Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2012). Yves Gounin propose une analyse de l’ouvrage de Jacques-Pierre Gougeon, France-Allemagne : une union menacée ? (Paris, Armand Colin, 2012, 224 pages).

Rarement l’Allemagne a été aussi présente dans le débat politique français que durant la dernière campagne présidentielle. Nicolas Sarkozy n’a cessé d’y faire référence, l’érigeant en modèle qu’il fallait copier, tandis que François Hollande dénonçait les capitulations du président devant le diktat allemand.
Ancien conseiller culturel à Berlin, Jacques-Pierre Gougeon est un germaniste réputé. Le titre de son dernier ouvrage est trompeur. Il n’y est pas question de la crise d’une quelconque « union » franco-allemande, mais bien du fossé grandissant qui sépare une France en déclin d’une Allemagne en pleine ascension. Jacques-Pierre Gougeon évoque un « grand écart », qui se serait creusé depuis une dizaine d’années. L’Allemagne a une croissance plus forte, un chômage plus faible, des finances publiques mieux gérées et une économie plus compétitive que la France. La maîtrise du coût du travail et les réformes mises en œuvre par G. Schröder ne sont que deux éléments parmi un faisceau de facteurs. La réussite allemande plonge en fait ses racines dans des causes plus structurelles : un dense réseau de « grosses PME », une spécialisation dans le « haut de gamme », une bonne implantation dans les pays importateurs, etc.
Plus grave que cet effet de ciseaux objectif est la perception qu’on s’en fait, des deux côtés du Rhin. Vue d’Allemagne, la France n’est plus qu’une « Grande Nation ganz klein » (titre d’un article du Frankfurter Rundschau du 12 août 2011), qui compense sa propre incertitude sur sa grandeur perdue par de la crispation et de la gesticulation. C’est sous ce registre-là que de nombreuses actions du président Sarkozy ont été ironiquement commentées : le projet d’Union pour la Méditerranée, la médiation française dans la crise géorgienne à l’été 2008, la crise bruxelloise provoquée par le discours anti-Roms de Grenoble en juillet 2010, l’intervention militaire en Libye – interprétée en Allemagne comme la tentative maladroite de Paris de « restaurer son image » après les « printemps arabes »…
Cette France qui décline voit avec inquiétude sa voisine assumer sans vergogne son statut tout neuf de grande puissance. « Puissance centrale en Europe » (ainsi désignée dans un livre de 1994 par le grand historien Hans-Peter Schwarz), l’Allemagne ose désormais dire non : aux États-Unis qui voulaient qu’elle intervienne en Irak en 2003, voire, au risque de l’isolement, à tout le camp occidental engagé en Libye en 2011.
Cette nouvelle « Allemagne-puissance » porte sur son passé un « regard plus libre ». La comparaison, là encore, ne tourne pas à l’avantage de la France, dont le passé « a du mal à passer », qu’il s’agisse du régime de Vichy ou de la guerre d’Algérie. L’Allemagne, au contraire, relève le défi de la construction d’une mémoire collective commune aux deux moitiés du pays. Une nouvelle génération d’historiens procède à une relecture de la période nazie. Cette relecture de l’histoire s’inscrit à charge (le passé colonial de l’Allemagne est désormais assumé) et à décharge (la célébration du 300e anniversaire de la création de la Prusse a été l’occasion de sa réhabilitation).
Proche de Jean-Marc Ayrault, J.-P. Gougeon l’a suivi à Matignon. Il y a la responsabilité des relations avec l’Allemagne. Au temps de l’analyse succède donc pour lui le temps de l’action : lui incombe désormais la lourde tâche de remédier au déséquilibre croissant entre les deux voisins d’outre-Rhin.

Yves Gounin

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