Le blog Reflets du Temps, qui consacre une large place aux questions internationales et des recensions de qualité, a publié le 2 avril dernier un article mettant à l’honneur le numéro de printemps (1/2016) de Politique étrangère, et plus particulièrement son Contrechamps, consacré au retour de la question allemande.
«Dans le numéro de Printemps de la revue Politique Étrangère, le dossier premier est consacré aux migrations en Afrique (et non venant d’Afrique). Passionnant et riche comme d’habitude, mais c’est au dossier contrechamps que Reflets du temps s’intéressera cette fois-ci, puisque dévolu à une problématique de premier plan : le retour de la question allemande ; celle-là même qu’on avait crue close aux lendemains de l’unification, en 1990… « Fixant les frontières de l’Allemagne, pour la première fois depuis 1806, confirmant son ancrage à l’Ouest, les principes démocratiques et libéraux qui la fondent ; l’unification allant de pair avec la fin de la Guerre Froide en maintenant le pays dans l’OTAN ».
C’est ainsi que démarre l’article de Hans Stark, enseignant la civilisation allemande contemporaine à la Sorbonne, chargé de l’étude des relations franco-allemandes à l’IFRI. Le titre-problématique est clair : « De la question allemande à la question européenne ». Articulation incontournable.
De quoi s’agit-il ? La place du pays en Europe, géographique, géopolitique ; ses relations avec ses partenaires ; son rôle européen dans l’espace international. La façon dont elle joue de sa force – énorme – économiquement, mais si particulière dans d’autres domaines ; militaire, par exemple. La manière dont elle doit faire varier les représentations qui entourent son Histoire. L’Allemagne « en » Europe ; l’Allemagne « et » l’Europe, où en est-on ?
Centralité, toujours en balancement ; tentations, sinon tentatives de se tourner presque naturellement vers le Nouvel Est, des pays anciennement communistes entrés dans l’Union. Outils de domination implicite du reste de l’Union ; en termes de puissance, d’influence et de présence massive dans les institutions : ce que d’aucuns dénoncent comme un constant défi à ses partenaires. Les débats sur la réalité ou les risques d’une « Europe allemande » alimentent maints débats actuellement. Et, non moins, maints fantasmes. Particulièrement vifs, on l’a vu, au moment de l’été 2015 de la Crise Grecque.
L’article reprend utilement le déroulé historique depuis la chute du Mur : la façon dont Mitterrand, et bien plus, Thatcher, ont « accepté, contraints, l’unification » ; Maastricht qui, selon Hans Stark, est le point d’achoppement du système Europe, précipitant l’arrivée de l’Euro, pour mieux ficeler le Deutsche Mark, et fixer par cela l’Allemagne elle-même ; poussant en avant une Europe, unie « ni politiquement ni économiquement », se lançant dans la course des élargissements selon le principe du « spillover » (« chaque pas en avant en matière d’intégration devant se solder par des progrès ultérieurs en matière de politique communautaire »), mécanisme, à terme, peu efficient. Pour autant, surfant sur les différences se creusant entre elle et les pays du sud de l’Union, et même la France, sa partenaire historique et naturelle, l’Allemagne a installé une image de pays leader, au modèle vécu comme obligatoire, d’une démocratie libérale, forte et « validée bonne élève » ; ce « modèle allemand » qui semblait destiné à une pérennité quasi éternelle. Leadership accompagné souvent, notamment récemment, par des décisions unilatérales, de facto imposées (ou fermement recommandées) à des partenaires européens en situation – non de soumission – mais d’inégalité notoire. Toutefois, si Berlin domine, c’est « que le vide à Paris, Londres, Bruxelles lui a ouvert un boulevard ». La rencontre des Crises économiques de cette dernière décennie a largement changé la donne – Schröder, par exemple et son abandon de l’harmonisation des politiques européennes, accouchant de fait des problèmes liés à la dette souveraine, du credo de l’austérité et du décrochage Nord/Sud en Europe, que l’approche ordo-libérale ne fait qu’augmenter.
Regard sévère, donc, de l’auteur de l’article sur le tableau allemand/européen obtenu. C’est la fin d’une sorte de mythe ; celui d’une Allemagne dominatrice, gagnante, modélisable à souhait. Préconisations fermes en conclusion de l’article : Alors que l’implosion de L’Europe menace, il faut chercher à « obtenir une Allemagne européenne », appuyée par et sur davantage d’adhésion de ses citoyens, et un cadre institutionnel à plusieurs vitesses. Autrement dit, plus d’Europe et autrement. « Une Allemagne européenne et non une Europe allemande » comme disait Thomas Mann.
« L’Allemagne du vivre ensemble » que signe Stephan Martens, spécialiste lui aussi de civilisation allemande, résonne d’entrée pour le lecteur, qui voit défiler les masses de réfugiés de Syrie, la terrible nuit de Cologne et ses interprétations, et, la montée des populismes électoraux. On n’oubliera pas non plus la germanophobie grandissante. Prise de conscience des citoyens allemands : « le monde n’est pas loin, à l’extérieur, mais ici ». En bute avec les menaces terroristes, et les solidarités nécessaires avec ses partenaires européens, dont la France, l’Allemagne est face au monde et à une globalisation qui a fait sa fortune économique. A. Merkel s’est du reste avec un certain panache, posée à ce titre en « remboursement » d’une dette, en accueillant le million de réfugiés ; position humanitaire mais aussi intérêt démographique face au vieillissement de la population (d’ici 2050, la population active pourrait se contracter d’un tiers). Sinistre pendant à ces mouvements de populations à l’intérieur du territoire, les populismes d’Extrême Droite se haussent du col (Cologne, et les dernières élections).
Le rôle international allemand avait, depuis la fin de la guerre, été cantonné dans des aides diverses, du type, conseils techniques. Rôle humanitaire et non militaire interventionniste. La Bundeswehr était à la tête d’une « puissance réticente » à « la culture de la retenue », laissant à d’autres armées européennes le soin des interventions armées à l’extérieur du continent. Actuellement, ce pivot essentiel, dans la réalité, mais surtout dans les mentalités allemandes et européennes, tend à changer. « Cet éternel traumatisme : la guerre et les Allemands » varie. Les gouvernants au pouvoir, ces temps-ci, de la Grande Coalition, réaffirment leur volonté de peser à l’international, « non, en solitaire, mais en concert », rassurant ainsi les jeunes que l’image d’un pays martial rebute toujours. Pour autant, l’opinion allemande demeure réservée en ce domaine sensible et le leadership du pays est préféré économique plutôt que militaire. Une sorte de « grande Suisse », en somme.
Dernier mot sera laissé à la jeunesse – certes non majoritaire, mais on peut l’espérer, influente – redoutant de plus en plus la xénophobie, n’étant plus par contre que « 37% à souhaiter une restriction de l’immigration, et considérant que l’Allemagne est devenue leader dans son engagement pour un vivre ensemble civilisé ». »
Martine L. Petauton
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