Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (3/2012). Stéphane Taillat propose une analyse de l’ouvrage de Hew Strachan et Sybille Scheipers (dir.), The Changing Character of War (Oxford, NY, Oxford University Press, 2011, 564 pages).

La question de la rupture ou de la continuité dans la guerre est cruciale, non seulement pour le monde académique, mais également en raison de ses implications politiques. L’ouvrage coordonné par Hew Strachan et Sybille Scheipers résulte d’un programme de recherche lancé en 2003. Résolument multidisciplinaire, il s’attache à délier le nœud qui unit ces deux processus. Partant de l’assertion clausewitzienne selon laquelle la guerre a une seule nature mais des caractéristiques changeantes, les auteurs testent les réflexions issues du monde académique depuis la fin de la guerre froide : le paradigme des « nouvelles guerres » au nom des identités communautaires, le rôle de la technologie comme moteur du changement, le passage des guerres interétatiques aux guerres intraétatiques, la prééminence des pertes civiles, l’apparition de nouveaux acteurs qui relativisent, voire éliminent, l’État, le retour des théories de la « guerre juste » ou encore l’identité des nouveaux combattants (enfants soldats, mercenaires ou même robots).
L’originalité de ce programme de recherche tient à la relation étroite qu’il établit entre les constatations empiriques, les perceptions contemporaines et les conséquences politiques du discours sur la « nouveauté » de la guerre et de la menace. Les contributeurs mettent en lumière les changements réels mais en soulignant leur faible impact sur le phénomène de la guerre. Si le lien entre l’État, la nation et la guerre semble s’étioler, c’est à la fois parce qu’il s’agit d’une anomalie – européenne et occidentale – mais aussi parce que s’opèrent des mouvements de balancier dans les normes qui règlent la guerre. La « nouveauté » supposée des conflits contemporains repose ainsi sur une lecture superficielle de l’Histoire, fondatrice de narrations durables. Si les évolutions chronologiques et l’apparent désordre qui règnent depuis les années 1990 semblent confirmer la perception du changement, l’insistance sur la culture stratégique comme déterminant du comportement des acteurs pointe plutôt vers une impression de permanence, voire de pesanteur. Si la « nouveauté » est ainsi davantage affaire de perception, il faut en trouver la raison dans les discours politiques qui justifient la guerre. Ces derniers, comme illustrés par la « guerre à la terreur » et la menace du djihadisme, tendent en effet à insister sur cet aspect pour souligner le chaos du présent et la nécessité de prendre les mesures adéquates (mesures d’exception notamment) afin de contrer les menaces. Or ce biais tend à produire des stratégies et des politiques insuffisantes, voire contre-productives.
The Changing Character of War
est un ouvrage stimulant qui examine les présupposés sur lesquels se construit l’image de la guerre et des relations internationales. On pourra regretter que, en dépit du caractère international de l’ouvrage, les universitaires anglo-saxons y soient surreprésentés (Pascal Venesson y est le seul Français). Il y manque donc le pan entier des travaux du monde francophone, autour des notions de « guerre juste » (Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer ou Jean- Vincent Holeindre), de « raisonnement stratégique » (Laure Bardiès) ou encore des effets de la « technologisation » (Joseph Henrotin).

Stéphane Taillat

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