Cette recension est issue de Politique étrangère 1/2013. Constance de Roquefeuil propose une analyse de l’ouvrage de Mélissa Levaillant, La Politique étrangère de l’Inde envers l’Iran. Entre politique de responsabilité et autonomie stratégique (Paris, L’Harmattan, 2012, 202 pages).
L’évolution historique de la politique étrangère de l’Inde vis-à-vis de l’Iran est ici exposée de manière abordable et limpide. Les deux pays partagent un passé commun : c’est à la fin du XIIe siècle que l’Inde s’insère dans le monde musulman après la conquête de Delhi par des « Turcs de culture iranienne ». Au XVIIIe siècle, la présence britannique s’étend en Inde et ralentit fortement les échanges entre Téhéran et New Delhi jusqu’en 1947, année où l’Inde accède à l’indépendance. La signature d’un traité d’amitié entre les deux États le 15 mars 1950 relance leurs relations. Néanmoins, la rivalité indo-pakistanaise éloigne les deux pays durant la guerre froide : l’Iran s’allie au Pakistan en signant le Pacte de Bagdad le 24 février 1955 – rejoint en 1958 par les États-Unis, alors que l’Inde a pour partenaire l’URSS. Une coopération bilatérale, animée par des intérêts économiques, énergétiques et stratégiques, s’installe cependant dès les années 1990 entre les deux pays.
La fin de la guerre froide, avec l’arrêt brutal d’un monde bipolaire, a imposé des changements au sein de la politique iranienne de l’Inde. New Delhi voit en Téhéran un allié contre le Pakistan. Le statut de puissance émergente de l’Inde, avec la multiplication de partenaires stratégiques, l’oblige dès lors à pratiquer une diplomatie du « grand écart » : comment atteindre un équilibre entre ses relations avec l’Iran – allié stratégiquement important aujourd’hui – et son rapprochement avec Washington, puissance mondiale ? L’ouvrage s’intéresse d’abord à ce jeu diplomatique.
L’Iran, deuxième exportateur d’hydrocarbures en Inde, fournit l’énergie nécessaire au développement de l’économie indienne. Bien qu’au cours des années post-guerre froide les relations indo-iraniennes aient connu plusieurs vagues de tension et d’éloignement, elles n’ont jamais cessé. La coopération bilatérale est néanmoins devenue plus complexe à partir de 2005, lorsque le nouveau président iranien Mahmoud Ahmadinejad a rompu des accords de suspension temporaire des activités du cycle de combustion nucléaire et que l’Iran a continué à s’opposer aux demandes de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). L’Inde, membre du conseil des gouverneurs de l’AIEA, a voté contre l’Iran à plusieurs reprises. Les sanctions économiques imposées par les États-Unis ont affecté le commerce bilatéral entre les deux nations. Alors que les échanges commerciaux entre l’Inde et l’Iran ont crû de 44,39 % en 2005, ils ont baissé de 10,17 % en 2010.
La Look West Policy indienne, qui implique un rapprochement durable avec les États-Unis, lui apporte une crédibilité sur la scène internationale, mais l’oblige en contrepartie à compromettre sa coopération commerciale avec l’Iran, porte d’entrée vers les marchés d’Asie centrale permettant de contourner le Pakistan. En outre, Washington trouve en New Delhi un moyen de contrer l’influence grandissante de la Chine en Asie.
En plus de ce mouvement permanent entre stabilisation régionale et ouverture internationale, des clivages politiques internes fragilisent la politique extérieure indienne. L’extrême gauche, à majorité musulmane, défend les intérêts de l’Iran. Elle s’oppose à la classe gouvernante, plus pragmatique et réaliste quant à la nécessité de ne pas froisser un allié aussi important que les États-Unis.
Constance de Roquefeuil
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