Sur Les Reflets du Temps, Martine L. Petauton livre son analyse du numéro d’hiver 2014 de Politique étrangère.

EbolaLa revue de l’IFRI offre cet hiver un très copieux dossier consacré à Internet, et sa difficile gouvernance. 5 articles savants et éclairants permettent de cerner « l’après-Snowden » qui avait dénoncé la fausse confidentialité des échanges et la vraie prééminence des USA ; l’impossible neutralité de la Toile, un voyage en Big Data, et la « troisième voie » que représente à présent le poids des Puissances émergentes ( de plus en plus de navigateurs sont en effet Africains, Américains du sud ou Asiatiques).

« Des questions cruciales : sécurité et souveraineté, protection de la propriété intellectuelle et de la vie privée, respect de la liberté d’expression et de la neutralité des réseaux, fractures numériques entre Nord et Sud, entre territoires, entre générations, affrontements politiques… », nous dit Julien Nocetti qui pilote le dossier.

D’autant plus urgente, la lecture attentive de ce cœur de la revue PE, que la sinistre actualité de ces dernières semaines autour du Terrorisme a mis le Net au centre des procédures de surveillance (citons, encore, dans ce numéro, également, un article : « Les cyberarmes ; dilemmes et futurs possibles »).

Mais, c’est sur deux articles denses et fouillés que le choix de Reflets du temps s’est porté cette fois : ils concernent EBOLA (le nom vient d’une rivière de la forêt guinéenne).On en a beaucoup parlé l’été passé ; l’éclairage médiatique est retombé (plus, bien entendu, que le danger). La revue de PE de l’IFRI s’y penche de façon magistrale et très originale. Notre réflexion ne peut qu’en être enrichie !

En langue Mende, la désignation d’Ebola (« Bodo Ute ») signifie « extermination de la famille », autant dire, en Afrique Noire, tout. On pourrait sans doute aussi le traduire par « peur ». Le virus Ebola « de la famille des filovirus, a la chauve-souris comme porteur sain et réservoir. La transmission se fait par contact direct avec les fluides ou la peau d’animaux morts, de personnes malades ou décédées. La maladie se caractérise par un syndrome hémorragique et des diarrhées. Son développement est massif dans des pays pauvres aux systèmes de soin peu développés et à l’hygiène de vie précaire ».

Le premier article, « La coopération sanitaire internationale abolie par Ebola ? », est signé Didier Houssin, ancien directeur général de la santé et délégué dans le cadre de la lutte en son temps contre la grippe aviaire. Une épidémie internationale, il connaît ! Son article, sans appel, dresse le portrait d’une communauté internationale peu réactive, lente, tant en prises de décisions qu’en octroi de moyens, d’institutions emprisonnées dans l’inextricable administratif, l’incohérence des décisions politiques face à ce qui nous menace, tous, dès lors qu’il s’agit d’une terrible épidémie sans remèdes, et dont la contagion est portée par un monde ouvert à la circulation rapide des personnes.

24 épidémies d’Ebola ont été recensées entre 1976 et 2013, en Afrique de l’Ouest, mais c’est celle de 2014 qui a été la plus potentiellement dangereuse. Guinée, Sierra Leone et Libéria étaient l’épicentre, avec des saillies au Mali, au Sénégal et au Nigéria et sa très forte densité de population. On sait que des personnes infectées sont arrivées aux USA, en Espagne.

Le Règlement Sanitaire International renforcé à l’occasion des épidémies récentes, type « Grippe aviaire, grippe H1N1 ou SRAS » semble avoir été durement mis à l’épreuve par Ebola. Ne fallait-il pas, en effet, parvenir à coopérer avec le tissu institutionnel local, dans le cas présent, démantelé par de longues années de guerres civiles et de pauvreté accrue, et rassembler d’importants moyens en épidémiologie clinique, laboratoires de microbiologie, capacité de gestion, régulation des produits de santé, argent là où il fallait, hommes bien distribués… logistique bien autant que fonds. Du structurel s’ajoutant à du conjoncturel. Sur le terrain, MSF et quelques ONG ont fait face à l’urgence qui se déclinait en termes de jours passants, et donc,  de décès. « Étrange coalition de l’inaction » dit, sans concession, Didier Houssin, montrant cette course contre la montre entre promesses virtuelles et défaut de mise en œuvre, qui fit qu’Ebola déclarée enfin « urgence sanitaire de portée internationale » le 8 Août, ne vit la désignation d’un coordinateur pour l’ONU que le 20. Entre les deux, l’amplification des morts (5000 recensés le 30 Octobre, en-dessous sans doute de la réalité). « Perception d’un risque sanitaire et économique faible pour les pays développés ; contexte estival et de crise économique, concurrence d’autres évènements sur la scène internationale et donc médiatique ; crainte de sur-réaction… ». A quoi tient le malheur ? Ajoutons que les 3 principaux pays impactés n’étaient pas de premier plan dans les préoccupations géopolitiques des décideurs de la planète…

Le second article est tout à fait original par son angle de vue. Cheikh Ibrahima Niang revient de Sierra Leone, où il est allé conduire une enquête sur « les aspects sociaux d’Ebola. » Il nous dit – fortement – que la réalité des mentalités, notamment rurales, doit inclure la prise en compte des imaginaires, de la culture (un peu à la manière de la psychiatrie ethnique). On se méfie des centres de santé, où sévit la quarantaine, et où passe la mort. L’un a donc à voir avec l’autre, d’où des fuites dans la forêt, loin des ambulances. On rejette les façons « modernes » dont on traite le toucher, si important en Afrique, et… bien entendu, fort contagieux ; quant aux traditions mortuaires ! face à l’épidémie où le cadavre est naturellement dangereux ! Enfin, et c’est une hypothèse que nous propose l’auteur de l’article, cette absence structurelle de confiance prend ses racines dans le passé colonial. Tout l’arsenal international des secours vient des anciennes puissances coloniales, et (peut-être davantage ?) d’une autre culture ô combien différente et rendue étanche à celle de ces pays.

Regards donc affutés sur – plus qu’Ebola, en soi – ce que notre monde globalisé doit prendre de leçons – urgentes – dans les échecs ou les insuffisances de nos vastes et lourdes machines à agir. Sachant qu’à l’heure où nous sommes, 2 vaccins sont à l’essai et que 8 traitements sont en phase d’expérimentation. Il est plus que temps que l’Histoire serve à demain.