme le ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine ou le député André Vallini.
Le coup médiatique est réussi : les images de J. Chirac survolant Ground Zero s’étalent à la une de la presse française. Pendant ce temps, L. Jospin supervise la mise en place du plan Vigipirate dans les gares parisiennes. Mikaël Guedj et Yoanna Sultan-R’bibo commentent : « Pendant que Chirac joue à plein son rôle de chef d’État sur la scène internationale, Jospin doit garder la boutique. Un combat d’images forcément déséquilibré. » Et les deux journalistes d’expliquer que les attentats du 11 septembre, en faisant passer le Premier ministre au second plan et en orientant la campagne sur le thème de la sécurité, contribuent sans doute à expliquer la déroute du Parti socialiste lors de l’élection présidentielle de 2002.
Au-delà de cette analyse des conséquences électorales des attaques de New York et Washington, DC, cet ouvrage permet de mieux comprendre la manière dont les dirigeants politiques font face à une surprise stratégique. Dans les minutes qui suivent le crash du deuxième avion, l’appareil d’État se met en branle : la thèse de l’attentat ne fait plus de doute et les services de renseignements pointent immédiatement le réseau Ben Laden du doigt. Se posent alors des questions très concrètes. La France peut-elle être touchée à son tour ? Qui peut prendre la décision d’abattre un avion civil ? Les centrales nucléaires sont-elles suffisamment sécurisées ? Faut-il annuler le match de football France-Algérie qui doit se dérouler moins d’un mois après les attentats ? À l’Élysée et à Matignon, on se demande aussi comment vont réagir les États-Unis. Les responsables politiques français souhaitent afficher une solidarité sans faille avec les Américains mais ils ne veulent pas s’engager à l’aveugle dans une guerre, d’autant qu’on évoque déjà la possibilité de frappes contre l’Irak. Finalement, la riposte américaine se concentre sur l’Afghanistan et la France ne tarde pas à confirmer sa participation à la coalition internationale. Alors qu’on parle aujourd’hui des difficultés logistiques liées au retrait d’Afghanistan, il n’est pas inutile de relire le récit de l’entrée dans le pays des premiers marsouins – entrée qui a failli tourner au fiasco en raison du blocage des autorités ouzbeks.
Marc Hecker
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