Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2014). Hans Stark propose une analyse de l’ouvrage de Wolfgang J. Mommsen, Die Urkatastrophe Deutschlands. Der erste Weltkrieg 1914-1918 (Stuttgart, Klett-Cotta Verlag, 2002, 188 pages).
Issu d’une famille d’éminents historiens allemands, Wolfgang J. Mommsen a été l’un des meilleurs spécialistes de l’Allemagne wilhelmienne. Il aborde ici le conflit en étudiant ses aspects à la fois militaires, politiques, économiques et socioculturels. Pour lui, il ne fait aucun doute que la « Grande Guerre » – bien qu’on ne la nomme pas ainsi outre-Rhin – est la « catastrophe originelle » (Urkatastrophe) de l’Allemagne, celle qui a provoqué toutes les autres catastrophes qui ont frappé le pays et l’Europe jusqu’en 1945, voire au-delà. Pour Mommsen, l’Allemagne prussienne porte une très lourde (mais pas unique) responsabilité dans l’éclatement de la guerre en 1914. L’auteur rappelle que les milieux militaires allemands ont voulu cette guerre, l’ont activement préparée. Il insiste aussi sur le climat nationaliste et belliqueux qui s’était emparé d’une large part de l’opinion allemande (manipulée par la censure et la thèse officielle d’une « guerre de défense »), des intellectuels, ainsi que des artistes et tout particulièrement des milieux de la haute bourgeoisie, sans parler de l’« union sacrée » (Burgfrieden) conclue entre toutes les forces politiques jusqu’en 1918.
Mais Mommsen estime que la décision de recourir à la force fut aussi, pour la classe dirigeante, une fuite en avant lui permettant non seulement de sortir de son encerclement géopolitique, mais encore d’échapper en interne aux réformes politiques et sociales que le pays attendait, en maintenant un régime non parlementaire dépeint comme moralement supérieur aux systèmes politiques français et britannique. Cette fuite en avant, qui s’accompagnait de très lourdes pertes (2 millions de soldats allemands sont morts à la guerre), rendait, aux yeux de responsables militaires aveuglés par des buts de guerre aussi excessifs qu’irréalisables, l’acceptation d’une paix négociée totalement inconcevable.
Selon Mommsen, la durée du conflit et ses ravages eurent un impact considérable sur l’équilibre interne du Reich. Lourdement frappée par le blocus britannique qui a causé la mort de 1 million de civils en Allemagne et, surtout, mal gérée, l’« économie de guerre » non seulement n’a pas su approvisionner les soldats au front, mais elle a provoqué la ruine du Mittelstand, la paupérisation de larges pans de la société allemande, la famine et l’effondrement de l’industrie des biens de consommation courante. Aggravant les clivages sociaux, elle a accentué les distances entre paysans, fonctionnaires, artisans et travailleurs de l’industrie. Enfin, financée à crédit, elle a alimenté l’explosion des prix (d’où l’hyperinflation à la sortie de la guerre). Les victimes de ce cataclysme se sont alors tournées ou bien vers les « déçus » de la social-démocratie qui ont fondé en 1918 le SPD indépendant (l’USPD) et la Ligue spartakiste (Spartakusbund), ou bien vers l’idéologie d’extrême droite, berceau d’un nationalisme ethnique (völkisch) et du NSDAP d’Adolf Hitler.
Avant même l’armistice, aiguisée par la révolution d’octobre en URSS et le traité de Brest-Litovsk qui semblait voir se réaliser les buts de guerre les plus fous de Hindenburg et Ludendorff, la radicalisation d’une large partie de la société allemande, due à la Première Guerre mondiale et au traité de Versailles, annonce l’instabilité de la future République de Weimar et sa chute en 1933.
Hans Stark
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