Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2012). Alain Antil propose une analyse de l’ouvrage de Michel Koutouzis et Pascale Perez, Crimes, trafics et réseaux : géopolitique de l’économie parallèle (Paris, Ellipses, 2012, 320 pages).

Michel Kouzoutis et Pascale Perez, spécialistes reconnus des trafics et de la délinquance, signent un ouvrage passionnant sur les évolutions contemporaines du crime transnational. Ils ne sont pas les premiers à l’affirmer mais démontrent de manière extrêmement détaillée et convaincante la convergence de plus en plus claire entre les économies formelle et parallèle. Une convergence qui opère selon plusieurs modalités.
D’une part, les trafics imitent les échanges commerciaux classiques dans leur technicité croissante (diversification, sous-traitance, complexification et dilution de la responsabilité notamment par l’utilisation de sociétés écrans, etc.). Ainsi les réseaux ethniques ou familiaux de trafiquants à la tête d’« activités artisanales et diasporiques » sont-ils de plus en plus remplacés par des organisations transnationales intégrées, où opèrent avocats d’affaires, experts-comptables, financiers de haut vol, transitaires, logisticiens performants. Ces organisations pratiquent la polyactivité et de nouveaux métiers apparaissent. Ainsi les mafias italiennes se sont-elles massivement investies depuis quelques décennies dans la délicate question de la gestion des déchets toxiques.
D’autre part, la frontière entre le légal et l’illégal est de plus en plus difficile à tracer. Arrêtons-nous sur la question des déchets. La Camorra et la N’dranghetta sont devenus des opérateurs importants dans ce secteur. Une partie de ces produits sont déversés sur les côtes est-africaines, et particulièrement somaliennes. Il est difficilement imaginable que cette exportation particulière, qui rend finalement un service important à l’État italien, se fasse sans que des autorités ne ferment les yeux sur le chargement de ces déchets dans des vraquiers situés dans les ports italiens, et que ceux-ci soient vidés sur les côtes somaliennes sans que l’important dispositif de surveillance occidental déployé dans la zone ne s’en avise. Il y a donc plusieurs dimensions à cette relation légal-illégal. L’économie légale, en particulier la finance internationale, comme nous l’a récemment montré l’affaire Barclays, s’affranchit de plus en plus régulièrement non seulement de la déontologie, mais aussi simplement de la loi, alors que les organisations criminelles sont souvent impliquées dans des activités légales (non seulement comme couverture ou pour besoin de blanchiment, mais également parce que certaines activités sont très rentables). La deuxième dimension est l’indéniable complémentarité entre ces deux types d’économies. Les auteurs affirment que, depuis la crise de 2008, plusieurs banques sérieuses et honorables ont été sauvées de la faillite en acceptant l’entrée massive de fonds de différentes organisations criminelles.
Dans cette évolution très particulière, on ne s’étonnera donc pas que les liens entre crime et pouvoir politique se renforcent, y compris chez les grandes puissances mondiales. Ainsi le clan de Vladimir Poutine a-t-il été particulièrement impliqué dans de vastes opérations immobilières à Sotchi, avant l’organisation des Jeux olympiques. De même, le nom du fils de Hu Jintao (Hu Huaqing) est cité dans une affaire de corruption en Namibie, liée à sa société Nuctech. Autre exemple, celui de la société Siemens, qui a curieusement obtenu, ces dernières années, un quasi-monopole auprès des autorités grecques.
Ce livre, captivant du fait de l’abondance de l’information mais aussi de la qualité et de la richesse de la réflexion, n’en souffre pas moins de graves défauts de construction, qui rendent parfois sa lecture difficile. Les auteurs n’ont en effet pas choisi de structurer l’ouvrage par produits, par acteurs ou par aires géographiques, mais par toutes ces entrées à la fois, regroupées au sein de « parties concepts » (interconnectivité ; passerelles ; multiplicités ; entropie). Ce découpage est peu pertinent, car il oblige constamment les auteurs, puisqu’il y a interconnectivité, à parler de tous les sujets dans tous les chapitres. La lecture aurait été plus aisée s’ils avaient opté pour un plan classique, voire recouru à un modèle de dictionnaire. Enfin, autant les auteurs sont convaincants sur l’ensemble de l’ouvrage, autant la partie « entropie », qui traite du terrorisme et de la guerre, semble rajoutée à l’ouvrage. Cette partie se situe hors du cœur de la démonstration et n’apporte guère de plus-value aux lecteurs familiers de ces deux thèmes.

Alain Antil

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