Cette recension est issue de Politique étrangère 2/2013. Vincent Bignon propose une analyse de l’ouvrage de Harold James, Making the European Monetary Union (Cambridge, MA, Harvard University Press, 2012, 592 pages).
L’ouvrage de Harold James, professeur d’histoire et d’affaires internationales à l’université de Princeton, est une histoire diplomatique et politique du projet monétaire européen qui commence par la création du comité des gouverneurs dans les années 1960 et se termine par l’analyse de l’impact des crises de change de 1992-1993 sur le fonctionnement de la future Banque centrale européenne (BCE).
Le livre part des choix politiques divergents faits après la Seconde Guerre mondiale, lorsque certains États misèrent sur la stabilité de la monnaie comme fondement du consensus social quand d’autres « remboursaient leurs dettes » par l’inflation et la dévaluation compétitive. Partant de cette divergence des modes de régulation politique, l’une fondée sur le droit et l’autre sur le pouvoir, H. James explique comment et pourquoi des pays ayant poursuivi des politiques inflationnistes et de compétitivité divergentes ont malgré tout recherché des mécanismes de stabilisation des taux de change, pour décider in fine de la création d’un institut fédéral d’émission monétaire. L’exercice avait tout d’une gageure, mais l’ensemble est instructif et rigoureux.
Le livre raconte donc à la fois une tension et un changement total de perspective. La tension naît de la rencontre de stratégies économiques divergentes avec les engagements européens pris lors du traité de Rome. La fin du système monétaire international de Bretton Woods n’a fait qu’accroître le besoin de coordination. Elle a conduit à l’invention de comités chargés de coordonner les politiques monétaires. Le changement de perspective correspond à l’instauration progressive d’une primauté du débat intra-européen.
Pour cela, il a fallu négocier la mise en place des institutions en charge de la coordination monétaire. C’est l’histoire contée par H. James. Il décrit avec précision les motivations des uns et des autres, les pays inflationnistes cherchant à convaincre les autres de subventionner la défense des parités de change, quand les autres voulaient éviter des revalorisations trop fréquentes ou trop prononcées de leur taux de change. Au fil de la lecture, on ne peut que regretter l’exclusion de la supervision bancaire du traité de Maastricht. H. James raconte les pressions politiques et les restrictions juridiques ayant conduit à vider les dispositions originelles de leur substance. Si l’absence d’union bancaire explique la crise européenne, alors certains excès auraient pu être évités.
L’ouvrage est excellent quand il rappelle les constantes de la politique monétaire et financière européenne. Par son actualité, l’ouvrage d’Harold James est donc un livre à lire, en gardant à l’esprit qu’il s’agit d’un ouvrage de commande de la BCE. H. James a donc bénéficié d’une levée exceptionnelle du secret des archives, et il faudra attendre pour que d’autres chercheurs puissent éventuellement vérifier ses analyses et ses interprétations. Mais l’ouvrage est riche d’informations. L’histoire du projet monétaire européen offre une nouvelle perspective sur la crise actuelle, en démontant les rouages de la construction européenne et en mettant au jour les motivations des diverses élites nationales. Il est difficile de passer à côté.
Vincent Bignon
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