Didier Houssin, président de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AÉRES), et auteur de l’article « La coopération sanitaire internationale abolie par Ebola ? » à paraître dans le numéro d’hiver 2014-2015 de Politique étrangère, a accepté de répondre à trois questions en exclusivité pour politique-etrangere.com.

EbolaLa communauté internationale était-elle préparée à faire face à l’épidémie d’Ebola ?

Oui et non.

Oui, parce que beaucoup d’éléments ont été mis en place à l’échelle de la communauté internationale au fil des décennies. Pour n’en citer que quelques uns : l’Organisation des Nations unies dispose d’une agence spécialisée, l’Organisation mondiale de la santé, qui regroupe presque toute la communauté internationale et qui est à la fois un lieu de débat politique entre les États membres et une instance d’expertise technique et de régulation en matière de santé ; le règlement sanitaire international, dans sa version adoptée en 2005, vise justement à renforcer les capacités de prévention et de réponse de l’ensemble des États membres face au risque de diffusion internationale de maladies, en particulier infectieuses ; de nombreuses organisations non gouvernementales se sont donné pour mission d’intervenir sur la scène internationale, en vue d’apporter une aide en matière de santé face aux situations critiques que peuvent rencontrer en particulier des pays pauvres.

Non, parce que de nombreux pays ne disposent pas du climat de paix ou des moyens humains et financiers nécessaires pour mettre en place le système de santé qui serait indispensable à une capacité de prévention et de réponse efficaces.

Il faut aussi reconnaitre que si le virus Ebola avait bien été identifié, depuis près de quarante ans, comme un virus très dangereux pour l’espèce humaine, le fait qu’il pouvait constituer un risque de portée internationale n’avait pas été réellement compris. De ce fait, certaines actions qui auraient pu être conduites ne l’ont pas été : mesurer la réalité des échanges transfrontaliers, notamment en Afrique ; analyser plus finement les risques liés aux interfaces entre l’homme et l’animal en milieu forestier ; inciter les entreprises pharmaceutiques à produire des vaccins ou des agents antiviraux adaptés.

Quelles leçons peut-on tirer des réactions à cette épidémie, en termes de coopération internationale ?

À ce stade, la principale leçon a été qu’elle s’est accompagnée d’une maladie de lenteur.

Il n’y a pas eu, comme lors de l’épidémie due au SRAS en 2003, la volonté d’un État de nier ou de masquer la réalité de l’épidémie. Pas non plus, comme lors de la pandémie grippale de 2009, la conjonction entre la certitude du caractère explosif de l’épidémie et l’incertitude concernant son degré de gravité.

Lors de cette épidémie due au virus Ebola, il y a eu de la lenteur dans la prise de conscience par la communauté internationale du caractère international de l’épidémie, dans l’appréciation du niveau nécessaire des moyens de coopération internationale qu’il fallait engager, et enfin dans la mise en œuvre des moyens de coopération, en raison principalement du fait que cette mise en œuvre n’avait pas été préparée à l’avance.

Même si elle garde, du moins à ce stade, une portée internationale limitée, cette épidémie devrait faire l’objet d’une analyse lucide et largement partagée, non pas sur un mode accusatoire, mais pour améliorer la façon de se préparer, au niveau international, à ce type d’événement, dont la récurrence, quelle qu’en soit la forme, est inéluctable.

Selon vous, que faut-il faire aujourd’hui pour combattre l’épidémie d’Ebola ?

Ce qui est fait aujourd’hui semble bien fait.

Même si peu de moyens d’action sont disponibles au niveau médical pour soigner les personnes malades, on voit bien que des mesures de réhydratation assez simples peuvent parfois être efficaces et que les mesures de prévention touchant la gestion du risque de contamination en milieu de soins sont essentielles.

Les épidémies, ce sont avant tout les hommes !

Comme toujours, lors des épidémies, certains domaines d’activité humaine se sont révélés cruciaux dans le déclenchement ou la poursuite de la propagation de l’agent infectieux. Dans le cas du virus Ebola, les points critiques ont été, sans doute, la consommation de viande de brousse et, certainement, l’absence de précaution dans la conduite des soins aux malades par des professionnels de santé non informés ou mal formés, ainsi que dans la gestion du corps du défunt lors des cérémonies funéraires.

Cette épidémie a été révélatrice de l’importance que peuvent revêtir certaines mesures.

Si, avec la suspension du trafic aérien, il a été confirmé que cette mesure avait beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages, les contrôles sanitaires aux points de sortie ou d’entrée, en l’occurrence dans les aéroports concernés, se sont révélés sinon d’une efficacité absolue, du moins à même de permettre la poursuite des activités d’échange avec la zone concernée par l’épidémie.

Le courage des coopérants volontaires n’a pas suffi à masquer le fait que, dans le cadre de cette épidémie, le besoin important de renforts en professionnels de santé au niveau des pays touchés et la gravité du risque encouru posaient une exigence nouvelle pour les autorités en charge d’organiser les actions de coopération : organiser une formation soigneuse des volontaires ; leur garantir les conditions d’exercice les plus sûres possibles sur le lieu de l’épidémie ; leur assurer les conditions d’un rapatriement rapide, le cas échéant ; leur permettre un retour dans les meilleures conditions de sécurité, aussi bien pour eux-mêmes que pour leur entourage familial et le milieu professionnel dans lequel ils évoluent à leur retour.

Enfin et surtout, elle a été révélatrice de l’importance d’anticiper la mise en place des mécanismes permettant de rassembler rapidement des fonds importants face à ce type d’événement, et de doter l’Organisation mondiale de la santé de moyens significatifs pour une première réponse rapide.

Propos recueillis par Marion Duval, le 1er décembre 2014.

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