Delphine Richard, titulaire d’un double diplôme de relations internationales, a publié un article intitulé « Le renouvellement de la Commission militaire centrale chinoise » dans Politique étrangère 2/2013. Elle répond à trois questions, en exclusivité pour politique-etrangere.com.

00-PE-2-2013-CVsmall1. À l’issue du 18e Congrès du Parti communiste chinois, la Commission militaire centrale (CMC) a été renouvelée. Quels sont les changements les plus notables ?
Le premier changement est le style de Xi Jinping. Dès les premières semaines de sa nomination, il a tenu à se rendre sur différentes bases militaires stratégiques pour le pays. Il n’hésite pas à adopter une rhétorique paternaliste et à s’afficher comme un commandant proche de ses soldats, ce qui tranche avec la réserve et la distance (apparente ?) de Hu Jintao avec les militaires.
Ensuite, il y a eu un important jeu de « chaises musicales » qui, bien que traditionnel, a été quelque peu bouleversé par l’affaire Bo Xilai. De plus, l’issue des tractations politiques a été marquée par la lutte d’influence entre Jiang Zemin et Hu Jintao qui semble s’être déroulée au détriment du second : le général Liu Yuan, allié de Bo, a dû renoncer au poste de vice-président de la CMC qui lui semblait promis ; et Chang Wanquan, attendu à la vice-présidence de la CMC, a finalement dû se contenter du poste de ministre de la Défense. Il ne s’agit que de deux exemples parmi d’autres, mais ils sont éclairants sur la volatilité des guanxi (relations) au sein de l’appareil politique.

2. En avril 2013, la Chine a publié son sixième Livre blanc sur la défense. Quelle est la portée de ce document et quels en sont les principaux points ?
Bien qu’il y ait un effort de communication et de transparence évident, nous sommes loin d’un exercice de prospective stratégique à caractère programmatique, à l’image des Livres blancs européens. Les principaux points sont clairs : la Chine est contre toute forme d’hégémonisme, la modernisation de son armée a pour but d’assurer le « rôle international de la Chine », ainsi que « ses besoins de sécurité et ses intérêts de développement ». Mais au-delà de ces annonces d’intentions, le Livre blanc se cantonne à une description linéaire des forces. Rien n’est dit sur les capacités nucléaires, ni sur la réduction des effectifs, et encore moins sur la répartition du budget, questions pourtant clés… Cela donne l’impression que si la Chine sait où elle va, elle n’a pas encore résolu la question du comment. Cet aspect brouillon ne joue pas en sa faveur : le développement militaire de la Chine et ses parts d’ombre continueront à alimenter les inquiétudes des pays asiatiques, américains et européens !

3. Comment évaluez-vous les efforts de modernisation de l’armée chinoise ?
Les premiers essais en mer du porte-aéronefs Liaoning, le premier appontage réussi du J-15, les premières photos du chasseur furtif de cinquième génération J-21… Tous ces exemples montrent que la Chine modernise son armée à grande vitesse. Le budget militaire pour 2013 s’élève à 114,3 milliards de dollars (88 milliards d’euros, soit trois fois celui de la France), avec une hausse de 10,7 % par rapport à 2012. Si les chiffres impressionnent (d’autant plus qu’il s’agit seulement des chiffres officiels), ils peinent à cacher les faiblesses structurelles et opérationnelles dont souffre l’Armée populaire de libération (APL). Le niveau d’entraînement des troupes laisse encore à désirer et, bien que Xi Jinping ait annoncé sa volonté d’intensifier la préparation au combat, de nombreux progrès restent à faire. Un autre écueil est celui de l’avancée technologique : le chasseur J-21 ressemble étrangement au design du F-35 Lightning II de Lockheed, tout comme l’hélicoptère Z-19 ressemble au Dauphin d’Eurocopter. La technologie nationale n’est pas toujours mature… Mais l’industrie de défense chinoise se montre très offensive, voire agressive, afin de rattraper son retard. Le problème de la corruption au sein de l’APL reste également un obstacle de taille. Xi Jinping a annoncé de nouvelles mesures (interdiction de banquets alcoolisés, interdiction de plaques militaires sur certains modèles de voitures de luxe), mais elles s’avèrent assez cosmétiques et ne s’attaquent pas au cœur du problème. En d’autres termes, il faut nuancer la portée de la croissance militaire chinoise.

 Propos recueillis par Marc Hecker le 4 septembre 2013

Pour vous abonner à Politique étrangère, cliquez ici.