Cette recension est issue de Politique étrangère 1/2013. Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage de Joseph E. Stiglitz, The Price of Inequality. How Today’s Divided Society Endangers Our Future (New York et Londres, W.W. Norton & Company, 2012, 448 pages).

couv-Stiglitz-9780393088694_300Dans son dernier ouvrage, le Prix Nobel d’économie 2001 dresse un réquisitoire contre la politique économique, fiscale et monétaire menée aux États-Unis depuis les années 1980.
Après avoir constaté l’accroissement des inégalités (déclin du niveau de vie moyen, plus grande difficulté pour les enfants des classes moyenne et populaire à réussir professionnellement, développement d’une « oligarchie d’héritiers »), Joseph E. Stiglitz passe en revue les racines du « mal ». La chute du taux marginal d’imposition, initiée par l’administration Reagan, la multiplication des niches et avantages fiscaux ont abouti à des aberrations : en 2007, le taux d’imposition des 400 foyers les plus riches était inférieur au taux moyen appliqué à l’ensemble des Américains ! Les monopoles, les oligopoles, les ententes ont fleuri, tirant vers le haut les prix de certains services. Le secteur financier est ainsi présenté comme une industrie de rente, qui a en outre spéculé contre ses propres clients. Enfin, la politique monétaire accommodante d’Alan Greenspan et de Ben Bernanke a engendré une hausse des marchés actions permettant l’« argent facile », au détriment de l’investissement et des créations d’emplois. L’auteur montre également comment les Américains se sont fait déposséder de leur démocratie au profit des plus riches (le « 1 % », c’est-à-dire le centile supérieur de la population). Pour lui, le « lobby de la finance » a gagné la bataille de la communication, persuadant les Américains de la nécessité du bailout de 2008, du danger des restructurations de dette et de l’incapacité de l’État à résoudre les crises.
Puis J.E. Stiglitz énumère ses solutions. Pour préserver l’état de droit et protéger les classes moyennes et populaires, il préconise l’instauration du vote obligatoire et la refonte du mode de financement des campagnes électorales. Ensuite, il recommande une réforme de la fiscalité impliquant un impôt sur les successions élevé, une plus grande progressivité des impôts sur les sociétés et sur le revenu, une taxation accrue des industries polluantes et l’abrogation des diverses subventions accordées aux entreprises. Les recettes ainsi dégagées seraient affectées prioritairement aux investissements très productifs et créateurs d’emplois. Par ailleurs, il en appelle à une meilleure gouvernance d’entreprise et à des lois sur les faillites plus favorables aux débiteurs (entreprises et particuliers). Il plaide aussi pour un meilleur accès à l’éducation et un renforcement des programmes sociaux (sécurité sociale, Medicaid) et demande que la politique monétaire vise désormais le plein-emploi.
On est moins convaincu lorsque l’auteur attaque sans nuances les marchés financiers. L’appétit pour le risque de nombreux investisseurs a en effet donné à des pays à moyen et bas revenus l’opportunité d’emprunter à des taux de plus en plus bas au cours des années 2000. De même, la critique systématique des actions du Fonds monétaire international (FMI) est partiellement infondée, comme l’atteste le succès des plans de soutien à la Pologne en 1991, à la Corée du Sud en 1998, au Brésil en 2002 et à l’Uruguay en 2003. On a enfin du mal à suivre l’auteur quand il fait sienne la théorie de Dani Rodrik sur l’impossibilité pour un pays d’être simultanément démocratique, souverain et « globalisé ». Mais l’ensemble de l’ouvrage sonne juste. L’auteur a l’intelligence de ne pas invoquer la morale pour promouvoir la réduction des inégalités. Il demande simplement au « 1 % » de défendre ses intérêts : stopper le creusement des inégalités qui sape la stabilité politique et sociale et menace à terme son bien-être.

Norbert Gaillard

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