Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2015). Yves Gounin propose une analyse de l’ouvrage de Georges Courade, Les Afriques au défi du XXIe siècle. Géopolitiques subsahariennes (Éditions Belin, 2014, 318 pages).
En 2006, Georges Courade dirigeait un ouvrage collectif remarquable dans lequel étaient battus en brèche les poncifs circulant sur l’Afrique (L’Afrique des idées reçues, Belin, 2006). Tout y passait, depuis les mécanismes du développement (« L’accumulation est impossible parce que la redistribution est sans limite ») jusqu’à la mémoire controversée de l’esclavage (« La traite négrière est le seul fait des Européens »), en passant par le rôle du groupe (« Le contrôle social est si fort qu’il décourage les initiatives ») et la place des femmes (« Les Africaines sont soumises »).
Dans la même collection dirigée par Rémy Knafou, ce géographe désormais retraité liste les défis à relever et les trajectoires pour le faire. Les premiers sont bien connus. Courade fait la part belle aux défis physiques et humains : l’épuisement des sols, le réchauffement climatique, les pandémies débilitantes, la transition démographique, l’urbanisation anarchique, etc. Il évoque aussi les défis politiques : la constante réinvention des traditions, la difficile acculturation de l’État, la trop lente constitution d’unions régionales, l’ouverture toujours déséquilibrée au monde extérieur, etc. Il trace ensuite les trajectoires qui permettraient à l’Afrique d’accéder à sa « deuxième indépendance » : l’élaboration d’une « citadinité sans infarctus urbain », la sécurisation des titres de propriété, la mise en œuvre d’une authentique politique de décentralisation, l’insertion harmonieuse dans le commerce international, etc.
En 10 ans, l’Afrique a changé. Alors que le reste du monde peine à se rétablir de la crise financière de 2008, elle affiche des taux de croissance insolents : + 5 % en moyenne par an pour le produit intérieur brut (PIB), + 16 % pour les échanges commerciaux. La pauvreté y recule, les conflits s’y font plus rares, une classe moyenne s’y enracine, qui épargne et consomme. Les faits semblent avoir donné raison à l’« afro-optimisme » revendiqué par Georges Courade et son équipe en 2006.
Si l’Afrique va mieux, va-t-elle bien pour autant ? À trop combattre l’« afro-pessimisme » qui a longtemps prévalu, les tenants de l’afro-optimisme courent le risque symétrique de gommer les réalités les moins agréables. Ainsi des défis posés par l’urbanisation. L’Afrique comptait une seule ville atteignant le million d’habitants à l’époque des indépendances (Ibadan) ; il y en a aujourd’hui une trentaine. Et le taux d’urbanisation ne dépasse pas encore les 40 %. Pour qui connaît les embouteillages dantesques de Nairobi ou de Dakar – avant la construction de la « Senac » –, sans parler des conditions de vie effroyables dans les bidonvilles de Kibera ou de Makoko, il est clair que l’Afrique est encore loin des niveaux économiques du monde développé. Pour qui investit ou commerce sur le continent, sous la menace incessante d’une inspection ou d’un redressement, pour une règle que l’on a sciemment violée ou involontairement ignorée, l’Afrique mérite encore sa place aux derniers rangs des classements de Doing Business ou de Transparency international. Pour qui souhaite se déplacer dans le Sahara ou dans le nord du Cameroun, sous la menace des coupeurs de route, des djihadistes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) ou de Boko Haram, l’Afrique n’est pas encore le Danemark.
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