Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2012). Maïté Jauréguy-Naudin propose une analyse de l’ouvrage de Pierre Bacher, Le credo antinucléaire, pour ou contre (Paris, Odile Jacob, 2012, 176 pages).
Depuis Fukushima, et à la suite de la décision allemande de se passer du nucléaire, de nombreuses voix se sont élevées, en France et ailleurs, pour remettre en cause le choix du nucléaire, ravivant un débat jamais totalement éteint entre pro et anti. Réduire le problème à un affrontement idéologique, c’est courir le risque de simplifier excessivement l’analyse économique. La préemption du débat énergétique par les organisations non gouvernementales (ONG) et les médias sociaux, certes indispensables à la réflexion, pénalise le développement d’une discussion dépassionnée et factuelle. Le citoyen doit disposer de tous les éléments pour déterminer une position lucide sur les choix des sources d’énergie. C’est là le défi qu’entend relever le dernier ouvrage de Pierre Bacher, ancien directeur technique d’EDF et actuellement expert auprès de l’Académie des technologies.
Le livre s’ouvre sur deux parties dédiées aux risques du nucléaire, à leur perception et à leur évaluation, ce qui donne à l’auteur l’occasion d’expliquer les démarches probabiliste et déterministe qui fondent l’expertise de la sûreté du nucléaire. Y sont également traitées les questions du démantèlement et de la gestion des déchets. La troisième partie répond aux critiques contestant les avantages du nucléaire, notamment celles portant sur le coût. S’ensuit une revue des alternatives à l’énergie nucléaire et de leurs limites. Dans un dernier temps, Pierre Bacher tire les leçons de Fukushima.
Les tenants d’une sortie du nucléaire pointeront inévitablement un défaut d’objectivité ou un manque d’indépendance. Il faut pourtant se réjouir de recueillir la vision d’un réel connaisseur des systèmes énergétiques, domaine pour lequel compétence et expertise sont essentiels à une bonne articulation des enjeux. Les accusations de non-indépendance, voire d’appartenance à un lobby quelconque, faussent du reste la discussion et sont souvent malvenues : une indépendance totale des milieux énergéticiens reviendrait à une méconnaissance certaine des contraintes technologiques.
Au travers d’une analyse factuelle et rationnelle, l’ouvrage apporte des réponses aux principaux faits sur lesquels s’appuient les antinucléaires et pointe de nombreux exemples qui rencontrent un grand écho dans les médias et sur les réseaux sociaux, et pourtant sans aucun fondement scientifique. Nombre de valeurs résultant d’erreurs d’interprétation des données alimentent ainsi de multiples polémiques, notamment celles portant sur le nombre de victimes de cancers consécutifs à la catastrophe de Tchernobyl. On apprend par ailleurs que la fameuse phrase sur le nuage nucléaire qui se serait arrêté aux frontières de la France est le fait d’un journaliste et n’a jamais été prononcée par le professeur Pierre Pellerin…
Autre exemple : il est souvent reproché à l’industrie nucléaire de ne pouvoir vivre sans l’intervention de l’État, la couverture du risque étant plafonnée. Ce qui reviendrait à reconnaître que les conséquences d’un accident seraient tellement élevées que seule la solidarité nationale pourrait les prendre en charge. Mais un tel risque n’est pas une spécificité du nucléaire. L’actualité récente et la crise financière montrent que les primes d’assurance ne couvrent pas les grands risques dans de nombreux secteurs de l’économie : banques, industries chimiques, énergie, etc. – la liste est longue.
On pourrait reprocher à cet ouvrage, didactique et instructif, de parfois trop s’appuyer sur les défauts des autres sources d’énergie pour mieux mettre en avant les avantages du nucléaire. Cela est sans doute dû à l’enthousiasme d’un auteur qu’on sent avide de partager sa connaissance du sujet, indiscutable, et à la frustration légitime venant de la pauvreté du débat énergétique, tant au niveau politique que médiatique.
Maïté Jauréguy-Naudin
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