Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2014). Thomas Gomart propose une analyse de l’ouvrage de Angela Stent, The Limits of Partnership: U.S.-Russian Relations in the Twenty-first Century (Princeton University Press, 2014, 356 pages).

Professeur et directeur du Center for Eurasian, Russian, and East European Studies à Georgetown University, ayant longtemps travaillé au département d’État et au National Intelligence Council sur cette zone, Angela Stent allie rigueur universitaire et expérience diplomatique. La grande qualité de cet ouvrage réside dans son honnêteté à l’égard des protagonistes et dans une connaissance intime des deux systèmes politico-diplomatiques. En ressort un jugement critique et équilibré sur les occasions ratées, aussi bien par les États-Unis que par la Russie, de dépasser l’héritage de la guerre froide et celui des années 1990. Toutes les tentatives de redémarrage – reset selon le terme popularisé par la première administration Obama – engagées par Washington ont échoué, de George Bush à Barack Obama en passant par Bill Clinton et George W. Bush. Du côté de Moscou, les exemples ne manquent pas d’instrumentalisation d’un antiaméricanisme toujours très présent dans la société russe.

Sur la période étudiée (1991-2013), six dossiers ont structuré les échanges. Celui sur le nucléaire est hautement prioritaire au lendemain de la chute de l’URSS. Washington s’inquiète alors des risques de prolifération et de perte de contrôle de l’arsenal russe. Rétrospectivement, le dispositif mis en place a sans doute permis d’éviter le pire ; à ce titre, il reste un exemple remarquable de coopération bilatérale dans un contexte de forte instabilité. Ce dossier va se complexifier avec le projet américain de système antimissile, au cœur d’une profonde divergence stratégique, Moscou considérant qu’il vise directement à diminuer sa crédibilité nucléaire. La lutte contre la prolifération d’armes de destruction massive chez des acteurs classiques, comme l’Iran ou la Corée du Nord, constitue le deuxième dossier. Le troisième, celui de l’espace postsoviétique, voit les deux pays s’affronter (Ukraine, Géorgie) ou coopérer (transit en Russie et dans les pays d’Asie centrale pour l’intervention en Afghanistan). Avec la crise des Balkans et les élargissements de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), la sécurité européenne constitue également un sujet de discordes récurrentes, jusqu’au conflit en Ukraine – qui n’est pas traité dans l’ouvrage. L’intervention anglo-américaine en Irak, celle de l’OTAN en Libye et la guerre en Syrie constituent les éléments d’un cinquième dossier très sensible, qui reflète de profondes divergences idéologiques sur l’ordre mondial. Moscou considère que Washington porte la responsabilité de la déstabilisation du Moyen-Orient, tandis que les États-Unis voient la Russie comme une puissance révisionniste. Pour finir, la situation intérieure russe et les droits de l’homme font également l’objet de tensions répétitives. Sous Vladimir Poutine, Moscou ne cesse de se raidir sur ce thème et construit un discours médiatique pour pointer les déficiences américaines en la matière.

Les sujets ne manquaient donc pas pour construire un partenariat stratégique qui eût contribué à stabiliser l’ordre international. Les raisons de l’échec sont en réalité idéologiques et pratiques. Sur le plan idéologique, les deux pays n’ont jamais su dépasser l’héritage de la guerre froide, qui a engendré un complexe de supériorité à Washington et d’infériorité à Moscou. Sur le plan pratique, les relations entre les deux capitales n’ont pas trouvé les relais nécessaires auprès de la société civile et des entreprises – le chapitre consacré aux questions économiques et énergétiques mérite d’ailleurs une attention spéciale. Stent le déplore, mais aucun président américain n’a encore su trouver la bonne clé pour traiter avec la Russie. Et inversement.

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