Cette recension est issue de Politique étrangère 1/2013. Jean-Philippe Bras propose une analyse de l’ouvrage de Roger Owen, The Rise and Fall of Arab Presidents for Life (Cambridge, MA, Harvard University Press, 2012, 272 pages).

couv-Owen-9780674065833Roger Owen propose ici un panorama des régimes du monde arabe, à travers le modèle dominant des présidences à vie en voie de monarchisation par succession familiale. Avant les printemps arabes, dans 11 des 13 pays considérés ici, les chefs d’États semblent devoir exercer un mandat à vie, soit par voie de disposition constitutionnelle (notamment les monarchies), soit par ajustements constitutionnels successifs, permettant au président en exercice de briguer de nouveaux mandats.
Dans la plupart de ces cas, le scénario de la succession se règle dans un cadre familial, à l’instar de l’exemple syrien. En se gardant des thèses essentialistes, sans vraiment les discuter, l’auteur explique cet exceptionnalisme arabe par des facteurs historiques, géopolitiques et économiques. D’où une similitude des composantes de base de ces régimes. Le pouvoir se structure autour de la présidence à vie (ou de l’institution monarchique) et de son maintien. S’élabore un système hiérarchique en étoile : la présidence est au centre et les segments sont cloisonnés. Un ensemble de notations touchent aux relations avec l’armée et les appareils sécuritaires, les acteurs économiques et les chercheurs de rentes, en relevant les conflits potentiels dont est porteuse la pratique du « capitalisme de copains » (crony capitalism). Quant au peuple, il est convié à conforter la légitimité du pouvoir, à travers des élections contrôlées ou des référendums approbatifs de révisions constitutionnelles, la mobilisation électorale tentant de contrarier la démobilisation politique. Il est également convié au banquet de la consommation, clientélisé dans un Welfare State qui mixe libéralisme et intervention de l’État et qui fait donc de la croissance économique l’impératif de survie de ce type de régime – son « talon d’Achille », souligne l’auteur.
Au travers de leur histoire depuis les indépendances, les États de la région sont répartis en quatre groupes : les systèmes d’État centralisés (Égypte, Tunisie, Syrie, Algérie) ; les présidents managers (Libye, Soudan, Yémen) ; les États monarchiques sécuritaires (Jordanie, Maroc, Bahreïn, Oman) ; les présidences « contraintes » (Liban, Irak après Saddam Hussein), ces dernières apparaissant comme une sorte de contre-modèle.
L’ouvrage se clôt sur la « chute soudaine » des régimes. Elle ne pouvait être prévue, souligne l’auteur. Il reste que leurs faiblesses et contradictions étaient évidentes. Les difficultés de plus en plus claires à gérer les élections, les effets ravageurs de la crise sur le développement et l’emploi ainsi que sur les capacités allocatives ou redistributives du pouvoir, la question de la jeunesse à travers ses fuites migratoires, les doutes sur l’aptitude à coordonner les appareils sécuritaires en cas de crise politique majeure, l’incapacité à amorcer la transition vers des sociétés pluralistes, la montée, enfin, des attentes et anxiétés sur les successions, au fur et à mesure du vieillissement des chefs d’État : R. Owen consacre un chapitre suggestif à ces différents facteurs, bien connus et qui auraient pu conduire à formuler l’hypothèse raisonnable de changements politiques majeurs à horizon proche…

Jean-Philippe Bras

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