Cette recension est issue de Politique étrangère 3/2013. Stéphane Taillat propose une analyse de l’ouvrage de Stanley McChrystal – My Share of the Task. A Memoir (New York, NY, Portfolio/Penguin, 2013, 464 pages).

00-McChrystalL’écriture de mémoires est un exercice souvent délicat pour un homme public, d’autant plus s’il est controversé [1]. Si Stanley McChrystal affiche sa fidélité au « credo des Rangers », il aborde ses relations avec l’administration en toute franchise, ne négligeant jamais de prendre sa part de responsabilité dans certains des scandales liés à sa carrière à la tête du Joint Special Operations Command (JSOC) de 2003 à 2008. La lecture de cette autobiographie est instructive à plusieurs titres. Elle éclaire d’abord une certaine vision des relations entre militaires et pouvoir politique, empreinte de tensions et de méfiance. Le livre est organisé autour de deux grands thèmes : l’histoire d’un officier qui vit les profondes mutations de l’armée de Terre des États-Unis, et modèle en partie ces dernières notamment à la tête des opérations spéciales ; et un récit articulé autour de l’apprentissage du « bon leadership ». Il est à cet égard peu surprenant que le général retraité ait fondé un cabinet de consultants (McChrystal Group), dont la compétence est de « transformer les équipes et les organisations à travers des solutions managériales qui promeuvent l’innovation et la croissance dans un environnement opérationnel dynamique ». On comprend dès lors qu’un tel exercice, forcément rétrospectif, met au cœur de ces mémoires l’expérience « d’innovateur » de McChrystal à la tête du JSOC.
Il faut donc lire cet ouvrage à travers le prisme du leader transformationnel, attaché au charisme mais surtout à l’énergie pouvant promouvoir et susciter l’innovation. Si toute la carrière de McChrystal se déroule dans une institution attachée à oublier l’expérience du Vietnam, elle s’inscrit dans une réorganisation parallèle : celle des opérations spéciales, ce qui permet à l’auteur de se placer dans le sens de l’histoire. Mais l’apprentissage de McChrystal, tel qu’il le narre, trouve son aboutissement dans les dix années de guerre contre les djihadistes. Ce qu’il perçoit comme un défi le pousse à innover et à élaborer des solutions qui font du JSOC un outil particulièrement efficace pour traquer les « terroristes », démanteler les réseaux et, au-delà, suscite une mutation organisationnelle : « il faut un réseau pour lutter contre un réseau », ne cesse-t-il de marteler.
Ce succès a pourtant ses revers. Il s’inscrit dans la réaffirmation de la volonté des militaires de prendre en main le processus de formulation stratégique. L’auteur décrit les tensions avec l’administration Obama sur l’Afghanistan comme nourries de méfiance réciproque. Loin d’adopter sans réserve les recommandations de McChrystal, le nouveau président préfère un plus large panel d’options. Cette situation, à laquelle s’ajoute l’aura de l’officier auprès de ses proches collaborateurs, explique certainement l’état d’esprit « toxique » à l’origine des propos qui ont conduit à son limogeage. Tant il est vrai que le leader transformationnel voit sa fin lorsque sa tâche est accomplie.

Stéphane Taillat

1. À la fin du mois de juin 2010, alors qu’il commande les troupes de l’ISAF (International Security Assistance Force) en Afghanistan, le général Stanley McChrystal est limogé par le président Obama après la publication d’un article du magazine Rolling Stones citant des propos jugés déplacés et outrageants pour des personnalités de l’administration.

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