Cette recension d’ouvrages est issue de Politique étrangère (1/2015). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage de James K. Galbraith, The End of Normal. The Great Crisis and the Future of Growth (New York, NY, Simon & Schuster, 2014, 304 pages) et de celui d’Atif Mian et Amir Sufi, House of Debt (Chicago, IL, The University of Chicago Press, 2014, 228 pages).
La crise économique que les pays industrialisés traversent depuis 2007 continue de susciter de nombreuses réflexions. Dans son dernier ouvrage, James Galbraith estime que cette Grande Récession est d’une nature radicalement différente des crises précédentes. Selon lui, quatre facteurs semblent indiquer que l’Amérique entre dans une période de stagnation durable qui ne serait autre que l’état normal du capitalisme, comme le défendaient dès 1966 les deux économistes néomarxistes Paul Baran et Paul Sweezy, que Galbraith cite abondamment. D’abord, la hausse du prix de l’énergie et l’inévitable adaptation aux changements climatiques pèsent négativement sur les stratégies des entreprises et les habitudes de consommation. Ensuite, la capacité des États-Unis à imposer des évolutions politiques par la force militaire ou les sanctions financières est de plus en plus limitée. Enfin, il y a ce que l’auteur nomme la « tempête digitale », génératrice de chômage, et les conséquences de la crise immobilière qui se feront sentir encore longtemps.
Face à ces quatre défis, l’auteur considère que les raisons diversement invoquées pour expliquer la crise – telles que le poids du big government, la faillite des régulateurs ou le surendettement privé – sont insuffisantes. Il en va de même des remèdes avancés par la plupart des économistes, à l’instar de ceux qui, classés à gauche comme Galbraith, en appellent à une relance de la demande. Celui-ci préconise en fait un nouveau New Deal dans un cadre capitaliste complètement régulé et rénové. Son analyse est brillante, mais son pessimisme est exagéré quand on connaît le potentiel de croissance et de développement qui existe en Afrique et en Asie du Sud – soit plus de 40 % de la population mondiale – et qui pourrait dynamiser durablement les économies occidentales.
Pour Atif Mian et Amir Sufi, la Grande Récession est le produit d’un système financier qui a poussé les ménages à s’endetter massivement. Leur démonstration est impressionnante et implacable. L’explosion des prêts immobiliers jusqu’à 2007 a créé un effet de richesse fictif, qui a conduit les propriétaires américains à poursuivre leur politique d’endettement. En réalité, la dette s’apparente à une « anti-assurance » appauvrissant les ménages au moment où ils sont vulnérables – en période de perte d’emploi ou de récession. D’ailleurs, selon les auteurs, la chute de la consommation très marquée dans les foyers fortement endettés constitue bien la preuve que la crise immobilière et le fort endettement privé sont à l’origine des difficultés. Dès lors que la récession est installée et se propage, il devient stérile de condamner moralement les ménages surendettés. Que faire alors ?
Les solutions classiques consistant à baisser les salaires et à pousser les travailleurs à migrer ne sont pas réalistes. Les politiques d’austérité visant à rééquilibrer les comptes publics sont dangereuses. Les politiques monétaires accommodantes sont quant à elle inadaptées. D’une part, la baisse des taux d’intérêt est inopérante car les individus ayant la plus forte propension à consommer sont déjà très endettés. D’autre part, les quantitative easings ne sont d’aucune utilité aux grandes entreprises, et ne font qu’alimenter le gonflement de bulles sur les marchés actions. Mian et Sufi en arrivent à la conclusion qu’il serait nettement plus efficace de restructurer la dette des ménages. Cette initiative permettrait d’accroître la demande globale et de prévenir de futures bulles, qui sont le plus souvent le résultat d’une expansion excessive de l’offre de crédit.
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