Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2015). David Bénazéraf propose une analyse de l’ouvrage de Howard W. French, China’s Second Continent: How a Million Migrants Are Building a New Empire in Africa (Alfred A. Knopf, 2014, 304 pages).

L’ouvrage de Howard French constitue une riche enquête sur les migrants chinois en Afrique. À travers un travail d’investigation dans neuf pays (Mozambique, Zambie, Sénégal, Libéria, Guinée, Sierra Leone, Mali, Ghana, Namibie), l’auteur soutient que les relations sino-africaines prennent forme au niveau des individus plus qu’au travers des programmes d’investissement de l’État chinois. French est journaliste : il a été correspondant du New York Times à Shanghai et en Afrique centrale et de l’Est, ce qui lui confère une légitimité dans les interviews de terrain menées en chinois, en français ou en portugais.

French dresse d’abord le portrait de trois entrepreneurs chinois au Mozambique, en Zambie et au Sénégal, dans des secteurs différents : l’agriculture, l’industrie et le commerce de détail. Il décrit par exemple le cas du patron d’une usine de traitement du cuivre, arrivé en Zambie avec une entreprise d’État chinoise et ayant ensuite fait fortune par lui-même. Ces portraits reflètent les motivations des migrants chinois à s’installer en Afrique. Si la recherche d’occasions économiques et de meilleures conditions de vie sont les raisons les plus fréquemment invoquées, on note également d’autres facteurs : tensions de la société chinoise, compétition intérieure sans merci, absence d’espace du fait de la démographie du pays, ou encore volonté d’échapper à la corruption ou au contrôle du Parti communiste chinois.

La deuxième partie met en avant ces motivations, avant tout économiques donc, des migrants chinois. Elle laisse apparaître combien ceux-ci ont une vision négative, voire stéréotypée, ainsi qu’une méconnaissance – d’ailleurs réciproque – de leurs hôtes et des terrains africains. Ainsi cette femme originaire de la province du Guangzhou rejoignant son mari à Monrovia et ne sachant ni parler anglais ni même lire le chinois. Le pragmatisme des migrants chinois est au centre de la troisième partie de l’ouvrage. Leurs méthodes commerciales y sont notamment comparées à celle des entreprises occidentales.

Si French adopte une posture neutre dans la description des différents parcours, il prend position dans sa conclusion, affirmant que l’approche chinoise en Afrique reflète les tendances historiques de l’impérialisme. Comparant l’émigration chinoise à la colonisation portugaise au Mozambique ou à l’occupation japonaise en Mandchourie, il estime que l’arrivée d’environ un million de migrants chinois en Afrique constitue le dernier chapitre en date d’une longue histoire de construction d’empires par le biais des migrations. Cette présence chinoise aurait ainsi remplacé le paternalisme occidental.

L’ouvrage constitue un riche carnet de voyage plus qu’il ne reflète une méthodologie académique. Cette approche présente le risque d’une généralisation excessive à partir de cas singuliers ; mais elle a le mérite de donner à voir une partie des acteurs individuels qui structurent les relations entre la Chine et l’Afrique. French apporte ici un regard neuf en décrivant les parcours d’un large spectre d’individus. Basé essentiellement sur les témoignages d’entrepreneurs privés du fait d’un accès difficile aux employés du secteur d’État, cet ouvrage contribue à faire connaître les relations sino-africaines sous l’angle de la micro-histoire.

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