Cette recension d’ouvrages est issue de Politique étrangère (1/2016). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Christopher Cocker, Future War (Oxford, Polity Press, 2015, 244 pages).
Christopher Coker, professeur de relations internationales à la London School of Economics, est l’auteur de nombreux livres dont plusieurs s’interrogeaient déjà sur le futur de la guerre (comme l’excellent Warrior Geeks, Hurst, 2013). Fervent critique des théoriciens de « la fin de la guerre », il estime que les conflits sont consubstantiels à l’humanité et pense donc qu’il est important de se pencher sur les formes qu’ils pourraient revêtir à l’avenir. Dans Future War, il se livre à un exercice de prospective sur 20 ans.
Dans une passionnante première partie, l’auteur s’interroge sur la meilleure façon de penser le futur. Il y reconnaît que faire de la prospective en prolongeant des tendances n’est pas une méthode parfaite tant l’on sait, par expérience, que l’histoire n’est pas linéaire. Cette approche demeure cependant, selon l’auteur, notre seul recours. De façon à rendre cette démarche plus crédible, Coker s’attache à observer le développement de ces tendances dans le passé le plus lointain (selon le concept de deep history) avant d’en extrapoler une probable orientation future. Le but n’est pas de prédire l’avenir mais de l’explorer le plus possible afin de réduire, autant que faire se peut, l’effet de surprise.
L’auteur souligne aussi, de façon salutaire, les conséquences que la pensée prospective peut avoir. En effet, le futur tel que nous l’imaginons change notre présent (voir par exemple les « prophéties autoréalisatrices »). Il existe ainsi de nombreux exemples qui montrent comment la science-fiction a pénétré les conceptions de penseurs militaires.
Dans la suite du livre, l’auteur passe notamment en revue les différentes technologies qui seraient susceptibles d’influencer les modes de guerre futurs, avec une appétence particulière pour la thématique du « combattant augmenté ». Viennent ensuite des développements sur les différents « types » de guerre qui pourraient exister dans le futur, entre autres : les guerres entre grandes puissances, jugées toujours possibles avec des moyens classiques, mais peu probables avec emploi de l’arme nucléaire ; « cool war », c’est-à-dire un conflit se passant essentiellement dans le cyberespace et qui cherche à maintenir un niveau de violence en deçà du risque d’une riposte conventionnelle ; guerre dans les « mega cities » ou encore « corporate raiding » avec des entreprises qui mèneraient des guerres pour elles-mêmes.
Comme à son habitude, Christopher Coker rassemble, pour appuyer son raisonnement, une multitude impressionnante de références : littérature stratégique bien entendu, mais aussi romans de science-fiction, essais de sociologie ou d’économie, etc. Il nous offre ainsi un regard pluriel sur le futur de la guerre et nous donne de nombreuses pistes de lecture.
Ce livre foisonnant – qui nécessite tout de même quelques connaissances dans le domaine des études sur la guerre pour être abordé sereinement – est une nouvelle occasion de s’interroger sur les risques d’une approche militaire qui se centrerait trop sur les questions technologiques en laissant de côté les réflexions stratégiques et tactiques. Cette réflexion renvoie à ce que l’auteur appelle la réduction de « l’espace humain de la guerre ». Interrogation utile, puisque, comme nous le rappelle Christopher Coker, « le futur n’est pas une destinée mais un choix ».
Rémy Hémez
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