Cette recension est issue de Politique étrangère 3/2013. Alice Ekman propose une analyse de l’ouvrage de Joseph Fewsmith – Logic and Limits of Political Reform in China (New York, NY, Cambridge University Press, 2013, 228 pages).
Joseph Fewsmith, professeur de relations internationales à l’université de Boston, analyse plusieurs réformes politiques menées au niveau des provinces et villes chinoises, visant à accroître la participation politique pour réduire les abus de pouvoir des cadres locaux – objectif que le Parti communiste chinois affiche régulièrement depuis les années 1990. Si des progrès sont apparus dans un premier temps, beaucoup de ces réformes sont aujourd’hui au point mort. Pourquoi ? Les raisons sont nombreuses et se superposent : lourdeurs bureaucratiques, corruption, préservation des intérêts de l’élite provinciale, système de rotation et de mutation des cadres – qui relègue souvent au second plan les cadres réformistes – et principe général d’organisation du Parti (contrôle des cadres par le Parti et non par la population, garantissant la centralisation du pouvoir).
La raison profonde, selon l’auteur, tient au fait que le type de réforme nécessaire pour renforcer la responsabilité des cadres locaux vis-à-vis des citoyens remettrait trop profondément en cause la structure organisationnelle du Parti.
Avec ce constat, l’auteur s’éloigne définitivement du postulat que les réformes économiques entraîneraient progressivement des réformes politiques et la création de nouvelles institutions contraignant davantage le comportement des cadres locaux. Cette évolution lui semble peu probable, même s’il observe des changements indéniables de style et méthode de gouvernance dans le Sichuan, où la « démocratie intra-parti » s’est renforcée, ou dans le Zhejiang, par exemple à Wenzhou, ville pionnière du développement des associations et chambres de commerce, ou à Wenling, qui a fait l’expérience du « budget participatif » et de l’expansion du rôle du congrès local.
Une des grandes qualités du livre de Fewsmith est qu’il restitue le fonctionnement du Parti au niveau local avec les nuances nécessaires, soulignant à la fois le conservatisme du Parti en général et les capacités d’innovation et de réforme de certains cadres centraux et locaux. L’approche empirique du gouvernement central et l’hétérogénéité des expériences locales transparaissent à la lecture dans toute leur complexité.
Ce livre rappelle aussi à quel point les provinces peuvent être autonomes en Chine – une autonomie à double tranchant, qui ne joue pas forcément en faveur d’une démocratisation locale. La personnalité du cadre local, ses capacités d’innovation ou son aversion au risque déterminent souvent le potentiel de réforme de la structure politique de sa zone. On peut regretter que l’auteur ne s’intéresse pas plus à la pression croissante qu’exercent sur ces cadres locaux les mouvements sociaux et les internautes, qui s’expriment en plus grand nombre ces dernières années sur les réseaux sociaux. Mais ce développement récent nécessiterait une étude à part entière.
La diversité des zones étudiées réaffirme l’importance de prendre en considération, pour comprendre la situation politique en Chine, les évolutions locales, au-delà des grandes orientations édictées par Pékin. La libéralisation du système politique demeure aujourd’hui un sujet de débat récurrent en Chine au sein du Parti et des institutions de recherche, et même si les dirigeants au niveau central parviennent à terme à s’accorder sur des réformes politiques significatives, il est probable que leur mise en place se heurte au niveau local aux nombreux obstacles décrits dans ce livre.
Alice Ekman
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