Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2012). Denis Bauchard propose une analyse de l’ouvrage de Marc Lynch, The Arab Uprising: The Unfinished Revolutions of the New Middle East (New York, PublicAffairs, 2012, 288 pages).
Sans parti pris, cet ouvrage décrit un Moyen-Orient en gestation et porte un regard critique, quoique bienveillant à l’égard du président Barack Obama, sur la politique américaine.
L’auteur rappelle que les contestations qui se sont développées à partir de 2011 n’étaient pas sans précédents, faisant allusion aux turbulences de la décennie 1954-1963, puis des années 1980, enfin à la première décennie de ce millénaire. Ce qu’il nomme le « facteur générationnel » a cependant donné aux mouvements de mécontentement déjà perceptibles depuis de nombreuses années une efficacité redoutable contre les pouvoirs en place. Il constate que, par le jeu des nouvelles technologies de l’information, un processus d’unification s’est développé pour déboucher sur un « espace politique arabe » et qu’après la vague initiale, les processus révolutionnaires se sont fortement diversifiés. Il analyse les conséquences de l’onde de choc qui, partie de Tunisie et d’Égypte, a touché pratiquement tous les pays arabes, en distinguant les vagues successives. Aux deux cas précités, où les autocrates au pouvoir sont partis rapidement à l’issue de mouvements pacifiques, ont succédé des révolutions qui se sont déroulées selon des scénarios différenciés, et parfois sous forme de guerre civile. Relativement courte en Libye, elle se prolonge en Syrie, sans que son terme soit encore prévisible. Il note à juste titre que l’activist class n’a pas pu ou pas voulu s’engager, laissant le champ libre aux mouvements islamistes.
La politique américaine est largement évoquée. Celle menée par le président George W. Bush l’est en termes particulièrement critiques : Marc Lynch juge que la promotion de la démocratie par la force telle que pratiquée par l’administration Bush ne pouvait que conduire à un échec. S’agissant du président Obama, le jugement est plutôt positif. Il souligne l’embarras de l’administration devant des soulèvements qu’elle n’avait pas prévus et qui l’obligent au grand écart entre soutien aux aspirations démocratiques et préoccupations de ses principaux alliés, Arabie Saoudite et Israël, qui y sont hostiles. Il estime que le président, lors de son discours au département d’État du 19 mars 2011, a pris acte de ce que « les mouvements de protestation arabes n’ont pas besoin, ni ne veulent, du leadership de l’Amérique ». Si globalement Obama a plutôt bien géré une situation fluide, il n’a pourtant pas pu rétablir la crédibilité des États-Unis dans cette zone. En effet, ces mouvements menacent les fondations même d’un ordre régional soutenu et organisé par Washington. L’auteur rappelle que la question palestinienne reste un problème fondamental et que les bouleversements actuels vont accentuer la pression en faveur d’une solution juste.
Face à cette situation, il recommande un changement fondamental de la politique américaine. Les États-Unis devraient cesser de pratiquer le double standard, repenser « sérieusement » leurs relations avec Israël, reconnaître le lien « fondamental » qui unit tous les problèmes de la région et prendre acte des limites de leur capacité à contrôler le Moyen-Orient. Vaste programme ! Il est peu probable que le nouveau président accepte de prendre en compte telles quelles ces orientations. Cet ouvrage lucide et sans complaisance constitue certainement une référence sur les soulèvements arabes vus par les États-Unis.
Denis Bauchard
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